Bientraitance des personnes vulnérables

Médecin, un « témoin sachant » au cœur de la lutte contre la maltraitance ordinaire

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Publié le 28/09/2015
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

La maltraitance des enfants et les violences faites aux femmes sont tristement connues. En revanche, la maltraitance des personnes vulnérables est plus délicate à repérer.

Les potentielles victimes ? Les chiffres donnent un ordre d’idée. « 200 000 malades d’Alzheimer supplémentaires chaque année, 3 millions de personnes en perte d’autonomie », avance Irène Kahn Bensaude, vice-présidente du CNOM. « Environ 10 % de la population est handicapée, la moitié de ces personnes développe une maladie chronique, pour laquelle, 75 %, ne sont pas soignées », assure Pascal Jacob*, président de l’association Handidactique. « Les aidants sont aussi victimes de maltraitance, avec une mortalité supérieure », rappelle Robert Moulias, président de la Fédération 3977 contre la maltraitance. La vulnérabilité peut aussi être passagère, souligne la coordinatrice juridique du pôle santé du défenseur des droits Rachel Moutier.

Maltraitance invisible et quotidienne

La maltraitance peut être le fait d’un pervers, sanctionnable par la justice. Mais le plus souvent, elle est invisible, teintée d’affect, et quotidienne. Elle représente 1 000 dossiers par an chez le défenseur des droits (soit 25 % des dossiers du pôle santé). « Les personnes maltraitées ne nous appellent jamais (ce sont les proches ou les professionnels de santé qui le font) : elles ne se plaignent pas, ne s’opposent pas à leur entrée en établissement », explique Rachel Moutier.

La maltraitance « ordinaire », ce sont des négligences passives, des soins prodigués sans information, le manque de respect de l’intimité. « Deux chefs de services de gériatrie ont été sanctionnés car ils n’ont pas dénoncé des professionnels de santé qui, sous leur responsabilité, servaient des repas froids à des résidents alors qu’ils étaient aux toilettes », illustre le Dr Kahn Bensaude.

C’est parfois un manque de coordination médicale. « Mon fils Romain, IMC (infirme moteur cérébral) et épileptique, qui n’a pas moins de 7 dossiers, arrive à l’hôpital. On l’intube au lieu de lui donner 2 ampoules de valium, il reste 8 jours en réanimation », se souvient Pascal Jacob.

Des avancées dans les lois Vieillissement et Santé

Le projet de loi sur l’accompagnement de la société au vieillissement devrait apporter quelques solutions : extension de la notion de personne de confiance au médico-social, évolution du mandat de protection future, obligation faite aux établissements médico-sociaux de dénoncer des situations de maltraitance, recherche du consentement d’un futur résident d’EHPAD, ou encore levée de l’immunité pénale pour un curateur. La sanctuarisation de l’« équipe de soins » dans la loi de santé devrait renforcer le partage d’informations.

Le Dr Irène Kahn Bensaude plaide pour la création d’un équivalent d’une cellule de recueil des informations préoccupantes (CRIP) - existant pour les enfants - pour la vulnérabilité. Une coordination expérimentale, réunissant de nombreux acteurs dont des médecins a été mise en place dans une dizaine départements, à l’initiative de la direction générale de la cohésion sociale. Une première évaluation révèle la nécessité d’une assise législative afin d’homogénéiser définition et intervention.

Coordination des acteurs

Au-delà de la loi et des institutions, c’est toute la société qui doit s’impliquer en faveur de la bientraitance.

Le Dr Irène Kahn Bensaude rappelle les devoirs du médecin, inscrits dans le serment d’Hippocrate : respecter les personnes, leur autonomie et leur volonté et les protéger si elles sont affaiblies ou vulnérables. « Le médecin doit livrer une information claire et recueillir le consentement ; en cas de maltraitance il peut le souligner à la justice », commente la vice-présidente du CNOM.

La coordination avec les autres acteurs est essentielle. Le dialogue doit exister entre le soin et l’accompagnement, la médecine et la justice. Juge et médecin ne peuvent plus se tourner le dos au nom du secret professionnel. Le « médecin peut être un témoin sachant » pour repérer la maltraitance, affirme Robert Moulias. Dans le cadre des mesures de protection (curatelle et tutelle), « il doit être associé, dans sa sphère de compétence, pour dire si le comportement d’une personne est inquiétant ou non ou aider le mandataire à distinguer entre volonté immédiate et réelle », assure Sylvain Bottineau, vice-président du tribunal d’instance de Lagny-sur-Marne. Reste à savoir comment concrétiser ce dialogue entre des acteurs pour qui les contraintes temporelles mettent en péril le sens même de leur exercice.

*Auteur de la charte Romain Jacob pour l’accès aux soins des personnes en situation de handicap, signée entre autres institutions par le CNOM.
Coline Garré

Source : Le Quotidien du Médecin: 9436