Dix mille trois cent cinquante personnes vont être mesurées à partir de la rentrée de septembre dans le cadre du projet Campagne mensurations France. Hommes et femmes, âgés de 8 à 65 ans, résidant dans cinq régions françaises, ils vont passer dans une cabine 3D équipée d'un scanner qui va effectuer sur chacun, nu ou en sous-vêtement, une série de quatorze mesures (stature, tour de tête, tour de cou, tour de main, hauteur du corps à partir de la 7e vertèbre cervicale, longueur de taille milieu du dos, longueur de bras à partir de la pointe de l'acromion, longueur de la septième vertèbre cervicale à partir de la pointe de l'acromion, longueur de côté, longueur de l'entrejambe, tour de poitrine, tour de taille, tour de bassin, tour de cuisse).
La taille grandit et la silhouette s'alourdit
« La dernière enquête du genre datait de 1966 pour les hommes et de 1972 pour les femmes et elle ne concernait que les adultes », précise François-Marie Grau, directeur des affaires économiques et internationales à l'Union française des industries de l'habillement (UFIH), l'organisme qui, après dix ans d'hésitation, a fini par débloquer le million d'euros nécessaire à l'exécution du projet.
« Les Français et les Françaises grandissent, explique-t-il, leur silhouette a tendance à s'alourdir ; ainsi les seins des femmes sont plus bas sur le buste et ils sont plus lourds. »
Pour traduire cette évolution, les professionnels de l'habillement trafiquaient depuis des années empiriquement leurs barèmes de taille, mais l'ajustage en prenait un coup. Pour le plus grand profit des retoucheurs, qui absorbent 8 % du chiffre d'affaires du secteur, en revoyant la longueur de manche d'une veste, la reprise d'une carrure ou le tour de ceinture. Grâce à la nouvelle enquête, ces ajustements au petit bonheur la chance vont céder la place à un arbitrage scientifique, selon une base de donnée rationnelle.
Depuis quelques jours, l'échantillon est en cours d'élaboration. Les premières mesures seront effectuées à partir de la rentrée de septembre, pendant une période d'un an. Trois mois seront ensuite nécessaires pour traduire les nuages de points relevés en mesures et trois autres mois pour finaliser les nouvelles normes. Le barème de taille nouveau devra au final être connu fin 2003. Son intérêt débordera largement du secteur de l'habillement, puisque « toutes les industries et services où les connaissances morphologiques sont importantes sont également intéressées », souligne Hélène Pichenot, de l'Institut français du textile-habillement, en citant notamment « les transports et plus particulièrement l'automobile, la bijouterie, l'ameublement et l'INSEE ». Sans parler de l'armée et de l'aviation ou des fabricants de literie, entre autres.
497 enfants suivis pendant vingt ans
Beaucoup de professionnels, mais pas ceux du secteur de santé. « Chez nous, explique Maire-Françoise Rolland-Cachera, épidémiologiste à l'INSERM (unité 557 nutrition et maladies chroniques, au Conservatoire national des arts et métiers), si les données récentes procurent des photographies intéressantes de la population, l'avenir, c'est de continuer à se servir des vieux échantillons. »
En l'occurrence, celui qui fait foi, c'est celui de l'étude dite fondamentale, conduite par les Drs Nathalie Masse, Marie-Paule Roy-Pernot et Michel Sempé. Pendant vingt ans, de 1955 à 1975, sous l'égide du Centre international de l'enfance (CIE), les trois pédiatres ont suivi 497 enfants bien portants. Chacun d'eux a été examiné d'abord tous les trois mois, puis tous les six mois de manière continue, ce qui a permis d'accumuler un nombre considérable de documents avec, par exemple, une collection de plus de 5 000 radiographies du poignet et de la main gauche, pour évaluer la maturation squelettique dans sa continuité absolue jusqu'aux fusions terminales.
« C'est justement parce qu'elle s'est adressée au même groupe d'enfants en bonne santé, que cette étude longitudinale a permis de fixer des repères normatifs qui restent aujourd'hui parfaitement valides, même si elle semble dater un peu », estime Françoise Révillé-Sausse, du laboratoire d'anthropologie du musée de l'Homme (Paris) : « L'échantillon suivi avait été défini dix ans après la Seconde Guerre mondiale, soit suffisamment d'années après les restrictions du conflit. D'autre part, à l'époque, beaucoup de femmes allaitaient encore longtemps, ce qui assurait une croissance harmonieuse et régulière des enfants. Enfin, les enfants sélectionnés appartenaient à des catégories socio-professionnelles moyennes, ni trop riches, ni trop pauvres. »
L'indice de corpulence de Quételet
Ce sont les données découlant de cette étude, la seule étude auxologique française, qui ont permis de construire des courbes de croissance et de maturation, de calculer des accroissements ou vitesses et des indices : courbes de vitesse et de poids, de vitesse de croissance et de maturation, calculs des indices poids sur taille et surtout poids sur taille au carré (indice de corpulence de Quételet). Autant d'outils de santé publique qui permettent le suivi des enfants à toutes les étapes de leur croissance.
Certes, ces données ne correspondent sans doute plus à l'actualité. On sait qu'avec le temps, en Europe comme dans l'ensemble des régions dites développées, les tailles moyennes sont plus élevées et la maturation plus précoce. Tant il est vrai que ces changements constituent de bons indicateurs des conditions de vie d'une société et d'une situation nutritionnelle et sanitaire donnée, analyse Michèle Deheeger.
Mais, observe le Pr Sempé, « la mesure de l'instant T n'a aucune valeur séquentielle et on n'a jamais pu tirer une norme de quelque chose d'évolutif. L'évolution, de surcroît, ces dernières années, se fait de façon plutôt négative, avec un pourcentage d'obésité qui a quadruplé, passant de 3 à 12 ou 15 %, la situation se dégradant aussi, à l'inverse, pour la proportion des enfants trop maigres ».
« Face à la constante détérioration des choses en matière de composition corporelle, on a donc tout intérêt à se servir d'un échantillon ancien pour fixer les normes médicales », estime Marie-Françoise Rolland-Cachera.
Dans le tout petit monde de l'anthropométrie humaine, nul, dans ces conditions, n'envisage, en France pas plus qu'à l'étranger, de se lancer dans une nouvelle étude longitudinale. Et ce d'autant moins qu'un tel travail engagerait à un suivi au très long cours, sur deux décennies au moins, pendant lesquelles toute publication resterait suspendue (improbable ascèse en un temps où la course à la publication rythme la vie du chercheur et conditionne son avenir...).
Les courbes de surveillance de la croissance ne sont donc pas prêtes d'être actualisées. « Tant mieux, se félicite le Pr Sempé, car elles fixent des normes de santé en dessous desquelles sont prescrites par exemple des hormones de croissance et autres traitements. Même si les tailles moyennes sont sans doute aujourd'hui un peu plus élevées qu'il y a vingt ans, les études transversales qui les refléteraient ne permettraient pas d'avoir une meilleure connaissance de la croissance et d'assurer un meilleur suivi d'un même enfant au cours des semestres successifs. »
Une évolution séculaire
Croissance et développement plus rapides, tailles moyennes plus élevées, maturation plus précoce, les changements séculaires observés par les auxologues en Europe sont qualifiés de positifs dans la mesure où ils sont associés au processus d'industrialisation.
Selon les tranches d'âge, l'évolution séculaire de la taille est plus élevée durant la période pubertaire. Eveleth et Tanner (1990) évaluent pour la période 1880-1980 les changements à 1,5 cm par décennie pendant l'enfance, 2,5 cm par décennie pendant la puberté et 1 cm par décennie à l'âge adulte. Ces valeurs pubertaires sont liées tout à la fois à l'augmentation en valeur absolue des tailles et au développement pubertaire progressivement plus précoce.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature