On la reconnaît immédiatement, évidemment. Elle appartient à la légende du théâtre et les didascalies de Samuel Beckett sont tellement précises que c'est bien d'abord Winnie que l'on salue, cette femme coquette prise dans son tas de terre, de sable jusque sous les bras et qui pourtant s'émerveille toujours du jour qui renaît : « Salut sainte lumière » (« Hail holy light ») dit-elle d'entrée de jeu.
Jeu, oui, et avec la condition humaine. Lorsque parurent sur scène Vladimir, Estragon, les clowns célestes de « En attendant Godot », Jean Anouilh écrivit dans « le Figaro » : « Les Pensées de Pascal jouées par les Fratellini ». Il y a dans toute l'uvre de celui qui recevrait le prix Nobel de littérature, un jeu constant entre comique et cosmique. On hésite toujours, on balance. Les frontières tremblent, les parois sont ténues du rire aux larmes.
La création du personnage de Winnie par Madeleine Renaud, dans une mise en scène de Roger Blin en 1963, fut un événement. Et souvent cette production fut reprise. Depuis, en France, le public a pu voir une admirable Denise Gence, une Natasha Parry lumineuse et aussi la fine Mireille Mossé. Voici donc Marilù Marini.
C'est elle qui a voulu jouer ce texte, c'est elle qui a demandé au jeune metteur en scène Arthur Nauzyciel de la diriger. Elle cherche dans ce texte on ne sait quelle réponse à ses questionnements spirituels. Elle sait qu'elle sonde quelque chose de sa relation à l'Argentine naufragée mais entreprenante. « Hail holy light ». Et Marilù Marini de saluer le monde...
C'est musicalement que cette mise en scène est construite en toute fidélité à la lettre même de Samuel Beckett. Arthur Nauzyciel s'est également intéressé au personnage de Willie qu'incarne, cuir brûlé par l'ardent soleil, Marc Toupence. Mais, dans « Oh les beaux jours », l'essentiel tient à l'interprétation de l'actrice.
Marilù Marini, au sommet de son art, s'autorise toutes les audaces. Elle est magnifique dans la virtuosité, la moirure. Elle n'oublie à aucun moment ce qu'il y a de clownesque et d'enfantin dans ce grand personnage bouleversant. Elle est d'une expressivité subtile, tout passe sur ce visage, par ce visage, cette voix. Ces bras puis, plus même ces bras lorsque c'est jusqu'à la tête qu'est enfoncée Winnie.
Ce qui est beau dans ce chef-d'uvre difficile, résistant, c'est qu'il est lourd de toute la littérature, de toute la réflexion des poètes, des métaphysiciens, des religieux sur la vie, la mort, l'existence terrestre. Le sens.
C'est tout cela que la mise en scène très serrée et musicale et l'interprétation magistrale d'une femme qui donne le sentiment d'être sur un fil, acrobate, fil-de-fériste justement (songez au paradoxe, elle est entravée dans la terre-sable), c'est tout cela qui ici est exalté. Une immense interprétation, audacieuse, répétons-le. Une comédienne dans l'accomplissement époustouflant et très humain de son art.
Odéon-Théâtre de l'Europe aux ateliers Berthier, du mardi au samedi à 20 h, dimanche à 15 h. Durée : 1 h 55 sans entracte (01.44.85.40.40). Jusqu'au 29 novembre. Une longue tournée suit. Sur Beckett et la littérature il faut lire « Comment c'était. Souvenirs sur Samuel Beckett », d'Anne Atik. Traduction d'Emmanuel Moses aux Editions de L'Olivier (20 euros).
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