Au cours des deux heures trente qu'a duré l'audition du ministre de la Santé devant la mission d'information de l'Assemblée nationale, c'est Jean-François Mattei lui-même qui a fait référence aux deux précédents drames qui avaient ébranlé en leur temps les autorités de santé et les autorités tout court : « Notre système sanitaire, estime-t-il, s'est toujours adapté au détour des crises comme celles du sang ou de la vache folle. » De même doit-il tirer aujourd'hui les leçons des événements dramatiques de la première quinzaine du mois d'août.
Pour ce faire, la méthodologie préconisée par le Pr Mattei s'inspire tout droit de celle sur laquelle s'arc-boutaient en leur temps ses prédécesseurs de l'avenue de Ségur : « Avancer, martèle-t-il, dans le déroulé des événements (de la catastrophe), comme ont pu le faire les acteurs du moment, jour après jour, et non pas avec l'illusion rétrospective qui conduit à juger une décision en fonction de la connaissance que l'on a de l'évolution ultérieure. »
D'où une mise en accusation implacable des faiblesses et lacunes en tout genre. Et la mise hors de cause d'un ministre qui ne savait pas.
Le point-clé
Haro sur le système d'alerte, tout d'abord. « Le point clé », insiste Jean-François Mattei : les recommandations, apparemment banales, pour se prémunir des effets de la chaleur n'ont pas été suffisamment entendues et relayées (communiqué de la direction générale de la Santé du 8 août). « Nous avions le sentiment de disposer d'un système de veille et de sécurité sanitaire performant, construit au vu, il faut l'avouer, de plusieurs crises passées, et cela par les différentes majorités qui se sont succédé depuis dix ans (...) Mais la canicule (l') a pris en défaut au moment de l'appréciation de la situation. »
Transmis au premier chef, bien sûr, à l'Institut de veille sanitaire : « Le guet, la tour de contrôle, la vigie », qui « n'a pas réagi ». Transmis aussi, aux DDASS, à toutes les DDASS, coupables de n'avoir rien signalé, rien transmis.
Haro encore sur l'organisation des urgences. Même s'il prend des gants pour souligner la qualité des équipes soignantes, s'il salue au vol le Dr Patrice Pelloux - « Un homme qui a de l'intuition, attentif à la situation, et qui rappelle souvent à l'ordre, parfois de manière justifiée, parfois de manière excessive » -, s'il rappelle que « beaucoup a déjà été fait ces dernières années pour améliorer les moyens des services d'urgence, à la fois en investissements et en personnel », le ministre de la Santé n'en fustige pas moins « certaines faiblesses dans l'organisation des urgences ». Et, au passage, de récuser l'argument sur la fermeture des lits en période estivale : « Il était prévu, cette année, de fermer moins de lits que l'an dernier, entre 8 et 11,6 % durant l'été 2003 contre une moyenne de 15 % constatée en 2002. »
Les bonnes nuits des généralistes
Haro sur la manière dont est assurée, en ville, la permanence des soins : « Quand je suis arrivé avenue de Ségur, a-t-il rappelé, les médecins généralistes étaient en grève depuis plus de sept mois. Cette grève a complètement délité le système de permanence des soins, les médecins ayant découvert durant cette longue période d'interruption qu'une bonne nuit et que la qualité de la vie, ce n'est pas mal. »
Transmis aux généralistes et à Pierre Costes, en particulier, qui affirme, pour sa part, que les affirmations du rapport Lalande sur « un départ massif » et « une désertion » des médecins durant l'été sont « intolérables ». S'appuyant sur les chiffres de la télétransmission, le président de MG-France affirme que « le nombre exact des généralistes ayant exercé durant l'été 2003 s'est élevé à 48 188 en juin, à 46 965 en juillet et à 45 958 en août ».
Haro, enfin, sur la filière gériatrique et son organisation. « C'est bien, en effet, le problème spécifique des personnes âgées qui a brutalement révélé les faiblesses de notre société, amplifiées par la longévité accrue au cours des vingt dernières années. » Transmis à qui de droit : le ministre des Affaires sociales et son secrétaire d'Etat aux Personnes âgées, Hubert Falco, lesquels seront auditionnés à leur tour ce matin même par les membres de la mission d'information parlementaire.
Dans ces conditions, face à ce que les experts du Center for Disease Control d'Atlanta, qu'il a appelés à la rescousse, qualifient de « catastrophe naturelle », Jean-François Mattei estime que lui-même, son administration et, plus globalement, le système de santé français ont « pris les mesures les plus adaptées aux circonstances, en fonction des informations qui leur ont été communiquées ». Somme toute, le drame qui se jouait est resté trop longtemps silencieux.
Sans rien céder aux députés-inquisiteurs qui, comme Claude Evin (PS), ont martelé que « personne ne peut dire que le gouvernement a bien géré la crise », ou, comme Catherine Génisson, se sont étonnés que le ministre n'ait pas pris la parole dès le 8 août, laissant la DGS publier un simple communiqué. Le ministre, visage de cire, agitant les bras en saccades, a conclu qu'il n'a « jamais pensé à démissionner, bien au contraire, (se sentant) investi d'une mission, du devoir d'agir et d'adapter » le système sanitaire.
L'Italie et les Pays-Bas aussi
Non, la France n'est pas le seul mauvais élève européen en matière de gestion de crise caniculaire. En Italie, la chaleur a fait 4 157 morts de plus qu'en 2002 parmi les personnes âgées de plus de 65 ans, cet été, selon un bilan tiré par le ministre de la Santé, Girolamo Sirchia, qui a annoncé la création d'un « service sanitaire actif » pour que ce scénario ne se renouvelle pas.
Aux Pays-Bas, a indiqué d'autre part Jean-François Mattei, le Bureau central des hôpitaux a annoncé 1 400 morts supplémentaires dus à la canicule, ce qui, en proportion du nombre d'habitants, rejoint les chiffres enregistrés dans l'Hexagone.
Le ministre de la Santé a aussi signalé qu'il avait fait calculer a posteriori la surmortalité pendant les épisodes de canicule de 1976 et 1983 ; elle s'est élevée à 3 000 et 4 700 décès sans qu'aucune leçon n'en soit alors tirée. Deux drames sanitaires parfaitement silencieux à l'époque.
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