DEUX SOEURS, Olivia, 19 ans, et Fanny, 17 ans, « miraculées » d'un accident de voiture, le 10 mai 1998 – mais dans quel état (comas stades 4 et 5, oedème cérébral massif, pression intracrânienne élevée) ! Et leur mère, Blandine, la quarantaine, qui va vivre à leur chevet un long cauchemar. Huit années de combat contre la mort, l'épuisement et le désespoir, qu'elle raconte dans « Vivre malgré tout ». Les deux accidentées avaient, selon les réanimateurs, une chance sur dix de s'en sortir.
Après deux semaines entre la vie et la mort, elles quittent le service de réanimation du Chru de Lille pour le centre hélio-marin de Berck-sur-Mer (Pas-de-Calais). Face à la mer du Nord et à ses plages interminables, le temps semble s'immobiliser, en tout cas pour Olivia. Car si Fanny récupère des fonctions motrices et cognitives, en proie cependant aux sautes d'humeur paroxystiques caractéristiques des TC (traumatismes crâniens), son aînée, yeux hagards, regard perdu, corps vivant désespérément vide coincé dans son fauteuil roulant, malgré tous les efforts du Dr Pascal Rigaud et de son équipe, reste absente. Transférée dans le service du Dr Hervé Delahaye, au centre de rééducation L'Espoir, à Hellemmes (Nord), avec un personnel aux petits soins, infirmiers, aides-soignantes, kinés, ergothérapeutes, qui la «regardent comme une personne et non un cas», Olivia, un an après l'accident, se met un jour à sourire. C'est son premier signe de contact direct avec l'environnement.
Dépendance totale de la fille, désespoir de la mère.
Selon son médecin rééducateur, elle a quitté l'état végétatif pour entrer dans un état paucirelationnel. Mais, huit années plus tard, force est de constater qu'elle n'ira jamais au-delà. Huit années de vie prisonnière. Dépendance totale de la fille, angoisse, désespoir, épuisement de la mère. Blandine Leurent-Deschodt évoque le souvenir de Vincent Humbert, lui-même hospitalisé en 2003 dans le service du Dr Rigaud, tétraplégique après un accident de voiture et qui a demandé à sa mère son aide pour mourir. «Si tu savais, Olivia, écrit-elle, combien mon coeur de mère a rejoint cette maman (Mme Humbert) . J'ai compris l'abandon de ce jeune et le soutien que sa maman lui a apporté. Perdre un enfant est une épreuve terrible, une blessure profonde. Autoriser son fils à s'en aller est un acte d'amour. Voir son enfant souffrir est crucifiant et l'accompagner dans ce chemin de souffrance est épuisant. Mes mots sont pesés: si souvent, ils m'ont manqué pour exprimer l'intensité de ma douleur et de mon désespoir.»
Le livre en appelle alors aux médecins, et particulièrement aux réanimateurs : «Je voudrais qu'ils réfléchissent encore et toujours aux enjeux et aux conséquences de la réanimation, quel que soit l'âge du patient. J'insiste sur la nécessaire remise en question de la pratique à la source, c'est-à-dire dans les premières minutes, lors des premiers secours, des premiers soins; à quoi conduira la réanimation à tout prix? Qui paiera l'addition? Qui peut évaluer le prix des souffrances, des sacrifices, des combats, qu'il faudra assumer pendant des années?»
Pourquoi, cependant que les urgences réalisent des prouesses de plus en plus remarquables pour sauvegarder le processus vital, les conséquences des atteintes cérébrales restent-elles si mal évaluées, pour cette foule de personnes accidentées et qui resteront handicapées à vie ? Bref, pourquoi continuer de pratiquer l'acharnement thérapeutique sur des traumatisés qui resteront à jamais physiquement et mentalement handicapés, totalement dépendants ?
Parce qu'elle-même «paie l'addition» de toutes ces questions sans réponse et que l'on évite, depuis des années, de poser, la maman d'Olivia et de Fanny conclut par une supplique testamentaire : «Si je me trouve un jour dans un état d'inconscience où les séquelles sont inévitables, j'exige que la réanimation soit interrompue. Je préfère quitter cette terre sereine et sans souffrance. Le combat a été trop dur, je n'aurai pas la force de recommencer (…) Il faut bien mourir un jour. Accepter ce passage sur l'autre rive.» Une dernière volonté qui se réclame de l'amour de la vie.
« Vivre malgré tout », de Blandine Leurent-Deschodt, Presses de la Renaissance, 250 pages, 18 euros.
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