Médecin et atteinte d'un cancer

Même malade, Sylvie reste Sylvie

Publié le 10/04/2005
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> La santé en librairie

LA MALADIE GRAVE, et le cancer particulièrement, impose de penser le temps autrement et cela pour le restant de ses jours, découvre Sylvie Froucht-Hirsch. Depuis le temps de la crainte et de l'attente du diagnostic, celui du choc de l'annonce de la malignité de la tumeur, qualifiée par la cancérologue, E. Bourstyn, de « petit teigneux », à celui du difficile cheminement thérapeutique, l'adaptation nécessitera un effort de tous les instants qu'elle raconte dans ses chroniques.
Impressions vécues pendant la traversée de la maladie, commentaires concrets et spontanés, mais aussi plus philosophiques, évocations des relations imposées par la maladie, des amis qu'on tient prudemment à distance à ceux qu'on découvre en passant par les échanges avec des banquiers maladroits, des aides-soignantes vraiment aidantes ou des vendeurs de CD à fuir de toute urgence ( « Qui veut des CD ? Qui veut décéder ? Pas moi ! ») seront notés dans un petit carnet rouge offert par son époux attentif. C'est un cheminement de sagesse, parfois teinté de rébellion quand elle refuse certaines façons de faire ou certaines injustices, et de courage, malgré des accès d'anxiété dévorante qu'elle nous propose de partager à le lecture de ces pages.
Sa maladie vient lui confirmer, à son corps défendant, ce qu'elle avait observé avec ses patients et renforcer ses convictions antérieures concernant la relation de soins ; convictions sûrement pas étrangères à son intérêt pour l'éthique médicale, dont elle est diplômée.
User d'arguments de médecin pour refuser le port à cath a été quasiment sa seule occasion de manifester cette identité technique de praticien : parce « qu'être malade sans en avoir l'air donne beaucoup d'indépendance ». Dignité, indépendance d'esprit et autonomie physique sont des protections indispensables contre la violence psychique de la maladie, explique-t-elle, page après page, après l'avoir vérifié jour après jour dans son parcours d'humble malade.

Contrainte à penser le temps.
Solitude, difficultés à se projeter dans l'avenir, souci de se voir devenu « malade » et « mortel » dans les yeux de l'entourage, obligation d'être patient quand on est tellement impatient de passer à autre chose sont des étapes inévitables dans le parcours du sujet atteint de cancer. Même particulièrement bien entouré médicalement et affectivement doté de ressources intellectuelles solides comme l'est Sylvie Froucht-Hirsch, le parcours est semé d'obstacles. La relation au temps et aux autres n'est pas des moindres. La maladie force à penser le temps autrement mais enlève aussi toute liberté de penser, souligne-t-elle : « La liberté intellectuelle retrouvée, tel est le vrai sentiment de guérison. Ne s'imposent plus les idées négatives, obsédantes. On retrouve une liberté de penser ; les idées forcées, imposées par la maladie disparaissent. Paradoxalement, la liberté de penser gagne à moins penser. »
Etre très malade n'impose pas pour autant d'aliéner son identité de personne, dit-elle en substance. Il y a autant de types de relations avec le cancer, autant de types différents de contacts praticiens/patients, autant de cheminements singuliers que de personnes atteintes, souligne ce témoignage d'une femme praticien « passée de l'autre côté » parce qu'un « petit teigneux » est venu bouleverser sa vie. Alors que la maladie force à se discipliner face aux traitements contraignants, à être identifié comme personne malade parce que l'on a un port à cath, une perruque ou un emploi du temps conditionné par la maladie, à penser chaque seconde à travers le prisme déformant de la peur, les réflexions de Sylvie Froucht-Hirsch, d'Edwige Bourstyn, son chirurgien oncologue et amie qui préface le livre, et de son mari, Emmanuel Hirsch, professeur d'éthique, montrent que préserver la dignité de chacun passe par le respect de la singularité.
« Préserver l'apparence, au même titre qu'une faculté de se projeter dans un futur, n'est-ce pas affirmer une conception de la dignité de l'homme ? », écrit Emmanuel Hirsch dans sa postface, à la fois témoignage d'amour pour sa femme et réflexion de celui qui accompagne, qui doit lui aussi engager une relation troublante avec la maladie. Maîtrise de la distance avec la maladie, acceptation de l'interdépendance suscitée par une vulnérabilité et une faiblesse partagées, engagement de non-abandon en respectant la liberté du conjoint malade, gestion de son propre chagrin devant la souffrance de l'autre et son risque de le perdre, la tâche du compagnon n'est pas simple. Emmanuel Hirsch comme son épouse ont utilisé les outils de l'amour mais aussi de la réflexion pour parvenir à penser le cancer, en tous cas, le leur et à y survivre. Leur expérience est précieuse.

« Le Temps d'un cancer. Chroniques d'un médecin malade », Sylvie Froucht-Hirsch, Vuibert, coll. « Espace Ethique », 141 pages, 15 euros.

> Dr CAROLINE MARTINEAU

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7726