La santé en librairie
Attaché à « découvrir les interrelations entre le corps et l'esprit », Jean Benjamin Stora ne se satisfait ni de « l'approche médicale classique contemporaine » qui consiste à faire de l'appareil psychique un « "facteur" secondaire des somatisations », ni de l'approche des psychanalystes-psychosomaticiens qui consiste à en faire « le facteur principal ».
Considérant que les fonctions psychiques font partie intégrante des fonctions des organismes vivants, il voudrait montrer aux médecins, qu'il a beaucoup fréquentés pour avoir travaillé dans leurs services hospitaliers auprès de malades « somatiques », que la prise en charge psychothérapique devrait faire partie de la prise en charge globale des patients atteints de maladies somatiques et non simplement constituer un ajout éventuel, comme il voudrait montrer à ses confrères psy la nécessité de discerner dans les maladies somatiques d'autres causalités que des causalités psychiques.
Au moment d'appuyer ses dires sur les travaux des grands auteurs, il n'est donc pas question, pour celui qui fut président de l'Institut psychosomatique Pierre-Marty, de se cantonner aux seules sources des psychosomaticiens reconnus comme tels. Certes, il reconnaît les mérites de la « construction » réalisée par Pierre Marty, « premier pont assurant la communication entre médecine et psychanalyse ». Un pont que Jean Benjamin Stora voudrait élargir jusqu'à faire des deux disciplines un seul territoire.
C'est donc avec beaucoup de naturel qu'il va convoquer dans un même chapitre Freud, Damasio et Spitz, mais aussi les auteurs de récents travaux montrant l'impact des défaillances des « structures sociales sur les résistances mentales et biologiques des individus », tous apportant leur pierre à un même édifice et pointant à leur façon, complémentaire et non contradictoire, les modes de fragilisation du vivant au traumatisme.
De même, lorsque Jean Benjamin Stora entreprend de dessiner un modèle énergétique des processus de somatisation, il s'appuie sur le schéma freudien des différents modes de décharge des excitations externes et internes auxquelles est soumis tout organisme, aux modèles scientifiques actuels de systèmes énergétiques dynamiques, aux « marqueurs somatiques » de Damasio, aux modes d'organisation cénesthésique et diacritique de Spitz, à la notion de mentalisation élaborée par Pierre Marty et au contexte environnemental particulier de notre époque.
L'expérience clinique
Le tout n'est pas de théoriser. La position du psychosomaticien dans un service hospitalier accueillant des personnes atteintes de maladies somatiques, n'est certes pas facile, son langage, son mode et son temps de diagnostic et d'intervention étant résolument différents de ceux des médecins traditionnels. Pourtant, c'est à son « expérience clinique tout à fait passionnante » auprès de malades somatiques hospitalisés que l'auteur va faire appel pour « illustrer les concepts proposés dans les chapitres précédents ». Dans les récits des patients, événements de vie, somatisations et réactions psychiques s'imbriquent étroitement, les commentaires du psychosomaticien établissant des liens entre les modalités des régressions ou des désorganisations psychiques et les différentes somatisations observées.
De telles observations ont convaincu l'auteur de l'intérêt d'engager une psychothérapie adaptée dès le début de la somatisation. Et c'est à la pratique de cette psychothérapie qu'il va consacrer la dernière partie de son livre, en accordant une place privilégiée aux patients « appartenant à des cultures différentes » et en faisant référence, cette fois, à l'ethnopsychiatrie et en particulier à Tobie Nathan. Nina, née en France de parents juifs émigrés de Constantine en Algérie, servira de fil conducteur à l'élaboration d'une image de psychothérapeute alliant les enseignements de Freud à la prise en compte de représentations mentales traditionnelles, pour une meilleure « réanimation des instincts de vie, comme dirait Pierre Marty ».
Avant que se réalise la jonction souhaitée par l'auteur entre psychanalyse et médecine, dans une pratique commune appuyée sur des notions théoriques communes elles aussi, « le chemin est encore long, très long », estime pourtant l'auteur.
« Quand le corps prend la relève », Jean Benjamin Stora, éditions Odile Jacob, 257 pages, 23 euros.
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