La ministre de la Santé Marisol Touraine vient de présenter un projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS ) pour 2016 entérinant un Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) « historiquement bas », puisqu’il ne devrait augmenter que de 1,75 %. Une extrême modération qui se traduira par un nouveau plan d’économies de près de 3,4 milliards afin de compenser l’augmentation « naturelle » des dépenses qui se situe, selon les économistes, autour de 3,8 à 4 % par an. Déremboursement des produits de santé –médicaments et dispositifs médicaux –, très faible évolution, voire baisse des tarifs hospitaliers privés ainsi que d’une série d’actes… : la panoplie des mesures qui vont s’abattre sur les acteurs de la santé sont maintenant bien connues.
Du côté des représentants des cliniques privées comme de ceux des produits de santé, le discours a longtemps été celui de la dénonciation de l’étranglement du secteur, voire de sa casse. Ils ont largement souligné les dangers que ces politiques restrictives font peser sur l’offre de soins ou sur la recherche et l’innovation. Avec un nouvel épisode de baisse programmé, il est donc permis de se poser la question de savoir si le marché français de la santé est encore rentable pour des acteurs privés. Est-il intéressant de continuer à investir sur le territoire français ? Les investisseurs qui continuent à injecter des fonds dans des sociétés opérant sur notre territoire sont-ils inconscients ?
Un marché qui reste très intéressant
Ils n’ont en fait peut-être pas tant de choix que cela car la France est loin d’être une exception. « Quand je m’examine, je m’inquiète. Quand je me compare, je me rassure », dit l’adage… « On constate, en France, la traduction des tendances mondiales. Les pays développés et les pays émergents sont tous confrontés à une situation paradoxale de croissance de la demande de santé et de nécessité de juguler les dépenses liées à la santé », observe Hassan Safer-Tebbi, président de Siemens Healthcare France SAS. Mais, contrairement à d’autres pays, « la France reste un pays où il persiste un consensus pour maintenir l’accès aux soins pour tous et où les dépenses de santé continuent à augmenter, même s’il y a une volonté de les contenir en dessous de ce que serait la croissance spontanée », ajoute-il. Jean-Christophe Briant, directeur d’études au sein des pôles santé et seniors, de Xerfi-Precepta, est plus radical : « Il s’agit plus de la fin d’un âge d’or que de la fin d’un marché ! Certes, nous sommes en décroissance. Le marché a tendance à perdre en valeur et à stagner en volume, mais il reste intéressant… même très intéressant. » Une analyse partagée par Didier Tabuteau, directeur de la chaire santé de Sciences Po : « La santé est un secteur de plein développement et d’expansion. Il peut y avoir des jeux, un peu de bluff pour essayer d’obtenir plus. Mais je crois que la santé restera, dans les années qui viennent, un secteur profondément attractif pour tous les opérateurs et tous les intervenants. »
Le président de Siemens Healthcare France SAS le confirme, la France reste un « grand marché pour les industries de santé ». Pour son potentiel mais aussi parce qu’il fait référence : « Le secteur des entreprises du dispositif médical comme celui du médicament comportent des marchés de référence. Ce ne sont pas que des mots : les traditions et les capacités d’excellence clinique comptent. Et cela pour deux raisons. Elles permettent de développer ou d’ajuster leur offre et elles font référence sur d’autres marchés. Ces éléments d’attractivité du marché français, qualitatifs sont déterminants à nos yeux. »
Maîtrise et investissement
Si la rentabilité s’érode, l’attractivité du marché français de la santé ne serait pas en cause. En revanche, il est bel et bien dans une situation de profonde mutation. Et pas uniquement pour des raisons de maîtrise financière. Les connaissances en nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives (NBIC) dessinent en effet l’émergence d’une médecine personnalisée qui va faire sortir le système de santé du soin de masse. Cela conduit à un bouleversement assez considérable pour un certain nombre de pathologies, en particulier pour les plus lourdes dont les coûts de traitement sont les plus élevés. Même si ces innovations sont destinées à voir leurs coûts diminuer une fois diffusées en routine, la transition demande de dégager des économies afin d’investir dans le nouveau modèle. « Nous sommes en pleine transition, confirme Didier Tabuteau. Le changement de paradigme économique, avec notamment le vieillissement de la population et l’émergence des médecines personnalisées, ou en tout cas différenciées, nous plongent dans une période de surcoûts. Il faut donc les financer par des restructurations et des économies. »
Cet impératif explique pourquoi d’une certaine façon l’approche médico-économique de l’optimisation de chaque euro dépensé irradie dans tous les secteurs de la santé, que se soit pour les offreurs de soins (lire ci-après) via des politiques de restructuration et d’optimisation des parcours de soins, mais aussi pour les entreprises des produits de santé.
Cet investissement serait bien sûr plus aisé à réaliser si nous en étions encore à l’âge d’or du secteur de la santé où l’adage « la santé n’a pas de prix » était sous-jacent. Mais, aujourd’hui, on sait qu’elle a un coût. Et qu’il faut relever un double défi : celui de la maîtrise des dépenses et celui de l’investissement dans de nouveaux modèles.
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