« Avant la création de l'Agence du médicament, l'activité de ce secteur était sinistrée par manque de moyens, il y avait deux à quatre ans de retard sur les gros dossiers ; à cette époque, l'Agence européenne du médicament était déjà en gestation, il fallait donc réagir, et Bernard Kouchner s'y est personnellement engagé. »
Parole de Didier Tabuteau, à l'époque directeur de cabinet du ministre de la Santé, Bernard Kouchner, mais aussi concepteur, accoucheur et premier directeur général de l'Agence. Résultat de la fusion entre l'ancienne direction, bien vétuste, de la pharmacie et du médicament, et du laboratoire national de la Santé, l'agence a dû se battre pour s'imposer à ses débuts, tant le climat de défiance qui entoura sa naissance fut palpable : « A l'époque, on m'a dit que cette agence allait être un monstre juridique, se souvient Didier Tabuteau ; mais malgré tout, on y a cru, et on s'est tous trouvés soudés par les oppositions qui se manifestaient .»
Et de fait, dès sa création, l'agence a dû faire face à des oppositions fortes : le Syndicat national de l'industrie pharmaceutique (SNIP) refusa tout d'abord d'y siéger, arguant du fait qu'il était « inadmissible » que les dossiers d'AMM (autorisation de mise sur le marché) déposés par les fabricants dussent comporter une évaluation du prix des produits.
De plus, l'agence étant née quelques jours avant les élections législatives de mars 1993, l'opposition UDF-RPR de l'époque, qui dénonça la « manuvre » du gouvernement sur ce sujet : Jean-Pierre Fourcade, à l'époque président de la commission des Affaires sociales du Sénat, accusa le gouvernement socialiste de faire l'amalgame entre « les problèmes scientifiques et techniques, d'une part, et les aspects économiques, d'autre part ». Bref, comme le rapporte Didier Tabuteau, « il régnait au début à l'Agence du médicament une atmosphère d'agence assiégée, nous étions un peu les aventuriers de l'agence perdue ».
Résorber un incroyable retard
Installée dès ses débuts à Saint-Denis, une banlieue proche de Paris, l'Agence du médicament employait en 1993 environ 270 personnes. Avec un défi à relever : depuis 1991, des centaines de demandes d'AMM s'entassaient dans les anciens locaux de la direction de la Pharmacie et du Médicament, avenue de Ségur, à Paris, certains attendant leur traitement depuis plus de deux ans. Didier Tabuteau s'était engagé à résorber cet incroyable retard en un an et demi, mais aussi à gérer les affaires courantes : 900 nouveaux dossiers de demande d'AMM par an, plus 1 500 modifications d'AMM, 300 à 400 dossiers économiques et 1 900 demandes de visa de publicité.
Le tout dans un contexte de défiance généralisée, sans oublier les nombreux problèmes inhérents à une nouvelle entité qui cherche ses marques. Pourtant, l'équipe a tenu parole et, fin décembre 1993, Didier Tabuteau a pu afficher ses résultats : en neuf mois, l'agence avait traité 1 300 dossiers d'AMM (un rythme de 1 600 en année pleine) et réalisé des modifications d'AMM pour 1 500 autres dossiers.
A ses débuts, malgré tout, Didier Tabuteau a pu compter sur un appui presque inattendu : le mois même de la création de l'agence, un changement de majorité eut lieu à la suite des élections législatives, et Simone Veil fut nommée à la tête du ministère des Affaires sociales. « Dans cette affaire, Simone Veil a été parfaite, reconnaît Didier Tabuteau . Elle m'a dit qu'elle avait été surprise par la réforme, mais qu'elle nous donnait un an pour faire nos preuves. Par la suite, elle nous a toujours soutenus. » Mais Didier Tabuteau ne loge pas tout le monde à la même enseigne : « Dans les administrations, il reste aujourd'hui des gens qui ne sont toujours pas convaincus du bien-fondé de cette création d'agence ; quant au monde de l'industrie pharmaceutique, il est très partagé. »
Malgré tout, au mois de mai 1994, soit 15 mois après la création de l'agence, Didier Tabuteau paraît fier de son « enfant » : « 1993 a été l'année zéro de l'agence, on a tout remis à plat, indique-t-il alors au "Quotidien" . On a restructuré les services, réorganisé les structures sanitaires. Tout cela n'a pas été facile, pourtant, les personnels ont adhéré à cette idée, ont travaillé d'arrache-pied pour rattraper le retard et pour faire de cette structure une agence de haut niveau. A la fin de l'année 1995, 450 personnes travailleront pour l'agence ». Et ce dont il est le plus fier, c'est que, grâce à l'agence, « c'est la première fois qu'on a transféré un " pouvoir de police " du ministère vers une direction d'agence qui, elle, intervient au nom de l'Etat ».
Une autre dimension
En 1998, l'Agence du médicament devient l'AFSSAPS, l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé. Un changement qui, au-delà de la formulation, révèle tout autant l'évolution des temps que la maturité prise par l'organisme. Au LEEM (Les Entreprises du médicament, ex-SNIP), Chrystel Jouan-Flahault, responsable des affaires médicales et de l'évaluation, le dit sans détour : « Avec l'AFSSAPS, on est passé à une autre dimension, et pour le médicament, par exemple, l'évaluation et la procédure ont acquis bien plus de professionnalisme .»
Finies, bien sûr, les petites bisbilles du début ; aujourd'hui, ajoute-t-elle, « le LEEM sert de médiateur ou d'interface entre ses adhérents et l'AFSSAPS ».
Philippe Duneton, actuel directeur général de l'AFSSAPS, le reconnaît lui-même : « Au fil des années, l'AFSSAPS a connu un accroissement considérable de ses missions, et, en plus du médicament, elle s'occupe désormais du sang, des dispositifs médicaux, de la thérapie génique et même des produits cosmétiques. De plus, l'évaluation des médicaments a radicalement évolué et n'a quasiment rien à voir avec ce qu'elle était il y a vingt ans. » Selon le directeur général de l'agence, celle-ci a tellement évolué au cours du temps qu'il serait aujourd'hui hasardeux de vouloir comparer l'Agence du médicament de 1993 et l'AFSSAPS version 2003 : « L'agence fonctionne bien sûr toujours sur les mêmes principes de sécurité sanitaire, mais il faut considérer qu'elle employait à peine 300 personnes à ses débuts, contre plus de 900 aujourd'hui. »
Aujourd'hui reconnue au niveau international, l'AFSSAPS travaille en synergie avec l'Agence européenne du médicament de Londres et les agences d'autres pays européens : « L'Agence européenne, précise Philippe Duneton, agit sur un nombre limité de produits et ne s'occupe que de médicaments ; elle s'appuie en partie sur le travail des agences nationales, qui ont appris à travailler ensemble, notamment en établissant des méthodes d'évaluation communes et en pratiquant l'échange d'informations sur la vigilance. »
Quant à savoir si, après dix ans de bons et loyaux services, l'AFSSAPS est arrivée à maturité, son directeur général se montre nuancé : « Oui, l'agence s'est bien déployée sur l'ensemble de ses missions, mais elle doit sans cesse faire face à de nouveaux enjeux, comme actuellement la thérapie cellulaire. Nous avons réussi à construire une entité cohérente avec une approche globale. Aujourd'hui, la situation est comparable à celle de l'Europe : nous avons réussi l'élargissement, il faut maintenant procéder à l'approfondissement. »
AFSSAPS, posologie et mode d'emploi
L'AFSSAPS est une autorité sanitaire déléguée, placée sous la tutelle du ministre chargé de la Santé.
Elle prend des décisions au nom de l'Etat.
Ses décisions reposent sur des avis fondés et motivés, élaborés en concertation selon deux principes essentiels : le processus contradictoire et la transparence.
L'AFSSAPS a hérité des compétences de l'ancienne Agence du médicament élargies à tous les produits de santé. Elle garantit, à travers ses missions de sécurité sanitaire, l'efficacité, la qualité et le bon usage de tous les produits de santé destinés à l'homme : les médicaments, les matières premières à usage pharmaceutique, les dispositifs médicaux et les dispositifs de diagnostic in vitro, les produits biologiques et issus des biotechnologies, et même les produits cosmétiques.
Neuf commissions et quatre groupes d'experts, composés d'experts scientifiques externes, sont rattachés à l'Agence, parmi lesquels : la Commission d'autorisation de mise sur le marché (AMM) ; la Commission nationale de pharmacovigilance et la Commission chargée du contrôle de la publicité et de la diffusion de recommandations sur le bon usage des médicaments.
Enfin, trois autres commissions sont directement placées auprès du ministre chargé de la Santé et de la Sécurité sociale, dont notamment la Commission de la transparence, qui fournit au ministre de la Santé un avis sur l'intérêt d'un médicament en le comparant aux médicaments existants.
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