Martigny : Van Dongen sur la sellette

Publié le 28/02/2002
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Arts

Comme Van Gogh, Cornelis Theodorus Marie Van Dongen, dit Kees, né en 1877, est d'origine hollandaise. Il s'installe à Paris en 1900 avec sa jeune épouse et vit au cœur de la bohème montmartroise, fréquente le Bateau Lavoir, ce « laboratoire central » de l'art d'avant-garde, dont Picasso est la figure tutélaire.

Van Dongen débute dans la presse satirique (« L'Assiette au beurre », « Gil Blas », « Le Rire ») où son trait, spirituel, mordant, fait merveille, et dans la très sélecte « Revue Blanche », rendez-vous de toute l'avant-garde de l'époque, entre le culte de Jarry et la saveur gourmande des Nabis. Il est associé aux Fauves, avec lesquels il partage le goût d'une palette riche, sonore et ardente. Des amitiés fertiles dont celle de Félix Fénéon, critique omniprésent et grand stratège des carrières brillantes (dont celle de Seurat), introduisent Van Dongen dans le sérail des grandes confrontations internationales, comme la Toison d'Or à Moscou, la galerie Flechtheim à Berlin, la Sécession, alors qu'à Paris il est présent dans toutes les galeries importantes (Berthe Weill, Bernheim-Jeune, Kahnweiler).

Illustrateur

L'illustration le tente, sa verve graphique s'y prête admirablement. Il donne de savoureuses images en marge des « Mille et une nuits » (éditions de la Sirène) commandé par Paul Poiret, « La Garçonne », de Victor Margueritte, qui, en 1922, sera un des grands scandales littéraires du moment ; et encore, la plaisante suite pour « A la recherche du temps perdu », de Proust, « Au beau temps de la Butte », de Roland Dorgelès, et « La Révolte des Anges », d'Anatole France, qui aura été son voisin, dans les Années Folles, à la Villa Saïd.
Très vite il rencontre le succès comme portraitiste. D'Anatole France justement, mais aussi, au cours des années qui suivent : Arletty, Sacha Guitry, Suzy Solidor, pratiquement tout le monde et le demi-monde de l'entre-deux guerres. Et, significativement, à la fin de sa vie, celui de Brigitte Bardot, preuve qu'en dépit des réticences du monde de l'art qui l'a parfois boudé, il est resté très en faveur auprès d'une certaine société « branchée » dont il appréciait la fréquentation. Il aura été une des figures légendaires des fameuses planches de Deauville et de plus en plus prisonnier d'une certaine facture qui fait alors son succès.
Sa mort, en 1968, dans sa quatre-vingt-douzième année, passe presqu'inaperçue. Le succès a tué le peintre audacieux de sa jeunesse.
La mise en perspective de l'œuvre privilégie les temps forts, la particularité de ses débuts dans une palette sonore, un dessin aux accents vifs, mordants et riches, d'une connotation sexuelle qui entre pour beaucoup dans la singularité de ses compositions, et leur parfum capiteux. Fauve, il l'est par tempérament, avec des raccourcis stylistiques qui parfois valent bien ceux de Matisse, une peinture de tempérament qui, curieusement, a puisé son inspiration dans les quartiers chauds, les « nanas » de boulevard, pour finir dans un monde frelaté où il ne craint pas, par jeu, dérision, provocation, de faire passer toute la fièvre d'une lourde sexualité à travers les portraits les plus sophistiqués, comme si les femmes du monde qui se faisaient portraiturer par lui cherchaient à se dévergonder.
Van Dongen a une position ambiguë dans l'histoire de l'art du XXe siècle. Révolutionnaire à ses débuts, déplacé de l'aventure de l'art en ses problèmes essentiels alors même qu'il connaît le plus grand succès mondain et, aujourd'hui, grâce à des expositions comme celle-ci, enfin réhabilité, car l'œuvre vaut mieux que la détestable réputation qu'il est de bon ton de lui donner. C'est une relecture de l'art des Années folles qu'il faudrait entreprendre. Cette exposition pourrait en être une fertile amorce.

Fondation Pierre-Gianadda à Martigny (Suisse). Jusqu'au 9 juin.

J.-J. L.

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7077