Zones blanches

Même pas peur d’exercer à la campagne !

Publié le 18/05/2012
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C E S P, comme Contrat d’Engagement de Service Public ! Ils ne sont que 200 carabins à avoir opté pour cette bourse d’études contre promesse d’installation en zones blanches. Qui sont ces étudiants ? Nous en avons rencontré huit, des filles pour l’essentiel, enthousiastes pour la quasi-totalité. Mais qui confient presque tous que leur choix se serait de toute façon tourné vers la campagne.

Crédit photo : ©BURGER/PHANIE

Être payé 1 200 € par mois pour suivre ses études de médecine, c’est alléchant. Mais s’engager à s’installer dans un désert médical en contrepartie, pendant autant d’années qu’on a été rémunéré, c’est tout de suite plus contraignant. Surtout qu’en cas de rupture de contrat, l’étudiant doit rembourser l’ensemble de la somme reçue, plus un forfait de 20 000 €. Pourtant, des étudiants en médecine ont fait ce choix, en optant pour le CESP proposé par le gouvernement pour lutter contre les zones sous-médicalisées. Et c’est souvent la promesse d’une rémunération conséquente, pour les externes comme pour les internes, qui a dans un premier temps poussé les signataires à s’engager.

« L’attrait financier est pour moi la motivation principale. Ca me permet de rembourser mon prêt étudiant, de bénéficier d’un confort financier au quotidien et de pouvoir épargner pour l'avenir. À l'heure où il est de plus en plus difficile de démarrer son indépendance dans la vie et sortant d'études longues et difficiles, j'ai ressenti le besoin d'avoir une certaine sécurité », reconnaît Marie-Claire Bui, en première année d’internat à Saint-Flour, dans le Cantal. En effet, le CESP offre aux carabins une solution pour s’installer sereinement et leur permet de reléguer au second plan les questions d’ordre pécuniaires. « 1200 € par mois, c’est une somme non négligeable, ca va doubler mon salaire d’interne. Cet argent, je le mets de côté pour mon installation future, il me servira à payer le logement, l’électricité, le secrétariat et me permettra de vivre de mes consultations », prévoit Marie-Adeline Toussaint, étudiante en deuxième cycle à l'université Picardie Jules verne.

Pour l’amour du métier

En plus du coup de pouce financier, le CESP a aussi un côté sécurisant pour les étudiants car l’installation en zone blanche leur assure un certain niveau d’activité. « Pour un médecin débutant, c’est important de savoir que l’on aura du travail, car les patients ne viennent pas en claquant des doigts pour consulter. Être dans une zone sous-dense pendant les huit premières années d’exercice, c’est un bon moyen de se constituer une patientèle et de l’expérience », explique Audrey Guierre, étudiante à la faculté de médecine Blaise Pascal de Clermont-Ferrand, qui a opté pour le CESP dès sa deuxième année.

Mais, bien qu’important pour certains carabins, l’aspect financier n’a joué qu’à la marge pour la plupart d’entre eux. On retrouve en effet chez bon nombre d’élèves engagés un attrait pour les zones rurales, doublé d’une passion pour le métier de généraliste. « La médecine générale s’est imposée à moi comme une vocation depuis déjà 6 ans. Dans cette profession je cherche l’établissement de relations durables, de confiance et constructives avec les patients. Ayant vécu mon enfance à la campagne, c’est tout naturellement que je désire m’installer en milieu rural. », résume Mayeul Mercier, étudiant en troisième année à Clermont-Ferrand. Constance Fourcart, en TCEM1 à la faculté de médecine Paris 12-Créteil, abonde dans son sens : « Le plus important pour moi est d’exercer en campagne où l'on peut, à mon sens, pratiquer une médecine générale beaucoup plus variée qu'en cabinet urbain. J'ai pu rencontrer des professionnels de santé ruraux qui m'ont confortée dans cette idée et motivée dans mes projets », indique-t-elle.

Pour d’autres, l’attachement à la campagne est renforcé par des opportunités professionnelles dans ces territoires, ce qui les encourage d’autant plus à opter pour le CESP. « Dans l’Oise, je sais qu’il y a déjà trois maisons médicales qui ouvriront à ma fin d’internat. C’est inespéré. M’installer en ville n’est pas un objectif premier », explique Marie-Adeline Toussaint. Vu de Clermont, Audrey Guierre avance les mêmes arguments. « Être médecin généraliste à la campagne, ça me convient. J’aime beaucoup les zones rurales, le relationnel avec les patients, le paysage, le calme...», confie-t-elle.

Le CESP, un engagement social

En plus de leur ancrage rural, la prise de conscience des problèmes causés par les zones sous-médicalisées renforce encore davantage l’attrait des futurs médecins pour le CESP. « Certes, j’ai choisi ce contrat car je voulais obtenir mon indépendance financière vis-à-vis de mes parents mais il me permet aussi d’être là ou je serai le plus utile en tant que médecin généraliste », explique Mayeul Mercier. Conviction partagée par l’interne de St Flour : « L'idée d'être utile, qui plus est, à la solution de comblement des déserts médicaux qui affecte le pays répond à ce concept de mérite qui m'était cher pour signer. Il s'agit d'être rémunérée pour une mission noble, gratifiante, tournée vers l'intérêt d'autres êtres humains, pléonasme de la vocation médicale en somme », ajoute Marie-Claire Bui. Une tendance que confirme Mme Doumayrou, de l’ARS Picardie. « Il semble qu’il y ait un véritable engagement social au niveau de la région. Pour la plupart, ce n’est pas une question de financement. La grande majorité des signataires sont d’origine picarde. Ils sont conscients des difficultés causées par les déserts médicaux ».

Motivation supplémentaire pour les carabins, l’engagement que représente le CESP n’est pas vécu comme une atteinte à la liberté d’installation. « Il n’y a pas de lieu d’exercice imposé. On nous propose de choisir parmi une liste de zones sous-médicalisées. On peut faire des repérages pendant les dernières années d’internat. Rencontrer les maires, visiter les écoles... Et puis l’engagement ne dure pas toute la vie. En plus, si la zone choisie ne nous convient pas, on peut demander à changer », détaille Audrey Guierre. C’est également ce qui a rassuré Marie-Claire Bui. « On nous propose une liste, donc pas un lieu précis et unique. Il y aura un choix malgré l'obligation. Et puis prendre ce risque de l'engagement et de la contrainte c'est accepter de mûrir, » explique l’interne auvergnate.

Un engagement teinté de doutes

Pour autant, le choix du CESP ne s’est pas fait sans hésitations pour ces futurs généralistes. « Bien-sûr qu'il y a eu des doutes, poursuit Marie-Claire Bui. D'abord sur le principe d'engagement : il faut par définition s'y tenir. Or, qui sait si l'on ne va pas faire des rencontres ou vivre des événements qui bouleverseront nos projets ? La médecine nous enseigne qu'il faut savoir se remettre en question et que rien n'est jamais acquis pour toujours. Mais elle nous apprend aussi qu'il faut parfois prendre des risques ».

Malgré les informations dispensées par les facultés et les élèves engagés l’année passée, la nouveauté du contrat et l’absence de recul en a inquiété plus d’un. « J’ai posé beaucoup de questions. Je voulais par exemple savoir si on pouvait changer de ville au cours du CESP car mon compagnon est aussi en médecine et il sera amené à bouger. On m’a dit que ce n’était pas un problème, ça m’a rassurée », raconte Jessica Carranza. Surtout que la question du conjoint inquiète plus d’un étudiant. En Auvergne aussi : « J’envisage mon avenir à deux et j’espère pouvoir faire cohabiter les contraintes de chacun. Je ne voudrais pas imposer un mode de vie, ou limiter les offres d’emplois à la personne avec qui je construirai mon avenir », ajoute Mayeul Mercier.

Et pour les étudiants qui optent pour le CESP tôt dans leur scolarité, l’incertitude augmente. « Je n'aurai pas souscrit au CESP plus tôt dans mon cursus. M'engager plus de trois ans aurait été selon moi prendre le risque de le regretter vraiment. En effet, entre les années d’externat et la fin de l’internat, beaucoup de choses peuvent se passer », émet Marie-Claire Bui, interne depuis moins de six mois. « Il semblerait effectivement que les étudiants de 1er cycle hésitent à s'engager du fait des incertitudes pesant sur la pérennité de la cartographie des lieux prioritaires d'installation affichée au moment de l'engagement, leur choix de carrière et de spécialisation éventuelle et la durée de l'engagement correspondant à la durée du bénéfice du contrat », résume Catherine Guilloux de l’ARS Auvergne.

Pourtant, les internes ne représentent que 30% des signataires du CESP. Ce faible engouement chez ceux pour qui l’engagement est théoriquement moins contraignant car moins long s’explique peut-être par l’accès à l’information réduit au fur et à mesure que les étudiants avancent dans leur scolarité. Moins présents à l’université, ils sont moins enclins à être sensibilisés au contrat. Le fait que les internes soient rémunérés est sans doute un autre facteur décisif.

Malgré ces limites, Hélène Doumayrou de l’ARS Picardie considère que le CESP est un « levier pour répondre le problème de la démographie médicale ». Mais à en croire les signataires, le CESP ne sera pas déterminant dans leur choix . « Je me serai installée en zone blanche dans tous les cas, explique Jessica Carranza. Ma famille habite en zone rurale. J’ai toujours été très proche de mon généraliste, et j’aime beaucoup le lien qu’elle établissait avec les patients. C’est ce que j’avais en tète en entrant à l’école de médecine. Ce contrat ne change rien à ma pratique future, » précise cette interne, actuellement en pédiatrie à l'hôpital de Senlis dans l'Oise. « Avec ou sans CESP, je sais ou je vais m’installer, confirme Marie-Adeline Toussaint. C’est une aide supplémentaire pour ceux qui sont déjà prêts à s’installer en zone rurale, mais je ne pense pas que l’aspect financier fasse changer d’avis ceux qui ne comptaient pas le faire, » poursuit l’étudiante Picarde.

Les spécialités sont lésées

En effet, les étudiants qui visent des spécialités, qu’ils pourront difficilement exercer dans les déserts médicaux, sont plutôt réfractaires au concept. « Le CESP est plus destiné aux médecins généralistes mais il peut être aussi proposé aux spécialistes si leur spécialité est considérée comme en tension dans une région donnée. L’étudiant est sélectionné en fonction de son projet professionnel, s’il précise vouloir être cardiologue, a priori il ne sera pas sélectionné, sauf s’il choisit de l’exercer dans une zone peu ou mal pourvue en cardiologues », considère Fabienne Lapierre de l’ARS Ile-de-France.

Mais le problème du choix de la spécialité ne serait pas la seule explication du peu d’engouement des étudiants pour le CESP. Pour Margot Ferrry, Normande qui étudie à Paris, la désaffection pour les zones rurales explique aussi le manque d’intérêt de nombreux carabins pour ce contrat. « Je pense qu'une large majorité des étudiants en médecine, tout spécialement en région parisienne, ne tient absolument pas à s'engager de la sorte, même pour une bourse aussi conséquente, tout d'abord parce que lorsque l'on parle de "zone sous-médicalisée", tout jeune sociable et sain d'esprit entend "trou paumé" », avance-t-elle.

La crainte de ne pouvoir exercer la spécialité de son choix à l’endroit de son choix ainsi que la désaffection des carabins pour les zones rurales expliquent sûrement le bilan peu glorieux du CESP. En effet, en février, à peine 200 contrats avaient été signés alors que le gouvernement tablait sur 400 engagés minimum. La rémunération proposée aux signataires ne semble avoir eu d’autre effet que de conforter les étudiants qui comptaient déjà s’installer en tant que généralistes en zone rurale dans leur choix. Le prochain gouvernement devra donc imaginer un dispositif plus ambitieux pour régler le problème des déserts médicaux. Pour Constance Fourcart, plutôt que d’inventer un nouveau contrat, il faudrait « revaloriser l'image de la médecine générale auprès de la population française. Peut-être aussi qu'il serait bon de cesser la dévalorisation de la médecine générale dans les CHU lors de nos études, peut-être que l'on pourrait favoriser l'accès à des stages de médecine en zone déficitaire pour montrer la variété des pathologies rencontrées. Ensuite, peut-être pourrait-on se rappeler qu'être médecin, ce n'est pas seulement examiner, prescrire, mais aussi s'engager pour un accès aux soins identiques pour tous, » développe l’étudiante francilienne. Une piste à étudier.


Source : lequotidiendumedecin.fr