D écidément, la Cour des comptes ne « lâche » pas le médicament (1).
Dans son rapport annuel 2003 sur la Sécurité sociale, qu'elle doit rendre public en septembre, elle lui consacre une nouvelle fois un chapitre important, sous l'angle particulier de la consommation pharmaceutique des personnes âgées. Et une nouvelle fois, elle est très critique.
Ce texte que « le Quotidien » s'est procuré note d'emblée la contradiction qui existe entre la forte consommation des médicaments des plus de 65 ans (ils représentaient en 2001 16 % de la population française mais 39 % de la consommation de médicaments en ville) et l'ignorance des effets des médicaments sur les personnes âgées. En effet, aucun essai clinique particulier ne concerne cette population, regrette la Cour. Alors qu'aux Etats-Unis, écrit-elle, la Food an Drug Administration (FDA) a publié dès 1989 des directives pour encourager les essais chez les personnes âgées, la France n'a engagé aucun processus analogue. L'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) « jusqu'ici, n'a pas estimé nécessaire d'exiger, avant toute autorisation de mise sur le marché d'un médicament, des essais cliniques sur les personnes âgées ». Or, selon les gériatres, poursuit la Cour, « l'âge entraîne de profondes modifications tant de la pharmacocinétique que de la pharmacodynamie (...). Ainsi, la partie de la population la plus utilisatrice de médicaments est celle pour laquelle le niveau de preuve est le plus incertain ».
Problème d'autant plus important, selon la Cour, que ces patients âgés sont évidemment plus fragiles et donc plus sujets aux effets indésirables des médicaments. Et les auteurs mettent en avant le risque accru d'iatrogénie pour ces patients. Il est certes difficile de déterminer la part des personnes âgées dans le coût de ces accidents médicamenteux (estimé pour l'ensemble de la population à 335 millions d'euros par an et à à 128 000 hospitalisations). Mais selon une étude de l'URCAM de Poitou-Charente de 1999, citée par la Cour des Comptes, « 12,5 % des personnes, âgées de 70 ans et plus hospitalisées l'étaient pour cause d'iatrogénie médicamenteuse ».
Polymédication et inobservance des traitements
Autres sujets d'inquiétude des rapporteurs : la polymédication (selon une étude de l'URCAM d'Aquitaine, 16 % des 65 ans et plus ont des prescriptions de plus de 7 médicaments et 27 % des prescriptions contiennent des risques d'interactions) et l'inobservance des traitements. A cet égard, note la Cour, plusieurs études ont montré que plus de un sujet âgé sur deux ne suit pas le traitement préconisé par son médecin. Ce qui a, certes, des conséquences médicales mais aussi des conséquences économiques majeures, puisque ce phénomène se traduit souvent par un gaspillage « qui pourrait atteindre de 40 à 50 % des médicaments prescrits ».
Autre problème mis en exergue par ce rapport : la prise, par cette population âgée, de médicaments non indispensables. Parmi ceux-ci, les magistrats dénoncent la consommation importante de statines au-delà de 70 ans, dont aucune étude ne prouve, disent-ils, l'efficacité au-delà de cet âge. En effet, explique le prérapport, « selon les gériatres, la statine ne figure généralement pas parmi les priorités chez un sujet âgé polymédicamenté » et pourtant on « observe que les personnes de 70 ans et plus ont été à l'origine de 31 % des dépenses remboursables de statines au cours des six premiers mois de 2002 », soit 112 millions d'euros sur un total de 363 millions d'euros.
La Cour épingle deux autres médicaments fortement prescrits et qu'elle ne juge pas indispensables, notamment un vasodilatateur à base d'extraits de plantes et qui a obtenu un SMR (service médical rendu) insuffisant lors de son examen par la Commission de la transparence. Il continue cependant à être remboursé, regrette la Cour, qui en profite pour s'insurger contre le « peu d'effet de la réévaluation des médicaments intervenue en 1999-2000 ». On sait cependant que le gouvernement s'apprêterait à publier une première liste de médicaments déremboursés au SMR insuffisant.
Les généralistes sur la sellette
Pour les magistrats, il est donc clair qu'il existe un problème de prescriptions pour les personnes âgées. Et de critiquer les généralistes qui accordent, estiment-ils, un temps d'écoute trop limité aux personnes âgées. « La brièveté de la consultation ne permet pas une réévaluation régulière de la polymédication des sujets agés et l'arrêt de traitements devenus inutiles, voire dangereux », écrivent-ils, tout en regrettant que l'application d'un tarif spécial pour la visite permettant le maintien à domicile n'ait pas eu l'effet souhaité. La Cour prend l'exemple des Etats-Unis où le patient âgé est incité à faire une fois par an, avec son médecin référent, la revue de l'ensemble de ses médicaments (« Brown Back Review »). Le rôle particulier du pharmacien vis-à-vis d'une clientèle âgée, qui est très souvent fidèle, pourrait également être mis à profit, explique la Cour, notamment dans la surveillance des interactions, surtout en cas de prescriptions multiples. Et pour la Cour, « la sensibilisation de 5 % de médecins qui réalisent 30 % des prescriptions, suivie de la visite de pharmaciens-conseils, aurait sans doute plus d'impact que la multiplication des supports d'information ».
Les médicaments anti-Alzheimer épinglés
Enfin, le prérapport s'étonne qu'il existe « très peu d'analyses médico-économiques sur les médicaments anti-Alzheimer, par comparaison avec les analyses coût/efficacité » menées en grande Bretagne. Selon les industriels et certains gériatres, ces médicaments repousseraient de quelque mois le délai d'entrée en institution des patients et l'économie pourrait dès lors atteindre 26 280 euros par année gagnée. Reste, note le rapport, que, selon d'autres gériatres, ces médicaments n'économisent pas de soins puisqu'ils transforment des malades aigus en malades chroniques. « L'incertitude sur l'effet médico-économique rejoint donc l'incertitude sur les effets thérapeutiques », juge sévèrement la Cour, qui craint que la dépense de ces médicaments anti-Alhzeimer ne progresse fortement dans les prochaines années pour atteindre le milliard d'euros contre 110 millions aujourd'hui. Une progression qui serait surtout due au « développement probable de la bithérapie » (qui associe la prescription d'un anti-Alzheimer à un anticholinestérasique) et à la forte augmentation des prescriptions des généralistes.
(1) En 2001, le rapport annuel de la Cour des comptes avait traité du médicament en médecine de ville avant d'aborder, dans son rapport 2002, le problème du médicament à l'hôpital.
Le retour de Jean Marmot
Dans une tribune publiée par « Les Echos », dans leur édition du 8 juillet, Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'Industrie, s'inquiète de la fermeture récente en France de plusieurs centres de décision et de recherche en santé. Or, le secteur de l'industrie pharmaceutique a une très grande importance pour l'économie nationale, estime-t-elle.
D'où la décision du gouvernement de confier à Jean Marmot, président de chambre à la Cour des comptes et ancien président du Comité économique du médicament, une mission d'étude et de concertation, qui devra proposer à Nicole Fontaine et Francis Mer, le ministre de l'Economie, « au plus tard le 30 mars 2004, un plan d'action opérationnel visant à restaurer l'attractivité de la France pour l'implantation et le maintien des industries contribuant à l'offre de solutions de santé ».
La ministre de l'Industrie est très préoccupée par ces problèmes. On se souvient en effet qu'elle a déjà mis en place un groupe de travail chargé d'étudier les conséquences pour les firmes des déremboursements qui pourraient être décidés. Un sujet d'actualité.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature