«POUR MOI, cette personne dont le CV épate tout le monde n'a rien à voir avec la personne que je suis réellement. Je vis dans la crainte d'être découvert. Un jour, forcément, quelqu'un comprendra que tout ce que j'entreprends, tous mes succès ne sont qu'une escroquerie, et le château de cartes s'écroulera en quelques secondes.» Là réside sans doute la clé du parcours du Pr Olivier Ameisen, 55 ans, brillant cardiologue, professeur associé au Cornell University Medical College et praticien hospitalier au New York Presbyterian Hospital. Avant que sa carrière de chercheur et de clinicien ne sombre dans le cycle infernal de l'alcoolisme ordinaire, entre cuites retentissantes, hospitalisations, cures de désintoxication dans des centres spécialisés aux États-Unis puis en France, et rechutes. Une alcoolo-dépendance sévère qu'il raconte dans son livre, et que rien ne laissait présager.
Il est le deuxième enfant d'une famille d'origine juive polonaise plutôt aisée – son frère n'est autre que le Pr Jean-Claude Ameisen, immunologiste, membre du Comité d'éthique. Bachelier à 16 ans alors qu'il n'est qu'en classe de seconde, études de médecine commencées la même année à la faculté de médecine de Cochin-Port-Royal, interne des Hôpitaux de Paris, reçu à une très bonne place. À ses débuts, des professeurs, comme Jean Durup parlent même de «génie». Ilchoisitpour ses deux premiers stages la médecine interne et la néphrologie, stages qu'il effectue à l'hôpital Saint-Cloud, pionnier dans le traitement de l'alcoolisme, et côtoie pendant ses gardes des patients hospitalisés pour une cure de désintoxication : «Je ne me sentais d'aucune utilité sur le plan médical pour le patient et tout ce que je m'efforçais de faire, c'était de lui apporter respect et chaleur humaine.»
Sauver un patient en quelques instants.
Finalement, la cardiologie sera sa spécialité. Un choix tout aussi difficile que celui qui l'avait mené à la médecine – il rêvait d'une carrière de pianiste encouragée par le maestro Arthur Rubinstein lui-même, qui avait accepté de le recevoir et de l'écouter. La cardiologie «avait ceci de remarquable à mes yeux qu'on pouvait littéralement sauver un patient d'une mort certaine en quelques instants. C'était ma vocation.»
À Lariboisière, l'école française de rythmologie jouissait d'une réputation mondiale et ses premiers pas furent guidés par les Prs Robert Slama et Philippe Coumel. Mais l'Amérique le fait rêver. Son équivalence en poche, soutenu par les lettres de recommandation du Pr Coumel et de Raymond Barre, auprès de qui il avait été affecté, à Matignon, en tant que médecin aspirant lors de son service militaire, il intègre le service de cardiologie du prestigieux New York Presbyterian Hospital à l'automne 1983.
Sa carrière décolle, la chute n'en sera que plus impressionnante. Le livre d'ailleurs commence treize ans et demi plus tard aux urgences de ce même hôpital où il est soigné par un de ses anciens étudiants. C'est son «premier black-out».
Prison biologique.
La dégringolade est vertigineuse, mais le Pr Ameisen garde son instinct de médecin. Inquiet de mettre la vie de ses patients en danger, il arrêtera volontairement sa pratique médicale comme il renoncera à la conduite. «Je n'avais jamais exercé la médecine autrement que sobre; je n'avais jamais conduit en état d'ébriété, ni enfreint de lois», écrit-il.
Et c'est ce même instinct de clinicien qui le conduira à considérer que l'alcoolisme n'est pas une question de volonté mais une réaction à une maladie biologique.
Psychothérapie, psychanalyse, thérapie cognitiviste et comportementale, soutien chez les Alcooliques Anonymes, il aura tout essayé pour vaincre l'anxiété diffuse qui le tenaille depuis l'enfance. En vain. Il épuise l'arsenal thérapeutique sans pouvoir sortir de ce qu'il appelle sa «prison biologique». C'est alors qu'un article publié dans le « New York Times », qui raconte l'histoire d'un homme traité à Philadelphie pour des spasmes musculaires, le met sur la voie du baclofène. À la suite du traitement par myorelaxant, le patient cocaïnomane paraplégique avait moins envie de drogue et l'effet semblait dose-dépendant.
Auto-expérimentation.
Après des recherches effectuées sur Internet, entre plusieurs rechutes, et après avoir pris l'avis de spécialistes, il en arrive à la conclusion que, contrairement à tous les autres traitements utilisés dans le traitement de l'alcoolisme, le baclofène pouvait non seulement permettre de réduire l'envie d'alcool ( craving), mais il pouvait le supprimer... chez le rat. Il décide de l'expérimenter sur lui-même et met au point un protocole thérapeutique rigoureux. À 270 mg par jour, dose atteinte par paliers successifs, son craving disparaît sans effets secondaires. C'est l'histoire de ce succès qu'il publie dans la revue « Alcohol and Alcoholism » en décembre 2004. «En publiant mon article, je devenais le premier médecin à révéler son addiction dans une grande revue médicale.» Il est aussi le premier alcoolique a être guéri et cela depuis cinq ans.
Cinq ans après, si quelques patients dans le monde bénéficient comme lui du traitement, les essais cliniques en double aveugle qu'il appelle de ses voeux n'ont toujours pas été lancés. Tant qu'ils n'auront pas été mis en place, «je pense qu'il est du devoir de tous les médecins traitant des cas de dépendance de considérer la prescription hors AMM de baclofène à hautes doses comme un traitement compassionnel pour les patients qui ne réagissent pas aux traitements classiques et qui se trouvent donc sans traitement devant une maladie grave et souvent mortelle», souligne-t-il.
* Denoël, 2008, 300 pages, 19 euros.
Une publication dans « The Lancet »
En décembre 2007 (« le Quotidien » du 10), une étude sur un essai pilote publiée dans « The Lancet » par Giovanni Addolorato et coll. fait apparaître des résultats prometteurs du baclofène dans le maintien du sevrage chez des patients atteints de cirrhose. Agoniste des récepteurs GABA, le baclofène réduit l'envie (craving), la consommation effective d'alcool et améliore l'abstinence chez les personnes alcoolodépendantes. L'essai a été réalisé chez 84 patients : 71 % des personnes traitées par baclofène étaient abstinentes à la fin du traitement contre seulement 29 % dans le groupe placebo. Les paramètres biologiques hépatiques étaient meilleurs chez les patients traités.
Dans un commentaire de cette étude, l'INSERM affirmait, tout en étant prudent (l'étude était monocentrique avec des patients suivis pendant seulement trois mois) que «si le baclofène pouvait confirmer son efficacité, on pourrait espérer voir reculer le fatalisme médical (parfois non dénué d'un jugement moralisateur vis-à-vis du patient) qui règne insidieusement autour de la maladie alcoolique du foie».
« L'alcool me détruisait, mais rien ne me faisait aller mieux que l'alcool. Il calmait mon anxiété et me donnait confiance, sentiment qui m'était totalement étranger. Et je savais que, le plus souvent, les autres alcooliques et toxicomanes consommaient leur produit non pas par goût de la transgression mais pour soulager des souffrances émotionnelles antérieures à leur addiction. »
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