APRES les « ténèbres » du plan Juppé, la « lumière » de la réforme de l'assurance-maladie : pour le Dr Michel Chassang, président de la Csmf, majoritaire, les dix années de présidence Chirac s'inscrivent clairement sur une « pente ascendante ». En progrès. Le leader syndical décrit avec gourmandise les périodes successives. « Le premier mandat de Chirac, c'est le moins qu'on puisse dire, n'a pas été fantastique pour le corps médical. Le sinistre plan de 1995, avec la maîtrise comptable, a conduit à un divorce entre le parti de droite au pouvoir et les médecins, qui a laissé des traces. La cohabitation a été jalonnée par plusieurs déjeuners de repentance, lorsque l'Elysée recevait le Cnps (Centre national des professions de santé) et envoyait des signaux aux médecins. Depuis 2002, je dirais que c'est une période de flirt, de rétablissement de la confiance, sans aller jusqu'au baiser profond... »
Reste que, pour le Dr Chassang, la réforme « courageuse » de l'assurance-maladie, pilotée par Philippe Douste-Blazy et Xavier Bertrand, marquera, « quoi qu'on en dise », l'histoire médicale. Il faudrait donc l'inscrire au crédit du chef de l'Etat. « On n'a pas fini d'en parler : ce n'est pas une réformette et les successeurs de Chirac, quels qu'ils soient, vont s'y vautrer sans la remettre en cause. »
Partageant cette analyse d'une évolution positive sur la durée, le Dr Dinorino Cabrera, président du SML, distingue trois périodes : une « première phase horrible (1995-1997), de conflit et d'incompréhension totale, causée par une erreur stratégique majeure » ; la cohabitation, « cinq années perdues où les médecins étaient exclus des discussions sans que Chirac soit directement responsable » (en cinq ans, Lionel Jospin n'a jamais reçu à Matignon les représentants du corps médical) ; enfin, la « prise de conscience depuis le début du quinquennat que les médecins sont des forces vives qui comptent ». Il salue les « progrès énormes en termes d'écoute », la « concrétisation » de promesses présidentielles (C à 20 euros) et n'oublie pas la « décélération de la pression fiscale ». Pour le patron du SML, le mea culpa de Chirac, après les dégâts du plan Juppé, est une forme de « panache ». Même si la réforme de l'assurance-maladie doit démontrer son « efficacité ».
MG-France : le poids des lobbies.
D'autres leaders médicaux, avec des arguments très différents, ont un jugement global négatif. « En partant de Juppé, les choses ne pouvaient que s'améliorer », ironise le Dr Jean-Claude Régi, président de la FMF. Mais le chef de l'Etat, tranche-t-il, « n'a pas pris la mesure des attentes profondes de la médecine libérale ». Un long « malentendu » illustré, par exemple, par la fronde actuelle des chirurgiens. Au passif de la période Chirac, selon le président de la FMF, le « fossé qui s'est creusé entre la médecine de ville et l'hôpital malgré des déclarations d'intention », mais aussi une convention qui s'est transformée en « carcan tarifaire ». L'ébullition récurrente de coordinations médicales, débordant les syndicats traditionnels, serait le signe de cette insatisfaction chronique de la « base ». Le Dr Pierre Costes, président de MG-France, retient, pour sa part, le « décalage permanent entre les discours et la réalité ». « Il faut rappeler que Chirac a gagné en 1995 sur le juste constat d'une fracture sociale, sur laquelle les médecins généralistes sont en première ligne. Mais, sur les solutions, que d'illusions ! ». Le Dr Costes oppose le « discours gaulliste intéressant sur une médecine libérale et sociale, protectrice des solidarités » et la réalité « trop souvent abandonnée aux lobbies ». Plus surprenant, le président de MG-France ose une comparaison entre la protection sociale française et le système américain avec ses programmes « Medicare » (personnes âgées) et « Medicaid » (défavorisés). « En dehors des pauvres, avec la CMU, et des vieux, avec le régime ALD (fondé sur l'exonération du ticket modérateur, qui concerne 8 millions d'assurés) , la solidarité n'a pas progressé pour 45 millions de Français », résume le Dr Costes.
Si les médecins libéraux jugent sans complaisance la décennie 1995-2005, la plupart d'entre eux saluent l'impulsion présidentielle sur des « chantiers » santé, tels que la lutte contre le cancer, les handicapés ou la prévention.
Le Dr Chassang constate enfin qu'en dix ans les questions de santé et d'assurance-maladie ont « enfin émergé » au cœur du débat politique. « C'est devenu un enjeu électoral. La preuve, on nomme des ministres "poids lourds" pour s'occuper de ces dossiers. » Une forme d'hommage aux années Chirac ?
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