La gauche sort meurtrie des élections présidentielle et législatives. Peut-être plus meurtrie que d'une défaite ordinaire : l'élimination de Lionel Jospin au premier tour a eu un effet cataclysmique.
Mais, depuis 1981, la gauche a abondamment bénéficié de l'alternance et apporté à la société française une marque indélébile. En outre, si la stratégie à long terme de François Mitterrand a consisté à embrasser le Parti communiste pour mieux l'étouffer, il y est si bien parvenu que, maintenant, ce sont les forces du PC qui manquent à la gauche.
Le Parti socialiste, pour sa part, n'a pas à rougir de son score aux élections : il représente en gros, dans ses victoires comme dans ses défaites, un quart de l'électorat. Les cinq ans de gouvernement Jospin ne résultent pas d'une prédominance passagère du PS, mais de la coalition formée avec les communistes, les Verts, les radicaux de gauche et les chevènementistes. Tirée à hue et à dia, la coalition s'est transformée, à l'approche des élections en foire d'empoigne, avec la sécession du Pôle républicain, projet ambitieux que l'électorat a anéanti, et la surenchère stridente des communistes et des Verts.
Il est vrai que l'abandon, par Lionel Jospin, de sa carrière politique, a plongé les socialistes dans l'embarras, le désarroi et la perplexité. Il n'est pas anormal qu'ils cherchent aujourd'hui à retrouver leurs marques et que, dans cet effort, auquel ils n'étaient pas préparés il y a moins de trois mois, ils se querellent ou expriment leur mauvaise humeur.
Querelles internes
Quelque chose d'impondérable empêche François Hollande d'apparaître comme le successeur naturel de M. Jospin. On ne verrait pas pourquoi cet homme-là, qui a conduit des combats longs et difficiles, devrait manquer d'ambition et se cantonner à la gestion du parti, si on ne savait que des hommes comme Dominique Strauss-Kahn et Laurent Fabius, qui a été Premier ministre, n'accepteraient pas de se laisser souffler la prochaine occasion historique. Aussi, quand M. Hollande et M. Fabius ont passé une sorte d'accord moral leur ouvrant à tous deux une piste pour l'avenir, les socialistes ont commencé à bouillir. De Julien Dray à Henri Emmanuelli, on ne veut pas que soient posés les rails des carrières personnelles, d'autant que, en toile de fond, il y a le débat central que le parti doit ouvrir et au terme duquel il devra choisir son orientation : ou bien, il rejoint le libéral-socialisme à la Tony Blair, ou bien il s'enfonce dans l'archaïsme.
On n'en est pas encore là. Et pour cacher leur trouble intérieur, les socialistes s'en prennent à la nouvelle majorité avec des accents excessifs. Par exemple, qu'un homme aussi cultivé que M. Strauss-Kahn puisse prononcer cette phrase : « L'équipe de France de football gagne sous Jospin et perd sous Raffarin » est indigne de lui et de son parti. C'est le genre de remarque qui appelle une réponse comme celle-ci : « Jamais sous Raffarin ne se serait produite la terrible tempête de décembre 1999 ». A ce niveau, le débat politique est tout simplement stupide et les cartomanciennes devraient prendre le pouvoir.
Soudain renvoyée à l'opposition , la gauche encaisse très mal le choc. Elle a fait la campagne des législatives sur le thème de la concentration de tous les pouvoirs par la droite, comme si, pour sa part, elle n'avait jamais été dans cette situation d'hégémonie ; M. Raffarin n'avait pas commencé à travailler qu'elle faisait feu sur le personnage, comme Dominique Voynet, qui n'a pas hésité à dénoncer ce qu'il pouvait y avoir de dureté sous sa bonhomie, deux jugements qui ne décrivent en rien le Premier ministre ; comme Jack Lang, qui s'est lancé sans hésiter dans la glorification posthume de M. Jospin et dans un discours sur la « régression sociale » qu'incarnerait un Premier ministre qui a exercé ses fonctions pendant à peine sept semaines ; comme Julien Dray qui dépeint le chef du gouvernement sous les traits d'un « chef de rayon ». M. Raffarin n'a d'ailleurs relevé aucune des ces attaques, toutes gratuites, et qui manquent leur cible comme un bombardement sur le désert.
L'incident Noëlle Lenoir
Pour couronner cette avalanche de jugements dont aucun n'honore celui qui les profère, il y a eu ce que nous appellerons l'incident Noëlle Lenoir. Juriste, ancienne membre du Conseil constitutionnel, auteur d'un rapport (1991) sur la bioéthique commandé par le Premier ministre Michel Rocard, ancienne présidente, puis membre, du Comité international de bioéthique de l'UNESCO, ancienne présidente du Comité européen d'éthique des sciences, Mme Lenoir a été nommée ministre déléguée aux Affaires européennes en remplacement de Renaud Donnedieu de Vabres.
Les socialistes considèrent qu'elle était à gauche et qu'elle a trahi son camp. Effectivement, c'est Henri Emmanuelli, alors président de l'Assemblée, qui l'a nommée au Conseil constitutionnel. Raymond Forni, ancien président de l'Assemblée, et d'habitude mieux inspiré, a poussé la méchanceté jusqu'à révéler qu'elle avait sollicité de lui un poste au Conseil supérieur de l'audiovisuel. Enfin, pour mieux achever la réputation de Mme Lenoir, M. Emmanuelli a émis l'hypothèse que Jacques Chirac l'a récompensée parce qu'elle a rédigé la décision du Conseil constitutionnel affirmant l'immunité du chef de l'Etat tant qu'il est en fonction.
Si Mme Lenoir est à gauche, les socialistes devraient se féliciter de la composition d'un gouvernement qui s'ouvre à d'autres tendances que celles de la majorité : dans d'autres pays, cela ne pose aucun problème et c'est la marque même de la démocratie : elle n'est pas un champ de bataille, et personne n'y est l'ennemi de personne, il n'y a que des adversaires.
Si Mme Lenoir a un plan de carrière, elle n'est pas la seule ; M. Emmanuelli aussi en a un qui cumule dans son fief, les Landes, plusieurs mandats qu'il conserve de scrutin en scrutin et qu'il retrouve même après en avoir été privé momentanément par une décision judiciaire.
Quant au service rendu à M. Chirac, il est plus qu'improbable. Mme Lenoir n'était qu'un des neuf membres du Conseil constitutionnel et « son » texte, c'est-à-dire en réalité le texte que le président du Conseil lui a demandé de rédiger, a été soumis aux voix. Enfin, dire le droit, cela consiste en principe à ignorer la pression politique. Aussi l'accusation portée sans preuve paraît-elle particulièrement grave.
L'attaque lancée contre Mme Lenoir était d'une nature si perverse qu'elle a fait sortir de ses gonds Michel Rocard, lequel, dans un article définitif publié par « le Monde », la venge de toutes les accusations diffamatoires dont elle a fait l'objet et lui rend hommage, à elle et au travail qu'elle a accompli jusqu'à présent pour la République, et pour l'Europe.
Le combat politique est indispensable à la démocratie, il la fait vivre. Mais il doit être contenu par des règles éthiques qui ne sont pas moins exigeantes que celles qui sont appliquées dans les corps de métier. Le PS est en train de contester sa défaite alors qu'il l'a préparée par la réduction du mandat présidentiel et l'inversion du calendrier électoral, mesures que Chirac n'a ni demandées ni voulues, mais qui lui ont profité en définitive. Les socialistes recourent à une rhétorique semblable à celle que M. Jospin a utilisée quand il a décrit M. Chirac comme un homme « usé et vieilli ». Ce sont l'usure et l'âge qui ont triomphé. C'est la « régression sociale » qui risque de faire le bonheur des travailleurs et c'est le « chef de rayon » qui pourrait réussir dans une tâche où les socialistes n'ont pas vraiment excellé.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature