Il y a maintenant six ans que le Dr Yacouba Koné s'est installé comme médecin de campagne à Nongon, à 450 km de Bamako. Les 4 000 habitants de ce village, comme ceux des villages voisins, n'étaient jusqu'alors soignés que par des infirmiers et évacués vers l'hôpital de Bamako dans les cas les plus graves.
L'association Santé Sud, ONG dont le siège est à Marseille, l'a d'abord aidé à mener une « étude de faisabilité » pour s'assurer de la viabilité du projet d'installation, avant de lui fournir un équipement médical de base et une moto pour rayonner sur une vingtaine de kilomètres. L'association l'a ensuite formé à la gestion et l'a incité à suivre une formation continue. La communauté villageoise, pour sa part, fournissait les locaux, payait une infirmière, une matrone et un caissier-pharmacien. Elle versait aussi au médecin l'équivalent de 600 francs français par mois, auxquels s'ajoutait 1 % sur les recettes du centre, en dehors des médicaments. Le ministère de la Santé fournissait réfrigérateur et vaccins et prenait en charge la formation du personnel.
Une quarantaine d'actes sont réalisés chaque jour dans ce centre, dont une moyenne de 25 consultations par le médecin. Outre des déplacements ponctuels pour répondre aux urgences, le Dr Koné se rendait une fois par mois dans chacun des villages de cette zone sanitaire pour y consulter et pour vacciner les enfants. Il réalisait aussi un suivi épidémiologique demandé par le ministère de la Santé.
Aujourd'hui, le mouvement d'installation de médecins de campagne prenant de l'ampleur, le Dr Koné devient responsable de l'ensemble du programme au Mali pour Santé Sud et n'exerce plus la médecine générale que les week-ends. Un autre jeune médecin le remplace à Nongon.
62 médecins
A la lumière de sa propre expérience et de celle des confrères qu'il aide aujourd'hui à s'installer (il assure l'interface entre jeunes médecins et communautés villageoises désireuses de médicaliser leur centre de santé), il dit sa profonde satisfaction : en 1989, il n'y avait qu'un médecin installé à 350 km de Bamako. Aujourd'hui, il y en a 62, répartis dans les zones rurales, selon des modalités et dans des lieux toujours choisis en accord avec les communautés villageoises qui s'en montrent très satisfaites. Soixante-dix-neuf pour cent de ces médecins exercent dans un cadre communautaire ou associatif et 21 % en libéral pur.
Entre autres évolutions, on constate, dans les zones désormais médicalisées, la disparition des paralysies des membres inférieurs dues à des intramusculaires mal faites par des personnels de santé non formés ainsi qu'une spectaculaire diminution des complications neurologiques du paludisme : dans la zone de Nongon, on est passé de 20 cas annuels à une moyenne de 4.
L'amélioration de la santé des populations suivies par un médecin est encore plus nette dans les zones où une mutuelle a été créée (voir encadré) : on y constate une prise en charge précoce des pathologies, une couverture vaccinale de 100 % et un suivi prénatal (trois consultations) et obstétrical total.
Un début de reconnaissance
La formation continue et les échanges médicaux semblent être une autre source de satisfaction des médecins maliens, comme en témoigne la 9e Rencontre annuelle organisée par l'Association des médecins de campagne du Mali avec Santé Sud. Avec ces derniers, des spécialistes français et belges (deux médecins du prestigieux institut de médecine tropicale d'Anvers) ont participé pendant une semaine à des séances de travail et ont notamment insisté sur l'importance de l'examen clinique dans des zones privées de moyens d'investigation complémentaires. A noter aussi la présence de l'inspecteur général de la Santé du Mali. Un début de reconnaissance pour ces nouveaux médecins qui ne bénéficient pas des mêmes avantages que leurs confrères de la ville, mais espèrent faire des émules et réaliser peu à peu le maillage médical du pays.
Parrainer des médecins de campagne maliens
Pour permettre à des médecins maliens de s'installer à la campagne, Santé Sud leur fournit une trousse médicale, un laboratoire de base, une dotation en premiers médicaments essentiels, des ouvrages médicaux et une moto, soit une aide de 53 500 F.
Une partie des fonds lui est versée par l'Union européenne, mais ces fonds sont proportionnels aux sommes que Santé Sud peut elle-même verser en « fonds propres ».
Aussi, pour multiplier les possibilités, a-t-elle lancé une campagne de parrainage collectif en demandant aux médecins français de verser le montant d'une consultation par mois. Ils seront alors régulièrement informés du déroulement des nouvelles installations auxquelles ils contribuent. Parallèlement, ceux qui le souhaitent pourront participer à des échanges avec ces médecins de campagne, en partageant leur exercice là-bas et ici. Une expérience professionnelle et humaine qui a profondément touché tous ceux qui l'ont déjà vécue et ont gardé entre eux des liens personnels souvent très forts. « Nous sommes devenus des frères », explique le Dr Yacouba Koné, qui a reçu plusieurs fois chez lui le Dr François Jeanblanc et s'est rendu dans son village proche de Belfort. Le médecin africain y a appris l'organisation du travail, l'hygiène du cabinet, le médecin français a approfondi à Nongon la médecine tropicale et participé à des actes d'obstétrique, notamment, qu'il n'a pas l'occasion de pratiquer dans sa clientèle. Comme plusieurs autres médecins « parrains », il travaille actuellement au jumelage entre son propre village et le village du Dr Kobé, afin que les échanges puissent se faire au niveau de l'ensemble de la population.
A l'heure actuelle, Santé Sud recense 65 parrains, généralistes pour la plupart, mais aussi quelques spécialistes et paramédicaux, et en espère de plus en plus car l'expérience du Mali commence à faire tache d'huile : de premières expériences vont voir le jour au Sénégal, puis au Cameroun, qui auront toutes besoin du « coup de pouce » de départ.
Renseignements : Santé Sud, 200, bd National, Le Gyptis, bât. N, 13003 Marseille, tél. 04.91.95.63.45, fax 04.91.95.68.05, santesud@wanadoo.fr, www. santesud.org.
Des mutuelles pour la solvabilité
« Au centre de santé, nous constations une bonne fréquentation pendant la période de commercialisation du coton, mais une diminution progressive jusqu'à la saison suivante, malgré les épidémies de paludisme de l'hiver », explique le Dr Yacouba Koné. En l'absence de système de sécurité sociale, c'est la solidarité familiale qui jouait alors en cas d'urgence, mais ne permettait ni prévention ni suivi.
Il a demandé à l'assemblée de village de proposer une solution de financement régulier des frais médicaux. Il y a trois ans, Nongon a donc été le premier village à se doter d'une mutuelle qui couvre la totalité de ses quatre mille habitants et a gagné deux, et bientôt cinq, villages voisins. Actuellement, une cotisation de 2,5 F par kilo de production vendue est versée individuellement par les paysans. Ils bénéficient alors de la gratuité de la prévention, de celle des soins d'obstétrique et de pédiatrie pour le nourrisson, de la prise en charge à 75 % des autres consultations pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 7 ans et à 50 % pour les autres patients et pour les médicaments génériques délivrés par le centre.
Pour bénéficier de la prise en charge de l'accouchement par le médecin assisté de la matrone, l'accouchement doit avoir lieu au centre de santé, et non plus à domicile, et la parturiente doit justifier d'au moins trois consultations prénatales.
Sept autres aires de santé du Mali se préparent à lancer une mutuelle adaptée à leurs moyens et à leurs besoins. « Mais pour qu'une mutuelle reçoive une adhésion massive de la population, il faut offrir, parallèlement, des soins de qualité. C'est le rôle des médecins de campagne », souligne le Dr Kobé.
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