« Les coordinations de médecins généralistes ne sont ni mortes ni en état de déliquescence », prévient d'emblée leur porte-parole national, le Dr Jean-Marc Rehby. La coordination nationale pourrait même décider de nouvelles actions lors de son assemblée générale prévue le 12 octobre prochain à Marseille.
Apparues en début d'année lors du durcissement de la grève des gardes, les quelque soixante-quinze coordinations départementales de médecins généralistes font maintenant moins parler d'elles ; car elles ont cessé leurs déconventionnements en chaîne à la suite de la revalorisation de la consultation généraliste à 20 euros. Tous les médecins généralistes qui avaient demandé au printemps leur déconventionnement l'ont, depuis, suspendu par courrier, et cela avant même qu'il ne prenne effet. Dans la Mayenne, par exemple, le Dr Luc Duquesnel, responsable de la coordination départementale des généralistes, participe désormais à la réunion mensuelle de sa caisse primaire d'assurance-maladie (CPAM) pour le suivi de l'accord sur le C à 20 euros, alors que sa coordination fut la première à poster une centaine de lettres de déconventionnement en mai.
Les coordinations départementales ne se sont pas assagies pour autant. Elles jugent toujours insuffisant l'avenant n° 10 de la convention des généralistes, qui a augmenté le C à 20 euros et la visite à 30 euros en contrepartie d'engagements des praticiens sur les prescriptions de médicaments en dénomination commune (DC) et en génériques. Les coordinations boycottent toujours la télétransmission des feuilles de soins électroniques (FSE), indemnisées à hauteur de 6 centimes chacune et dont elles évaluent le coût réel à « plus de 1 euro ». Surtout, en l'absence de solutions locales, les coordinations « poursuivent la grève des gardes dans beaucoup d'endroits », précise le Dr Rehby, « même si l'UNOF (branche généraliste du syndicat CSMF, NDLR) considère qu'il n'y a plus de grève ».
Cette grève des gardes n'a pas empêché les coordinations de médecins généralistes de plancher pendant l'été sur la permanence des soins. Elles ont rédigé ensemble une nouvelle version de l'article 77 du code de déontologie médicale, remplaçant la garde obligatoire par un système de permanence des soins coorganisé par les praticiens, hors du champ conventionnel, et « suffisamment incitatif pour permettre à chaque médecin d'y adhérer volontairement ».
Une aubaine pour la FMF
Mais, pour faire valoir leurs propositions sur la permanence des soins comme sur d'autres thèmes, les coordinations ont décidé de figurer officiellement sur l'échiquier syndical (« le Quotidien » du 11 juillet). Toujours animées par « la volonté de peser sur le cours des choses », selon le Dr Rehby, les coordinations ont accepté d'entrer dans le rang d'une centrale, la Fédération des médecins de France (FMF), qui n'a pas signé l'accord sur le C à 20 euros et revendique une liberté totale pour la fixation des honoraires. Les généralistes des coordinations auraient même été encouragés en haut lieu à intégrer un syndicat. « (Le ministre de la Santé) Jean-François Mattei nous a dit à plusieurs reprises "Syndiquez-vous !" lorsqu'il nous a reçus », rapporte en effet le Dr Antoine Leveneur, porte-parole de la coordination du Calvados. Le mot d'ordre a, semble-t-il, été bien suivi. Le président de la FMF, le Dr Jean-Claude Régi, refuse de révéler le nombre exact de nouvelles adhésions, mais reconnaît qu' « une dizaine de nouveaux syndicats départementaux ont été créés »ex nihilo au sein de sa fédération, en particulier dans le Calvados, le Finistère, le Nord - Pas-de-Calais, le Var et le Territoire de Belfort. Selon différentes sources, entre 900 et 2 300 médecins généralistes auraient déjà rejoint la FMF pendant l'été. Les départements du Calvados et du Finistère ont fourni à eux seuls un bataillon de plus de 400 médecins généralistes issus des coordinations.
L'enjeu du ralliement à la FMF est double. D'une part, il permet aux responsables de la coordination nationale des médecins généralistes d'obtenir très vite un ticket d'entrée à la fois aux négociations conventionnelles et aux trois groupes de travail ministériels que Jean-François Mattei a lancés sur la permanence des soins, la démographie et la formation médicale continue.
La représentativité en jeu
D'autre part, les membres des coordinations espèrent gonfler suffisamment les effectifs de la FMF pour que cette dernière soit reconnue représentative pour les généralistes (ce qui n'est pas le cas aujourd'hui). Si l'enquête de représentativité actuellement en cours aboutit favorablement, la FMF sera ainsi habilitée à signer la future convention qui doit être négociée avant la fin de l'année entre les syndicats de médecins libéraux et les caisses d'assurance-maladie.
Pour le Dr Dinorino Cabrera, président d'une centrale concurrente, le Syndicat des médecins libéraux (SML), le pari des coordinations et de la FMF est perdu d'avance. « L'enquête de représentativité prend en compte l'expérience, l'ancienneté, les résultats des centrales syndicales aux élections professionnelles de 2000, ainsi que les justifications d'adhésions des quatre dernières années avec exercice clos, c'est-à-dire jusqu'en 2001 seulement », souligne le Dr Cabrera. « Donc, ceux qui croient qu'ils vont pouvoir modifier le cours des choses avec des adhésions de dernière minute se trompent », affirme le président du SML.
Pourtant, le président de la FMF se montre optimiste en attendant les conclusions de l'enquête de représentativité qui pourraient être connues à la fin du mois. La « fabuleuse vague d'adhésions » a, selon le Dr Régi, « enclenché une dynamique dans laquelle la FMF peut prétendre à la représentativité des médecins généralistes ». Il espère que les pouvoirs publics ne se limiteront pas aux seuls critères officiels, car « beaucoup de gens en France comprendraient mal qu'on ne tienne pas compte de cet élan nouveau, qui s'est produit dans une période défavorable (la trêve estivale, NDLR) ».
Les médecins généralistes des coordinations ne sont d'ailleurs pas les seuls à rejoindre la FMF. Le président de MG-France, le Dr Pierre Costes, observe avec amusement que « la FMF devient le réceptacle du courant ultralibéral, et donc anticontrat, chez les médecins », par opposition à MG-France et aux centrales CSMF (Confédération des syndicats médicaux français) et SML qui ont fait le choix d'une convention avec les caisses.
Récemment, cinq membres du SML de Loire-Atlantique ont quitté leur syndicat pour la FMF (« le Quotidien » du 3 septembre). La CSMF fournit aussi des transfuges. « Un gastro-entérologue de Brest, vieux confédéré, est passé chez nous », se félicite le président de la FMF. De même, selon le Dr Leveneur, « une trentaine d'adhérents de l'UNOF-CSMF ont choisi la FMF dans le Calvados ». Et la liste ne serait pas close.
Les coordinations de spécialistes en « guerre »
La FMF est également un pôle d'attraction pour les coordinations de médecins spécialistes qui affirment rassembler aujourd'hui « plus de 5 000 » praticiens de secteur I. Moins nombreuses et plus récentes que leurs équivalents généralistes, les coordinations des médecins spécialistes sont au moins aussi déterminées, sinon plus. Selon l'un des deux porte-parole de la coordination nationale fondée en juin, le Dr Bernard Cristalli, « plus de la moitié des spécialistes de ville français n'appliquent plus les tarifs conventionnels », inchangés pour eux depuis sept ans. Exaspérés et désespérés, ces spécialistes « sont en guerre », souligne le Dr Cristalli, qui a adhéré, lui aussi, à la FMF et tient à se démarquer de la stratégie actuelle des centrales SML et CSMF. Les spécialistes « comprennent que les finances ne permettent pas de leur accorder d'augmentation, qu'ils ne demandent pas d'ailleurs, mais ils ne veulent pas être les dindons de cette farce », explique ce gynécologue-obstétricien. « Le seul mot d'ordre qu'ils appliquent dorénavant est d'appliquer les honoraires qui leur semblent justes et nécessaires pour continuer à exercer dans des conditions sûres. La survie d'une offre de soins plurielle en dépend. Ils sont prêts à tout pour la maintenir car ils n'ont plus rien à perdre », poursuit le Dr Cristalli. Il soutient que les spécialistes n'ont « plus confiance » dans leurs syndicats, ni dans les gouvernants ni dans les organismes d'assurance-maladie, et que, « pour beaucoup, la sortie du système conventionnel (n'est) plus une hypothèse redoutée mais un moyen salutaire, voire un but avoué ».
Ni éphémères,
ni suicidaires
Toutefois, cette ligne ultralibérale n'est pas suivie par l'ensemble des membres de la coordination nationale des médecins spécialistes (CNMS). En effet, le second porte-parole de la CNMS, le Dr Jean Leid, « se refuse à donner un mot d'ordre de déconventionnement qui serait suicidaire » (en raison de la fuite des patients qui ne sont pratiquement plus remboursés). « Nous n'avons pas le temps de réformer les règles du jeu, mais nous voulons convaincre ceux qui vont signer la future convention de changer leur façon de voir », précise le Dr Leid, qui est aussi administrateur du Syndicat national des ophtalmologistes de France (SNOF). « Nous, les "secteur I", sommes majoritaires parmi les spécialistes, donc la base n'accepterait jamais que, en fin d'année, la nouvelle convention maintienne les avantages acquis des praticiens du secteur II sans que le secteur I ait une lueur d'espoir concernant un espace de liberté tarifaire », avertit le Dr Leid. Il a rassemblé 1 500 lettres de confrères ophtalmologistes de secteur I demandant à leur caisse leur passage au secteur II, alors que celui-ci est strictement réservé depuis 1989 aux anciens chefs de clinique et assistants des hôpitaux. Le Dr Leid a fondé une association chargée d'engager une action en justice en vue d'obtenir à terme le passage en secteur II de tous les spécialistes qui le souhaitent. En attendant, la CNMS profite des journées d'actions organisées par les différentes spécialités pour promouvoir ses propres points de vue, au risque peut-être de brouiller son message.
Une chose est sûre, les coordinations des médecins généralistes et spécialistes veulent prouver qu'elles n'ont rien d'éphémère. Attachées au « lien direct avec la base » et rejetant les « querelles de pouvoir au sein des syndicats », elles pourraient unir leurs forces à l'avenir. Au-delà des contacts qui existent déjà au niveau local, le Dr Rehby, chez les généralistes, et le Dr Cristalli, à la CNMS, n'excluent pas en effet un rapprochement des deux coordinations nationales.
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