L'AGENDA POLITIQUE est parfois très cruel. Jean-François Mattei, 61 ans, a officiellement appris qu'il quittait le gouvernement le jour où il devait clore la laborieuse phase de concertation sur la réforme de l'assurance-maladie au terme de laquelle il aura consulté, une prouesse, 57 délégations : des syndicats de salariés aux professionnels de santé, des mutuelles aux industriels du médicament. Une centaine d'heures passées à écouter des interlocuteurs aux intérêts parfaitement divergents, à évaluer les forces en présence, à rechercher des partenaires solides et des points d'équilibre pour tracer la voie étroite d'une réforme impossible. Tout ça pour ça...
Malgré sa ténacité, ce fils d'un Corse et d'une Bretonne ne défendra pas « sa » grande réforme de la Sécu, le deuxième chantier social du gouvernement dont on dit qu'il est plus explosif encore que celui des retraites.
Pour le grand patron de médecine à Marseille, pédiatre et généticien brillant, expert en bioéthique, devenu un pilier du gouvernement Raffarin pour avoir su calmer en quelques jours la révolte des généralistes, le réveil est brutal. Sa première victoire politique n'avait-elle pas été de « couvrir » à la fois la santé et l'assurance maladie, ce que n'avait pu obtenir Bernard Kouchner?
Fardeau.
Mais ce ministère si exposé était devenu trop lourd pour un homme dont la popularité et le crédit se sont érodés brutalement en 2003, jusqu'à la perte (rédhibitoire) de la plupart de ses soutiens dans les milieux médicaux.
A cet égard, le sondage IFOP publié récemment dans nos colonnes (« le Quotidien » du 16 mars) signifiait, pour la première fois, le terrible désaveu de ses pairs : 49 % des médecins libéraux rejetaient le ministre de la Santé, seulement 45 % lui maintenaient leur confiance. Une confiance longtemps indéfectible. « Mattei était sous tutelle depuis la canicule, mais à partir du moment où il perdait sa légitimité dans le monde de la santé, c'était fini pour lui », analyse un président de syndicat médical.
Depuis la tragédie sanitaire de l'été dernier, Mattei était effectivement un ministre sursitaire, fragilisé politiquement mais aussi meurtri par cette « catastrophe naturelle doublée d'une crise structurelle » dont il a refusé d'endosser la moindre responsabilité. « Nous n'avons rien su », martèlera-t-il jusqu'à aujourd'hui, laissant l'impression dévastatrice d'un ministre qui n'assume pas, malgré 14 947 décès.
Une vision « hospitalière ».
Pour beaucoup, le passage de Jean-François Mattei au gouvernement reste un vaste gâchis. Ceux qui l'ont vu défendre le budget annuel de la Sécu à l'Assemblée nationale, avec une précision souvent chirurgicale, ont été frappés par sa connaissance aiguë des dossiers et sa capacité d'écoute qui n'empêchait pas une patiente détermination à « prendre un à un chaque problème » (« le Quotidien » du 12 janvier). Mais la compétence ne suffit pas pour réussir dans ce ministère aux frontières de l'économie et du social, où les erreurs de communication ou d'analyse se paient lourdement. Sur ce terrain, Jean-François Mattei a souvent dérapé, de la baisse des taux de remboursements décidée en catimini en plein week-end de Pâques, aux accusations (ou ressenties comme telles) contre les généralistes rendus responsables de l'engorgement aux urgences hospitalières pendant les épidémies, en raison de leur implication « insuffisante » dans la permanence des soins. Le ressentiment n'épargne pas les spécialistes. « En deux ans, Mattei n'a jamais reconnu dans son discours, ni même compris, la spécificité de la médecine spécialisée libérale, explique le Dr Jean-François Rey, président de l'Umespe (branche spécialiste de la Csmf). D'où un malentendu permanent. »
Tout a été dit, enfin, sur le décalage désastreux entre l'intervention télévisée décontractée d'un ministre de la Santé en vacances et la réalité brutale des brancards qui s'amoncelaient dans les couloirs des hôpitaux en pleine canicule. Les critiques n'ont jamais cessé depuis. Le Dr Pierre Costes, président de MG-France, qui a souvent côtoyé Jean-François Mattei, a cette phrase qui en dit long. « Etre un très bon technicien, être extrêmement compétent, n'est pas forcément un plus pour gérer efficacement la santé. »
Pour réussir dans ce ministère où l'art du déminage et de l'esquive est aussi important que l'expertise, où la forme doit en permanence servir le contenu, Jean-François Mattei aura manqué, peut-être, de sens politique.
La valse des pressentis
Rumeurs et bruits de couloir. Jusqu'à l'annonce définitive, mercredi vers 19 h 15, de la composition du gouvernement Raffarin III, l'incertitude a plané quant à l'identité du nouveau ministre de la Santé. Depuis plusieurs jours, les noms des successeurs potentiels de Jean-François Mattei se sont succédé. Jacques Barrot, ancien titulaire de ce poste, ou l'ancien ministre de l'Agriculture, Hervé Gaymard, ont été un temps évoqués. Les noms du porte-parole de l'UMP, Jean-François Copé, et de Rose-Marie Van Lerberghe, directrice générale de l'AP-HP, ont également été largement cités. Mais alors que certaines grosses pointures s'imposaient pour les ministères de l'Economie et des Finances (Nicolas Sarkozy), de l'Intérieur (Dominique de Villepin) ou de l'Enseignement (François Fillon), aucun nom ne résonnait comme une évidence pour prendre en main la Santé. La tâche qui attend le futur locataire de l'Avenue de Ségur est-elle à ce point ardue qu'elle n'a séduit aucun prétendant ? La réforme de l'assurance-maladie, le plan Hôpital 2007 et la grogne des médecins spécialistes sont autant d'épineux dossiers qui attendent le prochain ministre... Ils n'ont certainement pas été étrangers à l'attente du nom du nouveau ministre de la Santé mercredi.
>> CH. G.
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