LA LIBERTE TOTALE d'installation des praticiens libéraux, souvent qualifiée de pilier de l'exercice médical à la française, est-elle condamnée à court ou moyen terme ?
Son procès, en tout cas, s'est ouvert depuis quelques mois à l'heure où plusieurs rapports sur la démographie confirment les disparités territoriales criantes s'agissant de la médecine de ville (nette tendance à l'héliotropisme) et le risque d'accentuer ces inégalités dans les années qui viennent avec, à la clé, la multiplication de « déserts médicaux ».
La contribution du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie, adoptée à l'unanimité, a enfoncé le clou. « La liberté d'installation des professionnels libéraux ne permet pas de répondre équitablement à la demande de soins », peut-on y lire.
Le libre conventionnement en cause.
Les écarts de densité départementale vont déjà du simple au double pour les omnipraticiens et « de 1 à 6,6 pour les spécialistes ». D'un canton à l'autre, les différences sont encore plus marquées. Il en résulte, selon le rapport du Haut Conseil, des zones de surdensité médicale où la consommation de soins est stimulée « artificiellement » et, plus grave, des zones de sous-densité où « les conditions de travail des professionnels et les conditions d'accès à certains types de soins se dégradent ». Avec la chute annoncée de la démographie professionnelle, les tensions ne peuvent que croître dans les secteurs déficitaires. Si ce constat n'est pas révolutionnaire, l'enseignement que tire le rapport Fragonard est radical. Pour être efficace, un mécanisme de régulation de l'installation devrait « s'appuyer sur une (...) contractualisation avec l'assurance-maladie », ce qui doit conduire à « lier la question du conventionnement et celle de l'installation ». Un deuxième numerus clausus en quelque sorte, mais à la sortie des études médicales.
Même si ce n'est pas pour l'instant la voie choisie par les pouvoirs publics, elle n'est plus exclue. Evoquant il y a quelques jours la panoplie de mesures incitatives pour attirer les médecins dans les zones sous-médicalisées (aides de l'Etat à l'investissement de 10 000 euros par an pendant cinq ans, financement des collectivités locales, exonération de taxe professionnelle, encouragement à l'ouverture de cabinets secondaires, notamment dans les zones rurales...), Jean-François Mattei a précisé, dans un entretien avec l'AFP, les limites de la méthode douce. « Nous en tirerons le bilan. Si elles (les mesures incitatives) ne suffisent pas, nous verrons, en concertation avec les professionnels comment aller plus loin. » En septembre dernier, lors de l'Université d'été de la Csmf à Ramatuelle (Var), Jean-François Mattei s'était interrogé sur la pertinence de la « totale liberté d'exercice partout sur le territoire, même dans les lieux où la surdensité médicale pose des problèmes aux médecins déjà installés ».
Les syndicats en ordre dispersé.
Les représentants des libéraux avancent en ordre dispersé sur ce dossier explosif. Assez logiquement, la restriction à la liberté d'installation effraie d'abord les jeunes médecins en formation, qui réagissent au quart de tour. « Alors que rien n'est encore fait pour inciter et aider les médecins à exercer dans les zones difficiles, on songe à des mesures coercitives! », s'emporte le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (Snjmg), qui dénonce une « injuste solution de facilité ». Et d'appeler à la « mobilisation contre de telles menaces ».
Sans aller aussi loin, les syndicats de médecins installés refusent que la charrue soit mise avant les bœufs. « Malgré les promesses, on est encore loin d'avoir fait le plein des mesures incitatives et d'avoir vérifié leur impact,qu'il s'agisse des primes, des aides au remplacement, du médecin collaborateur ou des cabinets secondaires, affirme le Dr Michel Combier, président de l'Unof, branche généraliste de la Csmf. Or, on a l'impression qu'il existe déjà un plan pour aller plus loin. » Le Dr Pierre Costes, président de MG-France, est sur la même longueur d'onde. « Parier aujourd'hui sur l'échec de mesures incitatives qui n'existent pas est absurde et malvenu! », explique-t-il. La liberté d'installation reste donc « intouchable » et le conventionnement « un droit de base ».
Pour beaucoup, annoncer un durcissement des règles du jeu à la sortie de l'université aurait aussitôt des effets pervers. « On va pousser les jeunes, notamment les femmes, vers la médecine salariée », met en garde le Dr Combier. Avant de s'attaquer à la liberté d'installation des libéraux, un responsable syndical conseille au gouvernement de faire le ménage « dans sa sphère d'influence », à l'hôpital public. « Les PH d'origine française ne vont pas travailler dans les hôpitaux périphériques, mais ça ne gêne personne... », constate-t-il. Le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, est très clair : en aucun cas l'offre ambulatoire ne devra devenir la « variable d'ajustement » de l'offre hospitalière.
Reste qu'au-delà des discours tranchés les esprits évoluent. Le Syndicat des médecins libéraux (SML) veut ouvrir rapidement ce débat, sans agiter de chiffon rouge. « Il va bien falloir réguler l'installation d'une manière ou d'une autre, surtout avec l'élargissement de l'Europe analyse son président, le Dr Dinorino Cabrera. Il faut dès maintenant informer les étudiants en médecine que d'ici à une dizaine d'années il pourrait y avoir de nouvelles règles du jeu en matière de conventionnement ». Dans les zones où les médecins sont en surnombre par exemple, l'assurance-maladie serait alors en droit de limiter, ou d'interdire, le conventionnement des libéraux. « La plupart des pays européens l'ont fait, rappelle le Dr Cabrera . Il faut faire comprendre que ce danger existe et s'y préparer ».
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