C ONJUGUER le statut d' « auxiliaire » avec celui de professionnel indépendant : de prime abord une gageure, cet impératif déontologique fait l'objet d'une exhaustive revue de détail réalisée par le Dr Jean Pouillard, membre de la commission éthique et déontologie du Conseil national de l'Ordre des médecins.
Fruit d'un important travail qui a nécessité de mouliner le code pénal, le code civil tout comme le code de santé publique et le code de déontologie, son rapport, disponible sur le site Internet de l'Ordre*, a été examiné et débattu à plusieurs reprises avant d'être adopté lors de la session de février.
Commission rogatoire, réquisition ou mandat
Est appelé médecin auxiliaire de justice, rappelle l'introduction du document, le « médecin mandaté, en dehors d'une activité de soins, à la demande d'une autorité judiciaire et avec une mission précise, définie par une commission rogatoire, une réquisition ou un mandat, en vue - tant au pénal qu'au civil - d'une action de justice et seulement dans ce cas » (le médecin expert n'entre pas dans le champ du rapport).
Le médecin doit être requis dans les formes par les autorités ad hoc, le procureur de la République ou son substitut, un officier de police judiciaire (OPJ, police nationale ou gendarmerie), ou l'autorité administrative (officier d'état civil, préfet, sous-préfet, maire). Ceux-ci sont tenus de signifier la réquisition par écrit, sous forme d'injonction, sauf si l'urgence ne permet de signifier la réquisition que verbalement, la réquisition écrite devant en ce cas suivre.
Dès lors, impossible d'y échapper, sous peine d'une amende d'un montant de 25 000 F. Toutefois, des « motifs légitimes » peuvent être invoqués pour se récuser dans les six cas suivants :
le patient est un parent ou allié vivant en communauté de vie de d'intimité (concubinage, PACS) ;
c'est un collaborateur professionnel ;
il est ou il a été soigné par le médecin réquisitionné (sauf si ce dernier est le seul praticien disponible) ;
le médecin réquisitionné est sous le coup d'une inaptitude physique constatée ;
les constatations demandées par l'autorité sortent de la compétence du praticien (par exemple, ce motif peut être invoqué dans le cas d'une autopsie) ;
les conditions de lieux et d'examen sont de nature à compromettre la qualité des actes et à nuire à la confidentialité et à l'intimité indispensables à la consultation .
En outre, la réquisition ne doit en aucun cas entraîner le témoignage du médecin sur des éléments qui ressortissent de son « exercice habituel et ordinaire ». Elle ne peut s'appliquer qu'à une mission expressément décrite.
Conditions particulièrement traumatisantes
Le Dr Pouillard ajoute à ces différents motifs de récusation ceux qui sont stipulés par le code de déontologie pour les médecins chargés d'effectuer des contrôles, à savoir la confusion entre les questions posées et les intérêts personnels du médecin, ou encore l'information préalable du patient quant à la nature des examens pratiqués et au cadre légal qui les entoure. Et le médecin réquisitionné doit encore recueillir le consentement de l'intéressé sur son intervention.
Des interventions souvent délicates : dans le cas des gardes à vue, par exemple, le rapport insiste sur le fait qu' « il faut avoir constamment à l'esprit qu'il s'agit d'une procédure judiciaire dans des conditions de privation de liberté particulièrement traumatisantes pour tout individu ». L'intervention du médecin requis dans ce cadre est décisive : à lui d'apprécier, en effet, si l'état de santé du patient est compatible ou non avec son maintien dans les locaux de détention provisoire. L'examen s'effectue « dans des conditions matérielles parfois urgentes et surtout psychologiquement difficiles, le gardé à vue se présentant souvent choqué, angoissé, mutique ou au contraire revendicatif, agressif, voire assez violent ».
Délicates aussi les missions sur les personnes trouvées en état d'ivresse sur la voie publique, sur celles qui, ayant causé un accident mortel de circulation, doivent être soumises à un dépistage de stupéfiants ou encore sur les personnes pour lesquelles les services des douanes demandent un dépistage de transport de stupéfiants in corpore.
L'Ordre attire aussi l'attention sur les touchers pelviens, qui « seront pratiqués avec prudence, en cas de vaginisme, hémorroïdes, fissure anale », ou sur les fouilles au corps : « Cette réquisition nécessite la présence d'un médecin femme pour les examens des sujets de sexe féminin ; la présence d'un témoin est souhaitable lorsqu'il s'agit de mineurs. »
Au chapitre des mineurs, deux points particuliers sont soulevés : l'examen médico-psychologique du mineur délinquant, qui nécessite d'être effectué en l'absence de tiers. Et l'audition du mineur victime d'infractions sexuelles, qui peut être réalisée par le magistrat instructeur en présence d'un médecin, d'un psychologue ou d'un membre de la famille, pour éviter à l'enfant d'être seul et lui procurer un soutien moral : l'enregistrement vidéo de l'audition lui évite, depuis l'an dernier, d'avoir à renouveler son témoignage, au risque de raviver le traumatisme subi.
Dans chacune de ces situations rencontrées par le médecin mandaté par une autorité judiciaire - l'Ordre y insiste fermement en conclusion -, « il importe que la priorité soit toujours donnée à l'état de santé du patient, que l'indépendance professionnelle et le secret professionnel soient en toutes circonstances respectées ». Et si le médecin, au cours de sa mission, est amené à constater que la « personne a subi des sévices ou des mauvais traitements, il doit, sous réserve de l'accord de l'intéressé, en informer l'autorité judiciaire ». Auxiliaire de justice, le médecin réquisitionné n'en doit pas moins rester indépendant.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature