Le dernier livre de Claude Hagège

Menace sur la langue française

Publié le 06/02/2006
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CE N’EST PAS parce qu’une langue domine, et parfois écrase, un continent qu’elle fait disparaître toutes les autres langues ou qu’elle acquiert une supériorité politique et économique.

L’espagnol et le portugais en Amérique latine, le russe, mais aussi le hindi laissent bien peu de chances aux petites langues régionales. Avec l’anglais (car c’est de lui qu’il s’agit) apparaît selon Hagège une autre forme de domination.

Avant tout, cette langue symbolise l’idéologie libérale. Elle a une histoire, née au XVIIIe siècle avec Hume (1740) et Adam Smith (1776). Une théorie, le libre échange, qui est celle de la libre circulation des marchandises. Une philosophie, le pragmatisme, qui définit le bien par ce qui réussit ; l’Américain William James prendra le relais pour un pays attaché à célébrer la liberté d’entreprise et la possibilité d’aller des haillons à la fortune (in english, from rags to riches).

Activisme.

Une partie très convaincante du livre de Hagège consiste à nous montrer que la position dominante de l’anglais en Europe correspond à un très fort activisme. Dès 1960, le British Council a favorisé l’ouverture de bureaux et de bibliothèques et créé, dit l’auteur, «une confusion de revues, conférences, associations professionnelles, toutes de langue anglaise». Nul n’ignore le résultat.

Dans beaucoup de domaines scientifiques, surtout en médecine, les communications les plus importantes se font en anglais, les références sont des revues anglophones ou les congrès dans cette langue (congrès que beaucoup de français croient malins de nommer conventions).

Nombreuses sont les preuves qu’apporte l’auteur pour montrer la vilenie de cette langue, devenue celle du commerce mondial, et que certains patrons imposent parfois à leurs cadres dans les entreprises françaises.

Heureusement il y a des résistances à la domination de l’anglais, telle la revue trimestrielle « Panorama et défense de la langue française », ainsi que le Clec, le Cercle littéraire des écrivains cheminots (!), qui a obtenu de la Sncf le remplacement de just in time par juste à temps, mais a échoué en proposant co-entreprise à la place de joint venture. Ces résistances, même marquées par un complexe « Astérix », sont sympathiques car elles signifient qu’on ne doit pas obligatoirement s’incliner devant ce qui est et sanctifier une domination, qu’elle qu’elle soit.

Il y a pourtant encore beaucoup de fraternisation avec l’ennemi. Un ennemi qui trouvera à Paris son menu anglophone dans chaque restaurant ; au risque d’aplatir tous les charmes du terroir, se pourrait-il que notre roboratif aïoli ne soit que garlic sauce ?

Sans parler du fait que les cuistres anglomaniaques sont bien installés. Tel grand hebdomadaire féminin truffe par exemple ses articles de mode de termes anglais nullement indispensables : l’exécutive woman sait que la semaine prochaine est fashion week, et que tel vêtement est le must-have. Quant à attrayant, il est définitivement remplacé pour attractif. On pourrait continuer longtemps sur ce thème sur lequel Etiemble s’était fâché tout rouge il y a quelques décennies.

Notons que cette anglomanie va souvent de pair avec un faible niveau de la connaissance et de la prononciation de la langue de Shakespeare. On en prend la mesure à la télévision où l’épicière hollandaise parle un anglais très supérieur à celui d’un lycéen de terminale française.

Reste un sujet qui semble sensibiliser Claude Hagège au plus haut point : le cinéma. On le comprend. L’usage de la langue nationale est partie intégrant d’un film. L’auteur s’indigne que « les Choristes » ou « Amélie Poulain » n’aient pu s’exporter que doublés en anglais, et on ne lui donnera pas tort. Cependant, notre linguiste (relayé par Besson, car, comme pour les agriculteurs, ce sont les plus nantis qui tonnent très fort de la voix) reprend le refrain bien connu de l’envahissement par le cinéma hollywoodien. Il est vrai que sa force de frappe est grande, mais le réduire à une simple domination économique est un peu simplet ; n’aurait-il pas aussi une certaine qualité ? Des scénarios susceptibles de toucher les Français mais aussi les Boliviens et les Egyptiens ?

En deux semaines, face à « Lord of war », « the Constant Gardener », « Madame Henderson présente », « Jarhead », « Good night and good luck », « Orgueil et préjugé », « Munich », tous grosses productions, mais de qualité, notre pays n’a pu aligner que « Vers le sud » et « la Trahison ». S’il faut refuser les dures contraintes du marché, il est plus difficile d’éviter les douces incitations au plaisir d’un cinéma intelligent. Est-il si important que cela qu’il soit anglophone ?

Claude Hagège, « Combat pour le français. Au nom de la diversité des langues et des culture », Odile Jacob, 240 pages, 21 euros.

> ANDRÉ MASSE-STAMBERGER

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7893