Dans une société démocratique de bon ton, on n'est jamais indulgent avec un gouvernement : rencontre-t-il un obstacle que de toute façon, c'est sa faute. La difficulté est interprétée comme une erreur.
Le Premier ministre ne manque pas de raisons de s'autofustiger. La crise de la canicule, par exemple, a été gérée en dépit du bon sens, avec un gouvernement qui n'a cessé de juger « plausibles » pendant plusieurs jours d'affilée, des statistiques catastrophiques qu'il aurait mieux fait de s'employer à réduire. Mais M. Raffarin serait en droit de se dire, dans son for intérieur, que, décidément, il n'a pas de chance. L'été a été pour lui accablant et pas seulement à cause d'une chaleur extrême : il ne lui a pas laissé le moindre répit.
Comme des mouches
Il croyait en avoir fini avec la réforme des retraites que les intermittents du spectacle déclenchaient un mouvement large et profond qui prolongeait la grogne des fonctionnaires et des enseignants. Quand enfin le chef du gouvernement a fini de digérer la crise des intermittents et ses conséquences économiques et sociales, voilà qu'une canicule historique les surprend, lui et ses ministres, pendant leurs vacances. Ils n'ont pas le temps de réagir qu'on parle de 3 000, 5 000, 10 000 morts. Les Français d'en bas tombent comme des mouches. Même si on peut se poser des questions sur les familles de ces vieillards qu'elles ont abandonnés à leur sort, sur le fait qu'aucun gouvernement précédent n'ait prévu un tel cataclysme, ni jamais pris la moindre mesure pour venir en aide aux seniors menacés de déshydratation, même si cette calamité naturelle aurait pu se produire il y a deux ans ou dans cinq ans, même si on n'est pas tenté de croire qu'une autre équipe gouvernementale aurait fait mieux, le fait demeure que l'ampleur du sinistre affaiblit de manière considérable l'équipe de Jean-Pierre Raffarin.
Le Premier ministre a reconnu qu'il a commis des erreurs. Elles procèdent toutes de la même incapacité à devancer la réaction des Français touchés par les réformes : fallait-il, en plein débat sur les retraites, ajouter un codicille sur la décentralisation de certains personnels enseignants qui s'est révélé explosif ? Fallait-il réformer le statut des intermittents du spectacle à la veille de l'été, sans avoir, au préalable, exigé des maisons de production qu'elles révisent leurs méthodes ? On observe un déficit d'information au sein même du gouvernement. Chaque crise, celle des retraites, celle des intermittents, celle des enseignants, a provoqué un tollé qui, chaque fois, a laissé le gouvernement pantois. Il n'a pas prévu les conséquences de ses décisions.
Et on est encore plus étonné de son indifférence : en gros, il laisse faire. Les syndicats appellent cette méthode « le pourrissement d'une crise », mais on n'est pas assuré que le gouvernement a imaginé d'autres alternatives et qu'il choisit celle-ci délibérément.
Certes, il a gagné sur les retraites. Mais en est-il bien sûr ? Comment pourrait-il ignorer qu'une extrême gauche dure est en train de noyauter une partie des enseignants, bon nombre d'intermittents et même des fonctionnaires ? Et que cette faction entend en découdre dès la rentrée sans lui laisser le temps de respirer, après un été détestable ?
Le débat dans la rue
Le bilan est le suivant : beaucoup de Français sont décidés à porter le débat dans la rue et d'en priver le Parlement. Le gouvernement ne peut donc pas compter sur sa majorité uniquement. Il faut aussi qu'il ramène le calme. Or, avec une réforme des retraites qui n'est pas terminée, une Education nationale qui se présente plus que jamais comme une poudrière, une hausse du chômage alarmante, comment, avec quels moyens poursuivra-t-il ses réformes ? On observe par exemple que la réforme du système de soins va être abordée avec précaution et sans doute étalée sur deux ans. Pouvons-nous nous offrir ce luxe avec 16 milliards d'euros de déficit cumulé et une dette nationale qui, l'an prochain, dépassera les 60 % du PIB ? Affaibli par l'hécatombe de la canicule, Jean-François Mattei ne dispose peut-être plus de l'autorité nécessaire pour réformer la santé, d'autant que le gouvernement a reçu cinq sur cinq le message des enseignants, des fonctionnaires, des intermittents : ne nous faites pas payer vos réformes.
Et alors même que se pose cruellement la question du financement des réformes, M. Raffarin s'accroche aux promesses électorales de Jacques Chirac et annonce encore des baisses d'impôts. Certes, quand l'économie va mal, il est logique que les déficits augmentent, sans quoi l'orthodoxie de l'équilibre rendrait le chômage dévastateur. Mais n'est-il pas temps de se demander si la baisse des impôts ne doit pas être interrompue ? L'affaiblissement de Raffarin et de son équipe, c'est un coup sévère porté aux réformes. Nous n'avons pas abordé sérieusement la crise de l'assurance-maladie ; nous avons pris une bonne direction pour les retraites mais nous sommes encore loin d'en assurer l'équilibre financier. Nous avons renoncé à réduire le nombre de fonctionnaires à la faveur des départs à la retraite et, pour éviter l'explosion du chômage, nous allons recruter des ronds-de-cuir, alors qu'ils nous faut des médecins, des infirmiers, des juges, des policiers.
Le nouveau mot d'ordre du gouvernement, c'est prudence. Mais les forces qui s'opposent à son action réformiste se moquent complètement de son approche précautionneuse, où elles voient une preuve de leur victoire et une raison de plus de livrer la bataille au finish.
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