LES PREMIÈRES lignes du rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) consacré au Mediator donnent le ton : « Dès l’origine, la stratégie de positionnement du Mediator par les laboratoires Servier était en décalage avec la réalité pharmacologique de ce médicament ». Pour l’IGAS en effet, « au moment où le Benfluorex (le nom du Mediator en dénomination commune internationale) va être mis sur le marché (en 1976), la préoccupation des laboratoires Servier est de présenter ce nouveau médicament comme ce qu’il est peut-être, un adjuvant au traitement des hyperlipidémies et du diabète de type II, et non comme ce qu’il est à coup sûr, un puissant anorexigène ».
Tout au long du premier chapitre de son copieux rapport sur le sujet, l’IGAS s’attache à démonter la stratégie qu’elle prête à Servier, soupçonné d’avoir voulu dissimuler le fait que le principe actif du Mediator, le Benfluorex, est un précurseur de la Norfenfluramine, une molécule dont les autorités de santé ont constaté dès 1995 qu’elle favoriserait l’apparition de l’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP).
L’IGAS accuse ainsi Servier d’avoir retiré une phrase évoquant ce lien entre Benfluorex et Norfenfluramine d’un document communiqué à l’AFSSAPS en 1999. Plus grave encore, le rapport précise que « la mission a eu connaissance de pressions exercées par des personnes appartenant au laboratoire Servier sur des acteurs ayant participé à l’établissement de la toxicité du Mediator ». Dans un communiqué publié peu après la publication du rapport de l’IGAS, les laboratoires Servier s’étonnent « des responsabilités que semblent leur faire porter les conclusions du rapport, qui ne leur apparaissent pas conformes à la réalité ». Le laboratoire assure avoir « toujours travaillé en étroite collaboration avec les instances de pharmacovigilance et les autorités de santé, dont ils ont scrupuleusement appliqué toutes les décisions ».
Dans un 2e chapitre, le rapport évoque « l’incompréhensible tolérance de l’Agence du Médicament (devenue l’AFSSAPS en 1998) à l’égard du Mediator ». L’IGAS note, par exemple, que lors de la validation a posteriori de l’ensemble des AMM obtenues avant 1976 (exigée par une directive européenne), « les indications thérapeutiques du Mediator sont alors réduites de façon très importante. Seule est validée en 1987 l’indication relative aux hypertriglycéridémies, mais l’indication relative au diabète n’est pas retenue. Or, cette limitation ne va pas être appliquée ». Et lorsque, finalement, cette modification d’AMM interviendra (en avril 1997), « elle sera de façon incompréhensible annulée le 5 juin 1997 », poursuit le rapport qui précise que « la firme recevra un courrier l’autorisant à maintenir la seconde indication ».
La pharmacovigilance en accusation
L’IGAS pointe ensuite « les graves défaillances du système de pharmacovigilance ». Bien que les comités techniques de pharmacovigilance (CTPV) se soient penchés sur le Benfluorex dès 1995, notamment à cause de sa dangerosité potentielle due à sa parenté avec les fenfluramines, et à cause de ses effets indésirables, « pendant 10 ans, de 1995 à 2005, ce point ne sera pas inscrit à l’ordre du jour de la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV), en dépit de 17 réunions du CPTV ».
En conclusion, l’IGAS note que « le déroulement des événements relatés dans le rapport est très largement lié au comportement et à la stratégie des laboratoires Servier qui, pendant 35 ans, sont intervenus sans relâche auprès des acteurs de la chaîne du médicament pour pouvoir poursuivre la commercialisation du Mediator pour en obtenir la reconnaissance en qualité de médicament antidiabétique ». Quant à l’AFSSAPS, elle y est qualifiée de « structure lourde, lente, peu réactive, figée dans une sorte de bureaucratie sanitaire ». Le rapport pointe enfin du doigt les ministres qui se sont succédés au portefeuille de la Santé, qui auraient géré « avec lenteur les déremboursements de médicaments à SMR (service médical rendu) insuffisant, aboutissant dans le cas du Mediator à des résultats inverses à ceux recherchés ».
Réforme du financement de l’AFSSAPS
Dans son intervention qui a suivi la présentation du rapport de l’IGAS, Xavier Bertrand a salué « un rapport rigoureux qui met en lumière des défaillances graves du système du médicament ». Le ministre de la Santé a également estimé qu’il y avait « un faisceau d’indices de la responsabilité directe de Servier dans ce drame. Il appartiendra au Parlement et à la justice d’aller plus loin ». Xavier Bertrand a rappelé que les agences sanitaires « n’ont pas apporté assez de garanties », et estime en conséquence qu’on ne peut « conserver l’agence en l’état ». Un nouveau directeur succédant à Jean Marimbert, qui a annoncé son départ, sera très prochainement nommé. Xavier Bertrand a également annoncé que l’Agence serait dorénavant financée directement par l’État, et que la pharmacovigilance pourrait être confiée à l’INVS (institut national de veille sanitaire). Avant l’été, a-t-il assuré, il proposera les grandes lignes d’une réforme des agences sanitaires.
Dans l’immédiat, Xavier Bertrand demande à l’AFSSAPS un bilan des études portant sur les 76 médicaments faisant actuellement l’objet d’un suivi pharmacologique. Le ministre veut aussi que toute convention passée entre des laboratoires et des médecins, des experts ou des sociétés savantes, soit désormais publique et consultable. Dans ce même esprit, il demande que les déclarations d’intérêt soient exigibles également pour les membres des cabinets ministériels. Enfin, le ministre de la Santé a annoncé une mission d’inspection de l’ensemble des agences sanitaires.
Quant aux conditions d’octroi des AMM, elles devraient se durcir. Xavier Bertrand souhaite à ce sujet qu’un nouveau médicament, pour obtenir une autorisation, « soit au minimum équivalent au médicament de référence dans sa classe thérapeutique ». Enfin, Xavier Bertrand a regretté que, jusqu’à présent, le doute ait bénéficié aux laboratoires. « Je veux le contraire, a-t-il indiqué, c’est à l’industriel de prouver le bénéfice, et non aux agences de prouver le risque ».
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature