LA DÉCLARATION d'impôt est un excellent baromètre pour mesurer l'impact des réformes en cours et des choix tarifaires sur le revenu des médecins libéraux. Qui a gagné en 2006 ? Qui a perdu ?
Le bilan fiscal du réseau des associations de gestion agréées (AGA) de l'Union nationale des professions libérales (Unapl), qui repose sur des effectifs significatifs (13 400 généralistes, 1 300 psychiatres, 1 000 radiologues, 1 000 ophtalmos, 900 chirurgiens généraux…), montre des résultats inégaux : le cru 2006, année de l'entrée en application des pénalités pour les patients qui consultent hors parcours, se révèle moyen pour les généralistes, décevant pour plusieurs spécialités cliniques – trois d'entre elles ont même subi des pertes sèches – et correct, voire excellent, pour la plupart des disciplines techniques, qui accentuent leur avance dans l'échelle des revenus.
Même si chaque médecin ne se retrouvera pas dans ces résultats (les moyennes recouvrent des réalités disparates), il est clair que ni la réforme de 2004 ni la convention de 2005 ne réduisent les disparités de revenus en médecine libérale. Etat des lieux.
Médecins généralistes: +1800 euros par praticien
Après une année 2005 moyenne (+ 3,9 % de hausse du bénéfice), les généralistes enregistrent une progression encore plus timide en 2006 (+ 2,4 %). Une augmentation à peine plus élevée que l'inflation cette année-là (+ 1,7 %). En déclarant 77 600 euros en moyenne, les 13 400 généralistes affiliés au réseau des Aga de l'Unapl affichent un supplément de revenus annuel de 1 800 euros par rapport à 2005.
Plusieurs facteurs expliquent ce résultat mitigé.
L'activité totale des généralistes (C + V), dans un contexte épidémique faible, a été quasiment stable en 2006 par rapport à 2005. Pour nombre de médecins de famille, elle a même ralenti. Comme l'avait annoncé la Cnam, la montée en charge du dispositif du médecin traitant n'a pas provoqué l' «explosion» des consultations généralistes que certains avaient redoutée.
Au chapitre des tarifs, en revanche, l'année 2006 a été marquée par plusieurs revalorisations qui ont dopé quelque peu les revenus. A l'augmentation de 1 euro du C, intervenue au 1er août 2006 (+ 5 %), qui a porté ses pleins effets sur cinq mois, il faut ajouter la montée en charge des forfaits « ALD » de 40 euros pour le médecin traitant (1). Les généralistes ont aussi bénéficié de revalorisations « périphériques » : hausse de 1 euro de la majoration de coordination (MCG) pour le généraliste correspondant (qui a surtout profité aux médecins à exercice particulier (MEP), majoration de 3 euros pour les consultations réalisées auprès des enfants de 2 à 6 ans (avril). Quant à l'alignement du tarif de la visite sur celui de la consultation, il n'était intervenu qu'en fin d'année (novembre), à l'issue d'un feuilleton conventionnel. Son effet 2006 est donc marginal.
Autre enseignement : selon le bilan de l'Unapl, les charges professionnelles du généraliste ont légèrement diminué en 2006. Sur 100 euros de recettes (honoraires), il reste désormais 58,9 euros de bénéfice imposable après déduction des frais et charges diverses contre seulement 57,6 en 2005. La marge du généraliste est donc moins « grignotée », un constat à relativiser dans les grandes villes où les charges locatives ont grimpé.
Au sein des généralistes, on relève des écarts considérables entre le quart de médecins le plus fortuné dont le bénéfice dépasse 125 000 euros (comparable à celui d'un ophtalmo) et le moins favorisé, 38 000 euros (proche du revenu de l'infirmière). Les disparités régionales se révèlent également importantes puisque le généraliste du Languedoc-Roussillon émarge à 60 500 euros, lorsque son confrère du Nord-Pas-de-Calais a déclaré 81 700 euros (lire page 4).
Quoi qu'il en soit, la progression modeste du bénéfice 2006, loin des pics de 2002 (+ 15 %) et de 2003 (+ 8,4 %), est diversement appréciée par les syndicats. Pour le principal adversaire de la convention, MG-France, ce bilan montre l' «impasse» de la voie actuelle. Son président, Martial Olivier-Koehret, stigmatise «l'opacité et la désorganisation totale du parcours desoins qui font perdre du sens au système et de l'argent aux médecins généralistes». A l'inverse, Michel Combier, chef de file des généralistes de la Csmf, se dit «conforté» dans la démarche engagée par les partenaires conventionnels depuis 2005. «Les revenus progressent pour la deuxième année de suite. Nous sommes dans le vrai. L'activité est stable, ça veut dire qu'on troque des volumes contre une meilleure rémunération. L'idée, ce n'est pas de gagner toujours “plus”, mais de gagner “mieux”. Le médecin traitant sécurise les généralistes. Certains responsables devraient tenir un discours décent sur les revenus quand on voit la situation du pouvoir d'achat de la majorité des Français.»
Spécialistes: le choc (plus ou moins) amorti du parcours de soins
Le « filtrage » du médecin traitant, la communication dissuasive de la Cnam sur le recours direct au spécialiste et l'entrée en vigueur en janvier 2006 des pénalités financières pour les patients « hors piste » (augmentation du ticket modérateur de 30 à 40 %, qui vient de passer à 50 %) se sont traduites par un moindre recours aux spécialités « cliniques ».
La Caisse avait reconnu une baisse de 4 % du nombre de CS tout en affirmant que «ce choc» avaitété «amorti» par la revalorisation symétrique des consultations des spécialistes dans le parcours de soins (hausse des majorations de coordination, augmentation du C2 au 1er août) et par des mesures d'accompagnement ciblées pour les disciplines « perdantes ». Ce n'est que partiellement exact. Pour la deuxième année consécutive, les endocrinologues (– 5,1 %) et les dermatologues (– 1,4 %), deux disciplines au bas de l'échelle, ont essuyé une perte nette de leur revenu. Quant aux psychiatres, discipline en partie protégée par un accès direct pour les moins de 26 ans, leur bénéfice imposable a diminué de 2 %.
Pour toutes les autres spécialités, le revenu progresse à nouveau en 2006 de 2 à 14 % (voir tableau), mais sans toujours compenser les pertes de l'année précédente. Néanmoins, plusieurs disciplines qui avaient souffert financièrement en 2005 (rhumatologues, ORL, cardiologues…), sous l'effet de la communication dissuasive des caisses, tirent à nouveau leur épingle du jeu avec des progressions de leur bénéfice comprises entre 5 et 11 %. Et toujours, selon les déclarations colligées par l'Unapl, cinq disciplines (radiologues, anesthésistes, néphrologues, gastro-entérologues, anapaths) enregistrent en 2006 une progression à deux chiffres de leur bénéfice. D'une manière générale, le rythme de hausse est nettement plus rapide pour les « techniciens », qui bénéficient de la montée en charge de la nouvelle tarification Ccam (180 millions d'euros pour la première étape), que pour les « cliniciens », déjà au bas de l'échelle des bénéfices et pour lesquels la réforme des consultations est toujours dans les limbes. D'où les voix qui s'élèvent à nouveau pour réclamer une politique des honoraires plus redistributive. Dans son avis adopté en mai 2007, le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie avait suggéré «l'objectif d'une résorption des écarts non justifiés de revenus entre les médecins» et la nécessité d'une «promotion des spécialités délaissées». Pour Olivier Aynaud, secrétaire général de l'Unapl, «certaines spécialités bénéficient d'un effet démographie comme les chirurgiens, les gynécologues-obstétriciens ou les ophtalmologues. Pour eux, la hausse du revenu s'accompagne d'un surcroît d'activité et on peut s'interroger sur leur qualité de vie».
(1) L'institution du forfait ALD pour le médecin traitant, ramenée à la valeur du C, équivaut à un supplément de 0,93 euro.
Les spécialités techniques accentuent leur avance
En tête du baromètre des revenus, on retrouve depuis quelques années le même tiercé de spécialités techniques (voir tableau page 4). Avec 184 000 euros de bénéfice imposable (les données fiscales ne concernent pas les praticiens qui exercent en sociétés d'exercice libéral - SEL), les radiologues affiliés au réseau des Arapl devancent les anesthésistes (170 200) et les chirurgiens généraux (149 500). Au bas de l'échelle, les « cliniciens » se disputent les places dans un ordre qui varie depuis deux ans au gré des revalorisations, de l'impact du parcours de soins et des éventuelles mesures d'accompagnement. Pour 2006, on constate une remontée du pédiatre (pas concerné par le dispositif du médecin traitant) qui dépasse le psychiatre et le dermatologue, deux spécialités dont le bénéfice a baissé. Comme en 2005, cinq spécialités cliniques se classent derrière le médecin généraliste en 2006. Loin de se résorber, les écarts de revenus entre les disciplines à forte densité d'actes cliniques et celles à forte composante d'actes techniques se creusent. Du simple au triple, entre l'endocrinologue et le chirurgien général, du simple au double entre le pneumologue et l'anesthésiste.
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