Le brûlot publié il y a quelques mois par Sylvie Brunel*, géographe qui a travaillé dans de grandes ONG, donnait à voir une horreur humanitaire que l'on aimerait croire fictive. Très différente est l'approche du Dr Grandbesançon, qui a séjourné dans un cabinet de généraliste de campagne : on est ici dans la médecine de développement et non de catastrophe, loin de tout battage médiatique orchestré, et surtout dans un pays en paix.
Depuis une vingtaine d'années, les différentes missions de Santé-Sud s'inscrivent dans le développement et soutiennent les ONG locales avec lesquelles elles établissent des partenariats. C'est dans cette optique qu'avec l'Association des médecins de campagne du Mali Santé-Sud a lancé des opérations de parrainage (voir encadré) et d'échanges : un médecin français part exercer deux ou trois semaines avec un médecin de campagne malien, qui, à son tour, vient en France partager l'exercice de son confrère.
Les cabinets des généralistes maliens sont situés dans des zones rurales assez pauvres dans lesquelles la population s'organise en associations pour gérer des centres de santé. Le médecin français, momentanément expatrié, y est confronté à des cas riches d'enseignement sur le plan médical mais qui peuvent parfois paraître perturbants sur le plan humain.
Refouler le rationnel occidental
Le récit du Dr Grandbesançon commence en douceur, dans le « petit soir » bucolique du village de Fama, lieu d'exercice du Dr Idris Konaté, où « l'homme se sent en harmonie avec la nature » et où le docteur blanc « essaie de refouler le rationnel occidental », fait le vide pour poser sur son incursion africaine « un regard d'où l'analyse est absente ».
Peu habitué à ce continent, il va découvrir la polygamie, le dur travail des femmes, l'excision, mais aussi la famille élargie, la compétence tranquille des matrones dans les accouchements, la dignité du silence dans la naissance et dans la mort, l'approche culturelle de la maladie. Au fil des consultations ou des tournées de vaccination dans les villages, il apprécie aussi la disponibilité, la compétence et le pragmatisme de son confrère africain. Mais son regard se pose sur des cas médicaux bien troublants pour un il occidental : fistules vésico-vaginales liées à des maternités très précoces, ouvrier agricole de 12 ans atteint de méningite que ses employeurs ne conduisent au centre médical qu'après trois jours de fièvre, vieillard abandonné dans une case avec une fracture grave. Et chaque fois, ce constat résigné : « Il faudrait l'envoyer à l'hôpital, mais qui paierait ? » On sait que le FMI et la Banque mondiale imposent aux pays en développement des réductions drastiques des dépenses publiques, et le Mali n'échappe pas aux problèmes sociaux qui en découlent. Alors les jeunes femmes souffriront toute leur vie de fuites urinaires, le vieil homme restera dans sa hutte avec quelques médicaments pour limiter la douleur et le petit garçon entrera dans le coma dans la salle de soins du centre de santé.
Le même langage
Si leur approche culturelle est souvent différente, le Dr Grandbesançon et le Dr Konaté partagent pleinement certains points de vue sur leur métier et ont un référentiel commun : la clinique. D'où l'intérêt porté par le Dr Grandbesançon aux examens systématiquement pratiqués par son confrère : l'auscultation cardiaque (écouter « l'horloge de la vie ») et pulmonaire, mais aussi l'inspection des conjonctives oculaires pour rechercher une anémie, des ongles pour rechercher un hippocratisme digital, la vérification de la souplesse du rachis cervical (méningite), le diagnostic d'otite externe en tirant le lobe de l'oreille, d'otite moyenne par percussion de la mastoïde, la palpation de l'abdomen dans lequel la rate est souvent « parlante » et le côlon gauche souvent douloureux à cause de la dysenterie. « Dans mon cabinet, je commence par le côté droit, d'abord le foie et la vésicule biliaire, plus exposés du fait de l'alcool et de l'alimentation, puis le côlon droit souvent gros et spasmé du fait du stress », s'amuse le généraliste français, qui constate qu'en matière de clinique « nous parlons le même langage ».
Pari gagné
Cette foi dans la médecine clinique et dans l'importance des médecins de campagne est aussi partagée par les étudiants de la faculté de médecine de Bamako, comme ceux que le Dr Grandbesançon a pu rencontrer en stage dans un autre village. « Dès le début de mes études, j'ai aimé la médecine de campagne parce qu'à mon sens c'est la vraie médecine, explique l'un d'eux. A la campagne, il n'y a pas les examens complémentaires de la ville, le médecin est obligé de faire travailler sa cervelle pour faire son diagnostic. En plus, nous pouvons avoir ici un rôle de sensibilisation de la population à l'hygiène et aux problèmes de santé publique. »
Un témoignage qui réjouit le Dr Grandbesançon : « Au départ, la médecine de campagne reposait sur le pari que les jeunes médecins intellectuels acceptent de quitter la vie confortable de Bamako pour vivre en brousse sans aucun confort. Après quinze ans d'existence, ce pari est gagné. » Le Mali le doit peut-être un peu au coup de pouce matériel des médecins français de Sant-Sud, mais beaucoup à leurs propres ressources de pragmatisme et de sens de la collectivité.
* « Frontières » , éditions Denoël.
Des kits pour s'installer
Parallèlement aux échanges entre généralistes français et maliens, l'association Santé Sud* organise des parrainages de médecins de campagne : elle fournit un « kit » de départ à de jeunes médecins formés à l'université de Bamako et qui n'auraient pas les moyens de s'installer en brousse. Ce coup de pouce a déjà permis à une soixantaine de médecins de s'installer dans des centres de santé éloignés des villes : ceux-ci étaient jusqu'à présent uniquement tenus par des infirmiers et des matrones, et la limitation des aides publiques, voulue par le FMI et la Banque mondiale, empêchait leur développement.
Le kit fourni à ces nouveaux médecins de brousse comporte une trousse médicale, un laboratoire de base, une dotation en premiers médicaments essentiels, des ouvrages médicaux et une moto permettant de visiter les villages environnants. Pour multiplier ces aides au démarrage, Santé Sud demande aux médecins français de verser le montant d'une consultation par mois. Une centaine de praticiens français participent déjà à ces parrainages. Ils sont régulièrement informés du déroulement des nouvelles installations auxquelles ils contribuent et ceux qui le souhaitent peuvent demander à participer à des échanges avec ces médecins de campagne.
* Santé Sud, 200, bd National, le Gyptis, bât. N, 13003 Marseille, tél. 04.91.95.63.45, fax 04.91.95.68.05, santesud@wanadoo.fr, www. santesud.org.
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