De notre envoyé spécial à Ramatuelle
Jean-François Mattei, mains jointes et timide sourire aux lèvres, savoure ce bref moment de grâce.
Pendant quinze secondes, les quelque 200 responsables confédérés réunis à Ramatuelle (Var) pour la neuvième université d'été de la CSMF applaudissent debout le ministre de la Santé venu à leur rencontre, mais surtout le confrère pédiatre et généticien, et l'homme que la catastrophe sanitaire a blessé. Un accueil chaleureux, mais loin de l'ovation historique de 2002 dans la foulée du C à 20 euros. « Cette fois, c'était amical et poli », commente le Dr Jean-Paul Ortiz, président du syndicat des néphrologues. Qu'importe : un peu plus tard, Jean-François Mattei trouve un nouveau réconfort dans les propos de bienvenue du Dr Michel Chassang, président de la CSMF. « Rien ne vous a été épargné. Comme les Français, les médecins vous soutiennent dans cette épreuve qui, je le sais, vous a profondément meurtri. Vous ne méritez pas cela! », martèle le patron de la conf' sous une salve d'applaudissements. « Merci de votre soutien après le drame de cet été. Avec le temps, les esprits retrouveront leur lucidité », répondra Jean-François Mattei.
Si l'épreuve de la canicule avec ses 15 000 morts occupe les esprits, Jean-François Mattei et le Dr Michel Chassang veulent tous les deux parler d'avenir, dans le cadre d'un partenariat assumé mais exigeant. Le message de la CSMF, forte de ses 12 000 adhérents dont 7 000 spécialistes, est à cet égard sans ambiguïté. « Le naufrage de l'assurance-maladie ne pourra être évité qu'au moyen d'une réforme en profondeur », affirme le Dr Chassang, en regrettant les « minces rustines » du projet de loi de financement de la Sécu pour 2004 (PLFSS), comme la hausse du forfait hospitalier ou celle du tabac. C'est une réforme « plus énergique » que le premier syndicat médical appelle de ses vux. Elaboration du panier de soins en toute transparence », nouvelle gouvernance de l'assurance-maladie, rôle des complémentaires, mais aussi (surtout ?) réforme de la nomenclature des actes techniques et cliniques « avec les moyens nécessaires », résolution de la crise de la RCP, ouverture du dossier fiscal : pour la CSMF, « tout est à revoir ». Avec une condition : le corps médical devra être acteur de ce processus et non pas victime . « Ils (les médecins) attendent le gouvernement au pied du mur. De grâce, ne renoncez pas à cette réforme et surtout ne la faites pas, comme dans un passé récent, sans eux ou contre eux. Ils ne vous le pardonneraient pas », a lancé le Dr Chassang au ministre de la Santé, avant de lui apporter sa « confiance ». Le message est aussi à l'intention des troupes : si le règlement conventionnel minimal « très imparfait » a été signé par la CSMF, « c'est pour se donner les moyens de construire ».
A Ramatuelle, la très grande majorité des cadres confédérés a compris, ou du moins pris acte, du virage stratégique de la CSMF, après huit années (95-2003) d'opposition farouche. Une séance à huis clos a permis au Dr Chassang de s'expliquer les « yeux dans les yeux » avec l'ensemble des délégués confédérés sur une stratégie parfois jugée « illisible ». Un exutoire pour certaines spécialités oubliées dans le RCM mais aussi pour quelques généralistes minoritaires qui regrettent, notamment, la rupture du front syndical avec le SML. « Beaucoup de critiques ont porté sur la forme, le manque de communication », ont nuancé plusieurs participants à cette réunion cathartique. Pour le Dr Chassang, le débat tactique est clos. Les cohortes sont « en ordre de marche » et la maison est debout ». Il n'a pas tort. Le 11 octobre, un conseil confédéral officialisera la stratégie et les décisions de la CSMF.
Car les défis ne manqueront pas en 2004. Jean-François Mattei, dans un discours volontaire émaillé d'applaudissements, louant au passage « l'esprit de responsabilité » du Dr Chassang, n'a pas hésité à lancer un appel solennel aux médecins libéraux. Dans un contexte de croissance atone qui réduit comme peau de chagrin les marges de manuvre , le gouvernement a besoin des médecins de ville pour l'aider à faire la « pédagogie » de la réforme auprès des assurés. « L'opinion publique est très heureuse du système de santé mais ne le connaît pas, ne le comprend pas (...). Après tout, le trou de la Sécu a toujours fait partie du paysage », analyse le ministre. Chaque médecin est invité à expliquer à ses patients que « l'on ne peut pas faire comme si notre système n'avait pas de coût ». Que la fuite en avant n'est plus tenable.
La profession elle-même est appelée à se retrousser les manches et à s'impliquer « dans les instruments de maîtrise médicalisé ». Un appel qui relaie le discours de Jacques Chirac prononcé en juin dernier au congrès de la Mutualité française. La FMC fait partie de ce pacte. L'obligation de formation, inscrite dans la loi, ne sera pas assortie de sanctions disciplinaires. Mais, ajoute Jean-François Mattei, « je vous demande de la considérer comme un engagement personnel de qualité ». Les trois conseils nationaux de FMC chargés de fixer les règles du jeu seront installés par décret dans « les toutes prochaines semaines ». L'évaluation des pratiques professionnelles (EPP) en médecine ambulatoire, qui n'a concerné pour l'instant que 241 médecins libéraux, est un autre défi à relever en 2004. Quant aux accords de bon usage des soins (AcBUS) nationaux ou régionaux, dont le PLFSS 2004 simplifie la mise en uvre, les médecins devront également se les approprier.
Nomenclature: bientôt le comité de pilotage
Le ministre de la Santé a enfin donné quelques gages aux médecins libéraux. Il a annoncé plusieurs décrets attendus sur les aides à l'installation et au regroupement dans les zones sous-médicalisées, le développement de cabinets secondaires ou le partage des données avec les unions. Le numerus clausus sera augmenté en 2004 et les études médicales davantage ouvertes aux littéraires par des « passerelles » en troisième année. S'il est resté muet sur le financement de la permanence des soins, Jean-François Mattei a tenté de rassurer les spécialistes exerçant dans les établissements privés, actuellement inquiets de la répartition des équipements lourds entre public et privé. « Il n'a jamais été question pour moi d'amorcer une évolution tendant à concentrer les spécialistes dans les seuls hôpitaux (...). Les équipements lourds seront répartis équitablement. » Enfin, le fameux comité de pilotage de la nomenclature, chargé de mettre en place la nouvelle classification commune des actes médicaux (CCAM), devrait se réunir « sans délai ».
Zones rurales : ce qui va changer
Plusieurs mesures visent à lutter contre les déserts médicaux. Le conseil d'Etat a été saisi d'une modification du code déontologie (article 85) visant à « faciliter le développement de cabinets secondaires, notamment dans les zones rurales ».
A compter du 1er janvier 2004, dans les zones de revitalisation rurale (ZRR), les collectivités locales pourront exonérer totalement de la taxe professionnelle les professions de santé (dont les médecins) pour cinq ans. Par ailleurs, l'Etat versera une aide à l'investissement « pendant cinq ans » pour toute installation d'un médecin ou regroupement de plusieurs médecins dans une zone sous-médicalisée. Cette aide, dont le montant est à l'arbitrage, pourrait atteindre 10 000 euros par médecin et concerner un millier de praticiens. Un décret en cours de publication définira la cartographie des zones déficitaires éligibles aux aides.
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