Méritocrate

Publié le 18/10/2011
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Le tombeur de Jacques Servier a les allures d’un jeune homme presque quinquagénaire, qui porte beau. Aquilino Morelle, 49 ans et cinq enfants, a le teint hâlé des méditerranéens, et porte des petites lunettes rondes d’éternel étudiant. Dans la brasserie du Quartier latin où il est attablé, sur sa table, sont disposés les quotidiens du jour, compulsés nerveusement, froissés, abîmés. L’homme est vif : « Je n’ai pas un tempérament lavasse », précisera-t-il au cours de la conversation. Aquilino Morelle dirige depuis un mois la campagne aux primaires socialistes d’Arnaud Montebourg, tout en entamant une nouvelle mission pour l’Inspection générale des affaires sociales (Igas). « Par conviction, pour défendre mes idées », confie-t-il, la chemise ouverte, le Blackberry à portée de main. 

L’homme a des principes, semble-t-il. Qu’il sait affirmer sans ambages, au risque de froisser, tels ses journaux qui jonchent sa table. De quoi rompre l’image terne que l’on peut se faire du haut fonctionnaire qu’il est, inspecteur général à l’Igas, professeur associé à Paris I. C’est que, rien dans son parcours n’est conventionnel. Dans un univers « d’héritiers », Aquilino Morelle dépareille. Il est le sixième enfant d’une fratrie de sept enfants, fils d’immigré espagnol, ouvrier. Sa voix s’adoucit, se fait plus lente, lorsqu’il évoque son enfance sur les hauteurs de Belleville, à la villa Faucheur : « C’était un endroit charmant. Mais c'était l’époque du chiraquisme triomphant ; presque toutes les maisons ont été rasées, pour y construire d’affreuses tours. » Est-ce de ce saccage originel que date son engagement à gauche ? Il ne le dira pas. Et se contentera de « dérouler », le plus simplement du monde, le parcours scolaire exceptionnel qui fut le sien, sans fausse modestie, avec un brin d’orgueil. 

Brillant étudiant en médecine, il entreprend, parallèlement à son internat, dès 23 ans, des études à Sciences-Po (Institut d’études politiques de Paris). Trois ans plus tard, sur les bons conseils de ses professeurs, il tente le concours de l’Éna (École nationale d’administration), qu’il réussit brillamment. Dans son jury, un certain Pierre Moscovici, jeune conseiller technique chargé des affaires budgétaires de Lionel Jospin, alors ministre de l’Éducation nationale. Qui lui recommande de reprendre contact avec lui. Le conseil n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Aquilino se rappelle au bon souvenir de Pierre, en 1996. Lequel le présente à Jospin qui a repris les rênes du PS. Entre le jeune énarque plein d’avenir et le patron des socialistes, le courant passe, instantanément. À tel point que, en 1997, il suit Jospin à Matignon. 

« Je suis arrivé le premier, et je suis parti le dernier », se rappelle Morelle, comme pour marquer la grande fidélité qui le lie à Jospin, « un ami, un homme d’une grande intelligence ». Porte-plume 

du ministre, il est également conseiller politique, et travaille avec un certain Manuel Valls, chargé de la communication auprès de Jospin, qui deviendra, lui aussi, un ami. « Nous avons le même tempérament. » c’est l’époque où tout lui réussit. À la veille de la présidentielle, Aquilino Morelle est même pressenti pour défendre les couleurs du PS aux législatives, dans les Vosges. Mais le coup de massue du 21 avril 2002, ruine, pour un temps, toute ambition politique. « C’est un souvenir cuisant, douloureux, cruel. Sur le moment le choc est tellement violent que vous ne sentez rien. » Suit un trou d’air, peut-être le premier, pour lui. 

Entre 2002 et 2010, son ascension semble bloquée. Il se présente aux législatives, en 2007, est battu en Seine-Maritime. Jusqu’à cette fin d’année 2010, où l’inspecteur Morelle est saisi de l’affaire du Mediator®. Soit dix-huit ans après avoir rendu son premier rapport sur le scandale du sang contaminé. Le temps de constater que le système de surveillance sanitaire n’a pas atteint l’âge de majorité : « Ça m’a laissé un goût d’amertume. Vous constatez que des fautes, des errements, des anomalies qui existaient dans un champ 

de la santé publique peuvent se reproduire dix-huit ans plus tard, dans un autre champ. » Si l’affaire du Mediator® fut importante pour lui, il n’en a pas moins tourné la page, mais reste attentif aux suites 

législatives que le politique donnera à son rapport. Son présent ? Une nouvelle mission de l’Igas, toujours sur le médicament, et la campagne de Montebourg. « Il n’arrête pas de monter dans les sondages... » Et demain ? Aquilino Morelle ne cache pas qu’il aimerait, une fois de plus, se confronter au suffrage universel. 

Histoire, peut-être, de conjurer l’un des seuls échecs qu’ait jamais connu ce méritocrate.

Jean-Bernard Gervais

Source : Décision Santé: 278