DE NOTRE CORRESPONDANTE
DANS LA SALLE D'ATTENTE du centre médico-psychologique de la Belle-de-Mai, quartier populaire de Marseille, quelques hommes ont le visage buriné de ceux qui vivent dans la rue. L'un d'eux interroge la dernière arrivante : « C'est le docteur, que vous venez voir ? »« Oui. » Air de commisération mêlé de fierté : « Moi, c'est pas le docteur, c'est l'assistante sociale. » A l'étage du dessus, dans les bureaux de l'association Arpsydemio, d'autres patients ont réussi à surmonter le déni de la maladie psychiatrique. Aujourd'hui, ils participent à la préparation de la Semaine d'information sur la santé mentale (jusqu'au 20 mars). Et quand on parle devant Fabrice d' « anciens patients », il rectifie avec simplicité : « Non, nous sommes tous des patients en cours de traitement. » Il vient d'ailleurs de créer l'association Phoebus, qui regroupe des patients de psychiatrie organisant ensemble leurs loisirs. « Il faut que nous ayons un rôle actif, que nous arrivions à nous gérer nous-mêmes, à nous responsabiliser, les plus solides aidant les plus faibles », explique-t-il. Une première expérience de voyage à Barcelone entre patients sans accompagnateur l'a renforcé dans cette conviction. « En dehors des traitements, si nous avons besoin des médecins, c'est surtout pour répondre à certaines de nos questions ; en ce moment, nous voulons par exemple savoir si, dans notre nouvelle association, nous pouvons proposer toutes les activités à tous les types de malades, qu'ils soient autistes ou schizophrènes. »
Tous n'ont pas les idées et le langage aussi clairs. Mais ils viennent tout de même pour « faire quelque chose » et pour ne pas rester isolés. « Dans mon foyer, on ne fait que jouer aux cartes, moi ça ne me plaît pas », dit l'un d'eux. Un jeune homme qui habite dans sa famille explique qu'il vient pour se sentir utile et pour parler de ses problèmes « avec des gens qui ont connu les mêmes et qui ne jugent pas mal ».
Changer l'image de la psychiatrie.
Aimée Liautaud, secrétaire générale d'Arpsydemio, est, elle, maman d'un jeune autiste que les troubles du comportement obligent à de longs séjours en hôpital psychiatrique, faute de place dans une structure appropriée. « Je me suis toujours battue pour faire reconnaître la place des usagers de la santé et faire changer l'image de la psychiatrie », explique-t-elle, se félicitant de l'existence d'Arpsydemio. En voulant regrouper malades, familles et professionnels pour concevoir et réaliser ensemble des projets de « sortie du ghetto », le Dr Dolorès Torres, fondatrice et présidente de l'association est une pionnière, poursuit-elle.
« Longtemps, le médecin a été considéré comme le seul compétent pour poser son regard sur les malades mentaux, mais les familles et les usagers eux-mêmes nous disent des choses que nous ne pouvons pas savoir et qui sont capitales », souligne le Dr Torres, qui insiste : « Nous voulons transformer ensemble les représentations très négatives des maladies mentales, qui ont des répercussions catastrophiques sur l'accès aux soins : consulter un psychiatre fait peur. » Une peur présente quel que soit le niveau socioculturel : « Les classes les plus aisées peuvent maintenant admettre la dépression, mais refusent toujours la schizophrénie et les troubles bipolaires, tout comme le font les plus pauvres. »
Le poids de la misère.
Chef de secteur psychiatrique d'un quartier très défavorisé, le Dr Torres voit le poids de la misère s'ajouter au poids de la maladie : « Leur préoccupation est déjà de survivre au quotidien, se nourrir, se loger. On ne peut pas imaginer la situation des personnes que nous suivons, elles sont littéralement écrasées par la misère. Les faire sortir de l'hôpital, c'est les envoyer à la rue. » Elle cite le cas d'un jeune schizophrène de 20 ans, stabilisé au cours de son hospitalisation et qui devrait sortir en bénéficiant d'un suivi au centre médico-psychologique. Mais la maman du jeune homme est venue la supplier de le garder, en expliquant qu'il était mieux à l'hôpital que dans sa famille : ils vivent à huit dans un garage. Dans le meilleur des cas, les malades de ces quartiers partagent une chambre avec d'autres membres de leur famille et leurs moments d'agitation entraîne leur rejet. « Sans famille, ni logement ni travail, comment peuvent-ils retrouver une place dans la société ? », interroge le médecin.
Arpsydemio a fait de l'accueil en ville l'un de ses chevaux de bataille. Le secteur psychiatrique dont dépend ce quartier, rattaché à l'hôpital Edouard-Toulouse, compte en effet une file active de 1 300 patients ambulatoires (contre 200 hospitalisations) et le centre médico-psychologique de la Belle-de-Mai suit actuellement 800 patients, avec quatre infirmières, une assistante sociale et demie, trois psychiatres et deux psychologues consultant simultanément. « On ferme des lits, on supprime des postes, il y a de plus en plus de besoins, nos missions augmentent et on ne donne pas plus de moyens à l'ambulatoire, on ne crée pas de structures pour ceux qui sortent de l'hôpital », regrette le Dr Torres.
L'association est parvenue à obtenir 17 logements pour y accueillir des patients stabilisés, mais « le problème s'aggrave avec la pénurie de logements à Marseille ». Une convention passée avec un foyer Sonacotra met une chambre à la disposition de l'association, pour un patient qui attend sa sortie d'hôpital, contre une permanence psychiatrique hebdomadaire proposée aux autres résidents. Mais la plupart des foyers ou des centres d'aide par le travail sont complets et réticents à accepter des personnes sortant d'hôpital psychiatrique.
« La société est hostile et il n'y a pas de structure adaptée dans la cité : il faut non seulement des hébergements, mais aussi des structures de jour, des passerelles pour devenir ou redevenir citoyens », soulignent les membres de l'association Arpsydemio. Outre le manque d'intervenants en psychiatrie, ils constatent le manque d'assistantes sociales dans les autres structures avec lesquelles l'association est appelée à travailler, et le manque de temps de ces travailleurs sociaux pour se former à « décoder le mal-être » et orienter les patients. Dégradation aussi du côté des associations chargées de créer un lien social dans les quartiers, qui voient leurs subvention diminuer ou disparaître alors qu'elles sont souvent de précieux relais pour les intervenants en psychiatrie. Parallèlement à la sensibilisation du public, Arpsydemio souhaite, à travers ses actions, faire prendre conscience aux tutelles de la nécessité de rompre « ce clivage entre sanitaire et social qui bloque toute évolution du système de soins ». Contactant régulièrement les médias, n'hésitant pas à tenir un stand sur les marchés, participant à des commissions de travail avec la mairie de secteur, avec les représentants des collèges ou de la police judiciaire pour les problèmes d'adolescents, l'association marque peu à peu sa place dans le quartier : « On fait moins peur. » Un ensemble de tâches très lourd pour tous les bénévoles et qui, pour le Dr Torres, s'ajoute au travail habituel de psychiatre et de chef de secteur. Mais, dit-elle, « il faut le faire si l'on veut sortir du ghetto ».
Travail en réseau
Arpsydemio (Association de recherche et de formation en psychiatrie et en épidémiologie) s'est créée il y a cinq ans dans les quartiers nord de Marseille autour de soignants bénévoles du 12e secteur de psychiatrie. Pour faciliter l'intégration de la santé mentale dans la cité, elle souhaite développer le travail en réseau et recherche donc le contact avec les médecins libéraux et les professionnels sanitaires et sociaux du quartier, ainsi qu'avec les autres associations. La liaison avec le réseau précarité et avec Médecins du Monde (dont le centre de soins est situé dans le même quartier) est permanente. Des psychiatres libéraux travaillent aussi actuellement avec Arpsydemio pour développer des hébergements à partir d'établissements privés.
Depuis sa création, Arpsydemio organise dans le cadre de la Semaine d'information sur la santé mentale un colloque de deux jours réunissant psychiatres, généralistes, soignants, familles, usagers et élus, venus de toute la France pour échanger sur un thème touchant la prise en charge des patients psychiatriques (cette année, les 17 et 18 mars à l'hôpital de la Timone, sur « soin et construction sociale du sujet »). Elle y ajoute toujours une ouverture sur le public, avec, cette année, la projection du film « Histoire de Paul » dans un cinéma de la ville suivie d'un débat en présence du réalisateur René Ferret, qui a vécu une expérience d'enfermement et témoigne que l'on peut s'en sortir.
Avec des bénévoles d'autres associations, des représentants des habitants et l'aide de la mairie, elle vient de publier un « passeport senior », largement diffusé chez les médecins, les pharmaciens et dans les associations, qui recense les informations et services susceptibles de soutenir la « solidarité de proximité » dans le cadre du maintien à domicile et du réseau de géronto-psychiatrie.
Arpsydemio participe par ailleurs à des enquêtes épidémiologiques et établit des partenariats avec les pays du pourtour méditerranéen, en association avec le Centre collaborateur OMS en santé mentale, afin de promouvoir des actions de recherche et de formation.
L'association mettra en service dans les prochaines semaines un site Internet qui permettra de mieux faire connaître ses actions.
Arpsydemio, 150, rue de Crimée, 13003 Marseille, tél. 04.91.50.36.13.
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