Qu'on ne s'y trompe pas. En installant « Medea » d'Euripide dans un décor contemporain, ce chantier dans un bâtiment industriel, loft ou squatt dessiné par Tom Pye et qui est aussi beau qu'inquiétant, Deborah Warner ne force pas les sens profonds d'un texte âpre et bref. Euripide, lui-même, est un tragique du quotidien et il raconte bien cette histoire-là : celle de la jalousie qui consume et d'une atroce vengeance. Jacques Lassalle, d'ailleurs, montant cette tragédie avec Isabelle Huppert, avait creusé le même sillon.
Ce que réussit magistralement Deborah Warner, c'est la tension en même temps, des deux fils : le prosaïque, une histoire de couple, de guerre des sexes, et une histoire qui a à voir avec les dieux et le malheur d'être au monde.
Du côté de l'humain, elle s'appuie sur les costumes de rien de Jacqueline Durran. Médée, ses enfants, la nourrice, sont des réfugiés déclassés. Face à eux, du côté où nous, spectateurs, sommes installés, est le palais de Créon, de la fille que vient d'épouser Jason, infidèle à celle qui lui a permis de conquérir la Toison d'or. Jason est un mâle pragmatique. Il pense à l'avenir des deux enfants qu'il a eus de Médée. Il veut s'intégrer par le haut : mari de la fille du roi, il ne peut qu'être serein, pour lui et les siens. Les femmes aiment, les hommes calculent, les dieux laissent les humains à leurs crimes. Ce n'est rien d'autre, « Medea ». Mais c'est la tragédie d'un poète, et tout s'y sublime, même le plomb de la jalousie.
D'entrée de jeu, on est sous le joug du metteur en scène. L'irruption de la nourrice, comme un double prémonitoire de Médée, est magnifique et l'actrice remarquable (Siobhan McCarthy). Les personnages sont distribués avec un sens aigü de l'ambivalence : le gouverneur (Robin Laing), le messager (Derek Hutchinson) comme Egée (Jospeh Mydell) ou Créon (Stuan Rodger) sont excellents en apparitions aiguës, précises. Grand travail.
Le nud tragique, c'est la passion et la haine qui va, vient et détruit tout de Jason qui est faible (formidable Jonathan Care), à Médée qui est trop forte pour ce monde-là. Fiona Shaw, interprète exceptionnelle, qui se tient sur la crête étroite qui, ici, sépare le sarcasme du sublime, étonne du premier au dernier mot.
Warner et Shaw ne craignent pas la vérité qui passe ici par le sang de l'infanticide. C'est terrible, réaliste apparemment. Mais c'est dans ce geste-là, en ce qui dépasse l'humain et qui est la puissance plus destructrice encore des dieux, que gît le tragique pur. Celui qui effraie et ne console pas. Celui qui fait le présent d'Euripide.
Théâtre national de Chaillot, à 20 h 30 de ce soir à samedi et à 15 h dimanche (01.53.63.30.00). Avec surtitrages très clairs de Harold Manning.
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