C'est un article du « Quotidien du Médecin » annonçant l'opération de parrainage de médecins de campagne maliens qui a « interpellé » le Dr Odile Lhuillier, généraliste à Dramané, village de la Meuse. « Cela m'est apparu comme une opération directe et claire. Il s'agissait de donner un coup de main efficace à ces confrères, sans se mettre à leur place car on ne peut pas se mettre à la place des gens partout dans le monde », explique-t-elle.
Elle a alors adhéré à l'association Santé Sud (crée par des médecins à Marseille et qui soutient depuis 1984 des projets de développement santé) et elle est devenue « marraine ». Depuis, elle verse mensuellement le montant d'une consultation et s'est par ailleurs portée volontaire pour un échange avec un médecin malien.
C'est ainsi que le Dr Lhuillier est partie pour la première fois en Afrique au printemps dernier et a partagé pendant quinze jours l'exercice du Dr Djougoussa Traoré dans un village de la région de Kayes, à près de 600 kms de Bamako, avant de recevoir la jeune femme dans son cabinet de Montmédy. « Je suis arrivée là-bas au moment où nous venions de nous bagarrer pour nos 20 euros et je me sentais un peu mal à l'aise », dit-elle.
Seule médecin pour une zone de 10 000 habitants, aidée d'une matrone pour les consultations prénatales et les accouchements et d'un aide-soignant, sa consur africaine exerce dans un centre de santé communautaire. Lequel est géré par les habitants, financé par les Maliens expatriés en France et par une participation de 100 francs CFA à chaque première consultation. Le médecin est liée au centre par un contrat qui lui assure un petit salaire.
D'autres cabinets que le Dr Lhuillier a pu visiter dans des zones voisines étaient mieux équipés, mais ici, à Dramané, le centre ne bénéficiait ni d'eau courante ni d'électricité, n'avait pas de vitres aux fenêtres, son matériel était vétuste et il était dépourvu de laboratoire d'analyse. L'éclairage était assuré par des panneaux solaires, « mais le circuit était défectueux et nous avons été privés d'électricité plus de quinze jours en attendant le passage de l'électricien venant de Bamako. Là-bas, tout est long et compliqué par le manque de moyens », constate le Dr Lhuillier, qui dit aussi son étonnement face à la gravité des pathologies : « Les patients ont d'abord recours à la médecine traditionnelle et ne consultent que tardivement. J'ai vu des pathologies à un stade très évolué et des maladies infectieuses et parasitaires inhabituelles. J'ai eu aussi le privilège de faire un accouchement pendant que ma consur était occupée par des soins à des blessés. » Les patients n'ont pas montré de réticences à l'égard de cette jeune femme blonde, « sauf quelques jeunes enfants qui étaient effrayés par la couleur de ma peau ; Djougoussa, elle, travaille souvent avec sa fille de 16 mois sur le dos, ce qui facilite les contacts ». Sur sa vieille Mobylette, le Dr Traoré a aussi emmené sa consur en consultation dans les villages environnants.
Motivation et savoir-faire
Cependant, Odile Lhuillier n'a pas rapporté d'Afrique une vision misérabiliste : « Il y a là-bas tellement de ressources humaines et ils s'organisent pour donner de meilleures conditions de vie à la population. Les médecins ont une telle ténacité, une telle motivation, un tel savoir-faire ! Les malades se présentent dans des états si catastrophiques que l'on se dit qu'ils vont mourir, mais le médecin arrive à les soigner », explique-t-elle. « Faute de pouvoir recourir à des examens complémentaires, ils travaillent sur la base unique de l'examen clinique. Dans les cas les plus difficiles, Djougoussa a aussi la possibilité de faire faire des échographies par son confrère installé dans un village de l'aire de santé périphérique ; c'est également lui qui pratique les interventions chirurgicales telles qu'hernies inguinales ou hydrocèles », dit-elle avec admiration.
Elle note que l'évolution de la santé est très lente et que les médecins nouvellement installés doivent se rendre indispensables pour attirer peu à peu les populations vers des soins encore limités mais de bonne qualité. D'où la nécessité de leur donner le coup de pouce de départ qui les aidera de façon décisive. On constate déjà une meilleure reconnaissance officielle de ces médecins : le gouvernement, qui, comme l'ancienne administration française, faisait reposer sa politique de santé rurale sur les seuls infirmiers, confie maintenant à ces nouveaux médecins des tâches de santé publique, la vaccination des enfants notamment.
A la botte des patients
Cet été, le Dr Traoré est venue découvrir à son tour l'exercice de sa consur française et n'a pas cessé de s'étonner après chaque consultation : « Encore un qui n'avait rien ! ». Chez nous, explique-t-elle, « il est rare que les malades arrivent sur leurs deux pieds, ils arrivent même souvent trop tard. Et quand nous voyons de simples otites, elles sont toujours purulentes. Ici, vos malades n'ont pas l'air d'avoir besoin de médecin, ils ne sont pas vraiment malades... Ah si, au bout d'une semaine, on en a vu un qui avait une vraie angine. » Autre étonnement : la disponibilité des médecins français. « C'est là qu'on se rend compte que nous sommes à la botte des patients : ils claquent des doigts et on arrive », reconnaît le Dr Lhuillier. Portant elle-même un regard étonné sur les relations médecin-malade en Afrique (relation peu personnalisée, malade soumis ne demandant aucune explication), elle semble un peu envier ses confrères : « Là-bas, le médecin est reconnu pour ce qu'il est, on lui fait confiance ; le malade arrive avec un symptôme, il repart avec une ordonnance qu'il suivra, un point c'est tout. ». Le Dr Traoré n'arrête pas d'en rire : « Les patients français sont au courant de tout, en arrivant, ils savent déjà ce qu'ils ont et ils connaissent tous les termes médicaux. » Si elle avait peu à apprendre en matière de pathologies, elle est en revanche repartie avec de nouvelles notions d'organisation de son travail et des idées faciles à exploiter, en matière d'hygiène notamment. La pratique du petit cabinet très propre de Montmédy et les discussions avec le Dr Lhuillier qui connaissait ses conditions particulières d'exercice à Dramané vont la conduire à exiger désormais un lavage de mains scrupuleux de la matrone et de l'aide-soignant qui travaillent avec elle, le balayage régulier du centre de santé et de sa cour, avec dépôt des ordures dans une poubelle dont le contenu sera ensuite brûlé.
Coup de pouce de départ
Au Mali où la médecine était essentiellement hospitalière, la médicalisation des campagnes s'accélère avec l'actuelle transition démocratique. Comme l'explique le Dr Dominique Desplats, responsable de Santé Sud, des lois de décentralisation votées par un parlement élu permettent désormais l'élection de maires qui souhaitent que la population de leur village bénéficie d'un médecin. La faculté de Bamako forme suffisamment de praticiens de qualité, mais ces maires demandent aux représentants de Santé Sud au Mali le coup de pouce de départ.
Grâce à la solidarité des médecins français, de nouveaux cabinets devraient s'ouvrir, non seulement dans les zones rurales du Mali mais aussi de Côte d'Ivoire, du Cameroun et de Madagascar. Comme le souligne le Dr Desplats, « le médecin de famille apparaît de plus en plus comme le chaînon manquant du système de santé en Afrique ».
* Renseignements et inscriptions : « Pour parrainer la médecine de campagne en Afrique », Santé Sud, 200, bd National, bât N, 13003 Marseille, tél. 04.91.95.63.45, fax 04.91.95.68.05, santesud@wanadoo.fr, www.santesud.org.
Rencontres en France
Un peu partout en France, des médecins parrainant déjà des confrères maliens et convaincus de l'intérêt de multiplier cette démarche vont organiser des réunions pour l'expliquer à leurs confrères, apporter leur témoignage et débattre avec eux de la santé en Afrique. Ils ont commencé dans les Bouches-du-Rhône. Les prochaines soirées sont programmées pour le 14 novembre à Saint-Lô et le 15 novembre à Cherbourg (Dr Goriaux, 02.33.78.17.90), ainsi que le 29 novembre à Besançon (Dr Jeanblanc, 03.84.29.57.76).
Des parrainages efficaces
Depuis le début de l'opération il y a un peu plus d'un an, ils sont 102 médecins et paramédicaux à s'être engagés dans le mouvement de parrainage proposé par Santé Sud, sans qu'aucun ne se soit dédit depuis.
On compte plus d'un tiers de femmes et une majorité de généralistes. Chacun verse chaque mois le montant d'une consultation, certains un peu plus.
Soixante-cinq médecins formés à la faculté de Bamako mais restés sans emploi depuis, ont pu recevoir un petit équipement de base : une trousse, une dotation en médicaments essentiels, un microscope et des réactifs, une moto pour les consultations extérieures, une installation solaire et un réfrigérateur pour les vaccins, des revues ou des livres médicaux.
Deux tiers d'entre eux se sont installés dans des centres de santé communautaires gérés par la population d'un village ; les autres ont ouvert des cabinets de brousse individuels.
Afin de garantir la gestion et la pérennité de leur installation, les fonds collectés ne sont pas donnés directement aux médecins parrainés mais gérés par l'Association des médecins de famille maliens et le bureau de Santé Sud au Mali, les comptes de Santé Sud étant vérifiés par un commissaire aux comptes et les bilans financiers envoyés chaque année aux parrains. Deux fois par an, chacun reçoit aussi des informations et des témoignages sur les nouvelles installations de médecins. Santé Sud et l'Association des médecins de campagne du Mali organisent par ailleurs deux ou trois échanges par an entre médecins français et maliens et des séances de formation continue à Bamako et dans les trois grandes régions du Mali.
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