LA POLITIQUE A EU VITE FAIT de récupérer l’affaire des caricatures de Mahomet. La Syrie, hypocritement, s’est excusée pour les incendies des sièges diplomatiques du Danemark et de la Norvège à Damas, alors que sa police pouvait, sans difficulté, arrêter les manifestants. La vérité oblige à dire que la Syrie, loin d’oeuvrer pour l’expansion de l’islam intégriste, a surtout voulu changer de sujet : l’occasion était belle de rappeler ce qui arrive à l’Occident quand il donne des leçons de démocratie à Damas.
Aussi bien les agents secrets syriens ne se sont pas gênés pour organiser à Beyrouth des manifestations comparables à celles de Damas, mais qui ont été réprouvées par de nombreux Libanais.
Un seul choix : persévérer.
De son côté, l’Iran, lui aussi, a saisi le prétexte pour laisser entendre que des « infidèles » qui viennent de commettre un sacrilège n’ont pas à lui dire dans quel programme nucléaire il doit s’engager. Mais, quels que soient les motifs régionaux particuliers, l’ampleur du mécontentement musulman, le refus des gouvernements arabes de mettre un terme à une crise qui dure depuis septembre et, donc, de lancer des appels au calme, le courroux, parfois violent, exprimé par une partie des communautés musulmanes d’Europe ont creusé un peu plus le fossé qui sépare les musulmans des non-musulmans.
L'HUMOUR, L'IRONIE, LA BONNE OU MAUVAISE BLAGUE NE SONT PAS DES PECHES CAPITAUX
Du coup, les réserves qui ont pu être exprimées la semaine dernière sur l’utilité et le bon goût des désormais fameuses caricatures, le souci du gouvernement français de «ne pas blesser» les musulmans, l’engagement des Américains et des Britanniques en faveur du respect de toutes les religions apparaissent comme des précautions ou des prises de position inefficaces : à voir ce déchaînement de violence, on comprend que nos regrets et nos excuses non seulement sont inutiles, mais qu’ils alimentent la colère des fous d’Allah. Leur refus d’accepter le contexte culturel et politique dans lequel, en Europe, on publie des caricatures est d’une telle intransigeance, et même d’un tel aveuglement, et nos plaidoyers semblent tellement futiles que nous n’avons qu’un choix : celui de persévérer, même s’ils nous jugent diaboliques.
C’est en effet ce que méritent des comportements menaçants : pour complaire à une minorité de mécontents – vivement encouragés par leurs gouvernements qui, par peur de l’intégrisme ou par conviction, dénoncent bruyamment les caricatures –, nous devrions passer des lois en Europe où il serait interdit de critiquer la religion musulmane, ou tout autre religion, ce qui constituerait un coup sévère à la laïcité.
Des gages.
A mesurer le déchaînement des passions dans le monde arabe, et les attitudes des minorités musulmanes d’Europe, qui multiplient les sommations, souvent avec l’assentiment des autres religions, on est saisi par l’inquiétude : si nous entrions dans la logique de ceux qui exigent un respect absolu des religions, c’en serait fini de la laïcité en France. Laïcité qui, comme d’autres principes qui régissent la société française, n’a jamais été aussi exaltée, mais en même temps menacée, qu’aujourd’hui. Hier, c’était la bataille du voile ; aujourd’hui, c’est le dessin sacrilège. Et, entre les deux, c’est l’ascension de toutes les forces religieuses, qui n’ont jamais eu autant conscience de leur influence que depuis la constitution d’un islam français organisé, exigeant et parfois impérieux.
Pour avoir négligé l’islam pendant longtemps, les pouvoirs publics ne manquent pas, désormais, de lui réitérer leur respect quotidiennement. Ils lui donnent même des gages, par exemple quand le ministre de l’Intérieur accorde leur représentativité à des organisations musulmanes qui refusent d’appliquer les règles de la laïcité à leur communauté ou propose une « discrimination positive », alors que la société française n’est toujours pas guérie de la discrimination tout court.
On sait de même que les alternatifs et l’extrême gauche sont séduits par le fondamentalisme islamique.
Pourtant, il n’y a aucune raison d’accorder à la religion musulmane plus d’importance qu’aux autres, ce serait même une façon de la singulariser. Tout cela témoigne, écrit l’essayiste et philosophe André Grjebine dans « le Figaro » de lundi, «d’une profonde incompréhension de ce qu’est l’esprit de tolérance. Si chacun est libre de professer les opinions qu’il veut, la tolérance suppose que chacun puisse également contester n’importe quelle religion ».
On devine en tout cas où conduisent une indulgence et même une mansuétude sélectives pour l’islam et ses formes d’expression les plus agressives : la presse française, de la gauche à la droite, récuse la colère des musulmans du monde et va en rajouter dans l’ironie. De sorte que l’indignation théâtrale des gouvernements arabes se retourne contre eux. En France, elle contribue à marginaliser un peu plus la minorité musulmane. Nous n’avions vraiment pas besoin d’une nouvelle pomme de discorde, d’autant que toute l’affaire vient du Danemark et que la parution des dessins dans « Libération » ou dans « France-Soir » n’avait pour objectif que de défendre la liberté de la presse, non de se moquer de qui que ce soit.
Pour les Français, la loi de 1905, la laïcité, les religions, tout cela est théorique et difficile à comprendre. Ce qu’ils comprennent fort bien, en revanche, c’est que les religieux sont en train de faire de l’humour, de l’ironie, de la bonne ou de la mauvaise blague, des péchés capitaux. L’humour est universel et le monde arabo-musulman ne devrait pas s’en priver. On devine ce que pense le citoyen lambda : péché, punition, sainte colère, sacrilège, menace, mort : mais qu’est-ce qu’ils sont barbants !
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