Médecins à diplome extracommunautaire

Manifestation et menaces de grève

Publié le 06/12/2005
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CERTAINS d'entre eux se disent prêts à camper devant le ministère de la Santé et même à passer les nuits prochaines sur le bitume de l'avenue de Ségur, s'il le faut. Car « une promesse est une promesse », disent-ils, et les médecins à diplôme hors Union européenne entendent bien faire respecter celle que leur aurait faite, selon eux, les pouvoirs publics.
Trois syndicats de Praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue) ont récemment uni leur colère dans la création de l'Intersyndicat de praticiens à diplômes hors Union européenne, (Inpadhue) : le Snpadhue (Syndicat national des Padhue), l'Amfdec (Association des médecins français à diplôme extracommunautaire) et le Syndicat des médecins à titre extracommunautaire, le Smplus. Ils défilent aujourd'hui côte-à-côte dans une marche parisienne qui, depuis Montparnasse, les mènera jusqu'au ministère de la Santé et, espèrent-ils, vers leur souhait commun : la régularisation de leur situation et l'autorisation d'exercer la médecine avec les mêmes droits que les autres praticiens.

Validation des acquis de l'expérience.
24 juin 2005 : voilà une date qui aurait pu marquer l'histoire des Padhue. Lors d'un colloque à l'Assemblée nationale, organisé par l'Amfdec, le Smplus et le Smpec (Syndicat des médecins et pharmaciens à diplôme extracommunautaire), un conseiller technique du ministre de la Santé a promis l'autorisation d'exercer aux praticiens en poste depuis un certain nombre d'années, a priori cinq ans, en échange de quoi ces mêmes praticiens s'engageaient à poursuivre leur exercice dans les hôpitaux (et centres de transfusion sanguine) pendant trois ans. « Nous sommes partis en vacances l'esprit libre puisqu'on nous avait dit que les choses se mettraient en place à partir de septembre », raconte le Dr Elisabeth Sow Dione, présidente de l'Amfdec. Le 15 septembre, à l'issue d'une manifestation menée par le Snpadhue, le ministère de la Santé et des Solidarités diffuse un communiqué de presse où il assure qu'il « permettra aux titulaires d'un diplôme interuniversitaire de spécialité dit DIS ou de certificat de synthèse clinique et thérapeutique dit Csct, au nombre de 250, un plein exercice en mettant en place une commission d'évaluation des connaissances et sous condition d'un engagement d'exercice en hôpital pendant cinq ans, par modification de la loi CMU de 1999, avant la fin de l'année ».
En 1999, la loi sur CMU (couverture maladie universelle) interdisait en effet le recrutement des médecins à diplôme étranger qui n'ont pas travaillé en France avant juillet 1999. Depuis, les hôpitaux, fermant un peu les yeux, ont continué de faire entrer cette main d'œuvre pas chère et compétente par la petite porte. « Ils embauchent des gens illégalement sans régulariser ceux qui l'ont été légalement », s'indigne le Dr Sow Dione.
L'Amfdec fonde son action sur la VAE, la validation des acquis de l'expérience, une notion introduite par la loi de modernisation de 1992, appliquée à la majorité des domaines professionnels sauf à la médecine. Autrement dit, l'association demande que soit reconnue l'expérience de ces médecins pour accéder à l'autorisation.

« Autant changer de métier ».
«  Nous sommes des médecins fantômes. On dirait que tout le monde est scandalisé par ce qui nous arrive sauf le ministère », peste le Dr Sow Dione.
« Combien parmi nos confrères sont aussi motivés que nous à rester à l'hôpital ?», s'interroge le Dr Madjid Si Hocine, le président du Smplus. « Depuis le temps qu'on attend, il est incompréhensible que le ministère ne trouve pas une solution. Une telle distinction de traitement ne peut que révolter les consciences. »
« Autant changer de métier. Je prendrai l'eurostar s'il le faut, j'irai bosser en Angleterre... Ou bien je deviendrai boulanger mais je refuse de passer la NPA. » Car, pour la présidente de l'Amfdec, le message est net. Il est hors de question de se soumettre aux épreuves de la nouvelle procédure d'autorisation, qui, par leur nature même, favoriseraient les jeunes praticiens fraîchement sortis de leurs études. L'association la revendique cependant pour les FFI, à condition que soit pris en considération le service rendu. « Pour nous aussi, c'est un retour en arrière. Mais nous ne sommes plus à un concours près », soupire le Dr Talal Annani, président du Snpadhue qui, plus modéré, accepte de se soumettre à la NPA, à condition que « ce ne soit pas une loterie ». « On s'attend à ce que 6 000, voire 10 000 candidats se présentent à la cession de 2006. Or, 600 postes seront ouverts, donc on ne pourra compter que sur 5 à 10 % de réussite. »
« Pourquoi la NPA ne se calerait-elle pas sur le concours du PH, où on évalue réellement le travail du praticien, le nombre de gardes accomplies, de publications ? », s'étonne le Dr Annani. « La NPA est un excellent examen pour les nouveaux arrivants, reconnaît le Dr Si Hocine , mais totalement inadapté aux praticiens qui exercent depuis plusieurs années. » Quant à l'anonymat, motif avancé pour les pouvoirs publics pour justifier une épreuve écrite, le Dr Annani juge que l'argument n'est pas pertinent. « On s'appelle tous Mohammed ou Amhed ! Comment pourrait-il y avoir discrimination ? »
Ces praticiens accomplissent dans les faits un travail autonome, en signant des ordonnances non contresignées par les chefs de service, en formant des internes. « Le problème est grave », insiste Elisabeth Sow Dione. « Il faut faire remonter l'affaire plus haut, au plus haut niveau du gouvernement. Xavier Bertrand demande aux médecins retraités de revenir sur le marché, Jacques Chirac déclare vouloir lutter contre la discrimination. On se pose des questions. Qu'ils commencent par régulariser les médecins qui servent depuis des années la France, pays des droits de l'homme. »
« On a été de bonne foi, on a voulu des négociations dans la discrétion mais on se rend compte qu'il faut un électrochoc », déplore de son côté le Dr Annani. « Certains de nos adhérents sont dans une grande détresse », insiste-t-il. Le Dr Si Hocine lui aussi cherche à exprimer le « désespoir » de ses adhérents. « Nous attendons un signal fort, un engagement tangible.Toute notre démarche a été responsable, nous nous sommes gardés de faire dans les pleurs et le sang. Mais aujourd'hui, nous sommes à un niveau de colère rarement atteint. Il est temps qu'une fois pour toutes le problème soit réglé. Je ne veux pas qu'on laisse faire de telles injustices dans mon pays. La taille et la corvée sont abolis. »
Réunis en assemblée générale aujourd'hui, ces praticiens pourraient décider de se mettre en grève à partir de Noël s'ils n'ont pas reçu des assurances des pouvoirs publics.

La Fédération des praticiens de santé fait bande à part

« Il y a des ouvertures très claires du ministère, donc on ne voit pas pourquoi nous ferions une manifestation qui gênerait les négociations. » La Fédération des praticiens de santé (FPS) ne participera pas à la marche organisée cet après-midi par l'Inpadhue. Elle préfère poursuivre ses négociations avec la tutelle afin que soient appliquées rapidement les avancées annoncées par le conseiller technique de Xavier Bertrand lors du congrès de la FPS à la mi-novembre.
« Nous espérons que sortent les textes officiels d'ici à six mois »
, confie un responsable de la Fédération. « Autrement dit pour la session 2007 de la NPA (nouvelle procédure d'autorisation).  »
Les titulaires d'un CSCT (certificat de synthèse clinique et thérapeutique, ils sont environ deux cents) devraient être régularisés après qu'ils auront déposé un dossier devant une commission d'autorisation, sans passer d'examen. Des « expertises » seraient actuellement menées par le ministère quant à la création d'une liste B, qui comprendrait les praticiens ayant exercé depuis trois ans au moins (environ 2 000 Padhue) et qui pourraient s'acquitter d'un examen, sans quota à la sortie. La FPS propose également une liste C, qui rassemble les praticiens pouvant prouver un « service rendu » depuis cinq ou dix ans (durée encore « non clairement déterminée » par le ministère, selon la FPS) et qui devraient, eux aussi, pouvoir accéder à l'autorisation en se présentant « simplement » devant la commission.

> AUDREY BUSSIERE

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7858