Aliment santé
L'institut Pasteur de Lille vient de signer un accord avec la société Cema autorisant cette dernière à apposer le label du célèbre centre de recherche sur l'emballage et la publicité de ses produits Primevère. Ce type de contrat, inhabituel, entraîne diverses réactions des personnalités du monde de la nutrition, qui soulignent, entre autres, la nécessité de délivrer au consommateur un message au contenu scientifique irréprochable.
La DGCCRF (direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes), chargée de ce contrôle, n'a pas donné son accord à la formulation du message promotionnel et aucune demande de visa pour la publicité (visa PP) n'a été faite auprès de l'AFSSAPS (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé) pour les annonces actuellement diffusées. En outre, il semble que la société Cema ait demandé une audience à l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) pour défendre son dossier, qui avait eu un avis défavorable quant à l'allégation « associé aux régimes proposés pour l'excès de cholestérol ». « Le Quotidien » fait le point avec le Dr Jean-Michel Lecerf (institut Pasteur de Lille), le Pr Bernard Guy-Grand (chef du service nutrition de l'Hôtel-Dieu, Paris) et le Pr Eric Bruckert (prévention des maladies cardio-vasculaires, Pitié-Salpêtrière, Paris).
Le Dr Jean-Michel Lecerf
« L'accord qui vient d'être signé n'est que la concrétisation d'une collaboration qui existe depuis 1988 et qui aujourd'hui doit être plus officialisée et mieux balisée pour que chacun soit dans son rôle. Il comporte les droits et les devoirs. Nous devons contrôler régulièrement la nature et la composition des produits, les faire progresser et mener à bien les études scientifiques pour en valider les propriétés et les effets. Nous avons désormais un droit de regard sur la communication vis-à-vis du grand public comme du "prescripteur", c'est-à-dire le médecin. Le contrat a une durée de trois ans et pourrait être dénoncé, s'il y avait une utilisation inappropriée du produit ou des allégations non justifiées de ses effets. Nous sommes une institution privée et seulement 12 % de nos recettes proviennent des subventions de l'Etat, 88 % étant le fait de travaux, expertises, analyses et autres prestations, réalisées pour des sociétés extérieures. L'avis défavorable de l'AFSSA pour l'allégation "associé aux régimes proposés pour l'excès de cholestérol" va être rediscuté, la société Cema ayant demandé une audience auprès de cet organisme. S'il fallait faire évoluer la mention, nous le ferions. Dire que les produits sont associés au régime pour l'excès de cholestérol ne signifie pas que ce sont des produits miracle. Ce ne sont pas non plus des produits hypocholestérolémiants ; mais des produits à intégrer dans une diététique adaptée. »
Le Pr Bernard Guy-Grand
« Je suis choqué par l'utilisation à des fins de marketing d'un organisme de recherche comme l'institut Pasteur de Lille, fût-il privé. En revanche, il me paraît tout à fait normal que celui-ci soit rémunéré pour conduire les études évaluant les produits. De plus, même si je connais mal le dossier scientifique des produits Primevère, puisqu'il ne m'a jamais été présenté, il ne me semble pas que ceux-ci puissent se prévaloir d'un effet hypocholestérolémiant. En France, seule une margarine enrichie en phytostérols a obtenu une allégation santé dans ce domaine. »
Le Pr Eric Bruckert
« L'accord qui vient d'être conclu soulève deux questions distinctes : d'une part, celle de la réalité scientifique des propos contenus dans la publicité cautionnée par l'institut Pasteur ; et, d'autre part, celle du rôle que peut jouer un institut de recherche dans la communication de produits agroalimentaires. Le premier point me dérange bien plus que le second. Un seul produit alimentaire sur le marché français a fait la preuve à ce jour d'une baisse significative du LDL-C et a obtenu une allégation santé pour cette propriété. Il s'agit d'une margarine enrichie en phytostérols. Les acides gras omega 3 ont un effet favorable sur les maladies cardio-vasculaires non lié à la baisse du cholestérol (étude de Lyon). La présence d'acides gras omega 6 (dans les margarines soutenues par l'institut Pasteur comme dans celle enrichie en phytostérols) n'a pas d'effet significatif sur la baisse du cholestérol. Concernant le deuxième aspect du problème, je peux tout à fait imaginer qu'un institut de recherche privé appose son label et sa garantie sur des produits alimentaires, dès lors qu'il s'est assuré formellement que les allégations avancées correspondent à une réalité scientifique. Un tel accord doit impliquer en outre que l'organisme scientifique a un droit de regard sur la publicité qui porte son nom. »
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