C'EST DE NOUVEAU un constat sévère que dresse la Cour des comptes sur la politique du médicament en France. Dans la partie de son prérapport annuel sur la Sécurité sociale consacrée à ce sujet (le rapport définitif sera rendu public en septembre, comme d'habitude), les conseillers critiquent vertement la politique des pouvoirs publics en écrivant que, certes, il y a eu des progrès, mais qu'il « n'existait toujours pas de politique du médicament cohérente en France ».
L'efficacité du système complexe de taxes, de clauses de sauvegarde et de remises instituées par les lois de financement de Sécurité sociale « n'est toujours pas avérée, écrit encore la Cour dans la conclusion de son prérapport, et n'est d'ailleurs pas évaluée ».
En fait, les critiques n'épargnent ni la politique des prix des médicaments, « qui n'est pas orientée vers l'achat au meilleur prix », ni la politique conventionnelle, qui organise les rapports entre les pouvoirs publics et les industriels, et dont les résultats sont bien maigres selon la Cour, ni les taxes, « qui représentent au total, selon un calcul sommaire, environ 2 % du chiffre d'affaires du secteur, soit un pourcentage relativement modeste et stable au cours des cinq dernières années », ni l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), qui ne remplit pas sa mission d'information des prescripteurs, toujours selon les conseillers.
Pas de stratégie d'ensemble.
Et, sur ce point particulier, la Cour, dans son prérapport regrette que l'on n'ait guère tenu compte de ses observations faites en 2001 et qui mettaient en avant ces mêmes insuffisances. « Le constat dressé par la Cour en 2001, écrit-elle, demeure d'actualité :l'information indépendante, existe, mais elle est limitée, dispersée et sous utilisée. » Le résultat de cette politique d'information est très décevant, poursuivent les conseillers : « Seule une partie des avis d'AMMet [de la commission] de la transparence sont accessibles sur le site Internet, lui enlevant une grande partie de son intérêt pour les prescripteurs. De plus, on est loin d'un référentiel global sur le médicament, offrant des liens avec d'autres sources d'informations. »
On peut regretter, insiste sévèrement la Cour, « l'absence de stratégie d'ensemble de l'Afssaps sur cette question » ; et elle assure un peu plus loin qu'il est difficile de comprendre « qu'un organisme de plus de 900 agents ne parvienne pas en onze ans (l'Agence du médicament, qui deviendra plus tard l'Afssaps, a été créée en 1993), à réaliser une base de données cohérente et complète ».
Et la Cour de regretter que le fonds de promotion et d'information médicale et médico-économique (Fopim), qui dépend de l'Agence et qui a été créé par la loi de financement de la Sécurité sociale en 2001, « connaisse un démarrage tardif et lent », malgré les promesses des pouvoirs publics.
Où sont les AcBus ?
L'assurance-maladie n'est pas davantage épargnée. Il existe, accuse la Cour, un nombre important de prescriptions qui ne se justifient guère parce qu'elles n'ont pas été effectuées dans le cadre des indications de l'AMM ou qu'elles ne répondent pas aux modalités de prescriptions. Or, accuse la Cour, l'assurance-maladie n'en tire pas toutes les conséquences, comme elle devrait le faire ; et les campagnes d'information du grand public, mise à part celle relative aux antibiotiques, sont bien rares.
De plus, les accords de bon usage de soins (AcBus) avec les médecins sont « un outil peu développé » dans le domaine du médicament. Seuls ont été conclus, poursuit la Cnam, dans le domaine du médicament, un accord national (test de dépistage de l'angine pour limiter le recours aux antibiotiques) et deux accords régionaux (dans le Nord et dans le Centre), alors qu'au total 54 AcBus ont été publiés.
« Aucun des projets nationaux successivement envisagés, sur les psychotropes - autre sujet majeur -, les antiagrégeants plaquettaires, les indicateurs d'ovulation, les antiacnéiques, n'a abouti, écrit encore la Cour .Un sujet aussi important que la prescription des statines n'a fait l'objet d'aucun projet d'accord. »
Les génériques plébiscités.
Les rapporteurs s'intéressent, dans une dernière partie, aux économies potentielles en matière de dépenses pharmaceutiques et, sans surprise, ils se font les apôtres de la politique des génériques, mais sont nettement moins enthousiastes concernant la mise en place du tarif forfaitaire de responsabilité (TFR), qui consiste, on le sait, à mettre en place un tarif unique de remboursement dans les groupes génériques, quel que soit le prix du médicament.
Pour la Cour, des économies substantielles grâce aux génériques peuvent être obtenues de trois façons : augmentation du taux des génériques dans les groupes généricables, donc en encourageant la prescription de génériques dans ces groupes en lieu et place des princeps ; extension du répertoire des génériques, ce qui devrait se produire dans les prochains mois et les prochaines années, en raison de la perte de brevet de certaines grandes molécules ; enfin, baisse de prix de certains génériques.
Autres économies possibles : celles que l'on peut faire sur les médicaments à SMR insuffisant. Le rapport regrette une nouvelle fois que « trois ans après la fin de la réévaluation des médicaments, la sortie du panier remboursable des médicaments à SMR insuffisant n'ait quasiment pas été mise en œuvre ». D'autres économies pourraient être obtenues, toujours selon ce rapport, par l'augmentation de médicaments substituables à d'autres, dans l'ensemble moins chers, et par des traitements non médicamenteux. Et de déplorer que l'étude que la Cnam envisageait sur ce point n'ait pas été réellement menée.
Des économies liées aux règles de bon usage du médicament ne seraient pas négligeables non plus, selon le rapport. Les auteurs expliquent que, si ces règles de bonnes pratiques étaient appliquées s'agissant des médicaments hypolipidémiants, l'économie potentielle pourrait atteindre les 660 millions d'euros. La Cour se réfère en l'occurrence à une estimation de la Cnam qui, cependant, n'avait pas fait l'unanimité.
« Les insuffisances actuelles expliquent que les économies potentielles soient importantes, conclut le prérapport. La place du médicament dans l'ensemble des dépenses de remboursement et l'ampleur du déficit de l'assurance-maladie impliquent des réorientations majeures, qui ne devraient pas être plus longtemps différées. »
Enfin, on notera que la Cour, tout en demandant l'accélération de la réforme de la Commission de la transparence, demande que les représentants de l'industrie pharmaceutique et notamment ceux du Leem (Les Entreprises du médicament) en soient exclus, ce qui devrait provoquer une vive réaction des industriels. Mais pour la Cour, la présence du Leem « contrevient au principe d'indépendance qui devrait s'appliquer à cette instance d'évaluation, alors même que la présence de telles organisations a été progressivement supprimée dans les autres instances scientifiques, et que la procédure d'instruction des dossiers devant la Commission accorde aux entreprises des garanties renforcées ». Il n'est pas certain que l'argument soit bien reçu par les intéressés et même les pouvoirs publics qui estimaient intéressante, pour les débats, la présence des représentants de l'industrie pharmaceutique dans cette commission.
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