Arts
« Purifiez-vous de l'accumulation des formes appartenant aux siècles passés. » Cette injonction de Kazimir Malévitch illustre bien la dimension novatrice de sa peinture et confirme la singularité du phénomène qu'il incarna dans l'histoire de l'art du XXe siècle.
Malévitch révolutionnaire ? Certes. Il est à l'origine de la supériorité du concept sur la pratique, de ce qu'il appelait l'art « non objectif », le « rien libéré » dans la peinture, à l'origine du suprématisme enfin, mouvement qui, il y a encore quelques années, était sujet à des balbutiements et à l'incompréhension.
Mais Malévitch n'est pas seulement l'auteur des quadrilatères et des formes touchant aux limites de la représentativité. La collection du Stedelijk Museum permet d'embrasser chronologiquement l'évolution de l'uvre du peintre, des années 1910 à 1930.
Au début de sa carrière, le peintre semble vouloir opérer une fusion entre les traditions occidentale (romantisme et symbolisme) et orientale (byzantine). Il explore dès lors les courants européens majeurs, de l'impressionnisme au « cézannisme », en passant par le fauvisme et le cubisme, le néo-primitivisme, ou même le « cubo-futurisme ».
La thématique du paysan l'intéresse ; il voit dans « l'ère paysanne » une dimension spirituelle proche de l'icône. Les formes sont dynamiques, les couleurs très vives, ainsi qu'en témoignent la « Récolte de seigle » et la « Paysanne aux seaux », belles illustrations de l'art populaire auquel Malévitch s'est attaché avec beaucoup de ténacité pendant des années, livrant une vision touchante des traditions russes.
Le monde des sensations pures
Déjà à cette époque, l'indépendance par rapport au plan pictural est affirmée, déjà la couleur s'est libérée de la forme, déjà le sujet n'est parfois plus qu'un prétexte. Mais il faut attendre environ 1915 pour pénétrer dans l'univers accompli de Malévitch, là où l'objet représenté n'est autre qu'une « édification suprématiste ». Le suprématisme est une abstraction géométrique dépouillée, fondée sur l'affirmation de la couleur poussée à son comble, sur l'autonomie des formes, sur la déconstruction de l'objet et sur le poids, la vitesse et la direction du mouvement des formes.
Mais l'une des caractéristiques les plus intéressantes de ce mouvement marginal réside certainement dans l'importance des « sensations pures », préconisées par Malévitch qui dira d'ailleurs : « Je n'ai rien inventé, j'ai seulement senti la nuit en moi et c'est en elle que j'ai entrevu le nouveau que j'ai nommé suprématisme. » L'exposition dévoile une série d'uvres graphiques suprématistes, projets de couvertures de livres, de programmes de congrès, de revues, dans lesquelles les formes - carrés, cercles, rectangles - se bousculent, se répondent, s'entrechoquent, formant des constellations, des trajectoires, des « positions catastrophiques »...
C'est en 1917 que Malévitch fait du fameux carré blanc sur un fond blanc le symbole de son art, point culminant du rejet de la nécessité même des formes ( « le zéro des formes »), affirmation du néant, de la « sensation de dissolution » ou du « non-être », comme il l'exprime. D'autres peintures des années 1915 à 1920 complètent cette période de maturation.
A partir des années 1920, le peintre revient vers une uvre figurative, remplie d'implications symbolistes : c'est le postsuprématisme. Des têtes de paysans, des croix, des bustes d'hommes, hantent à présent ses toiles, comme pour rendre plus accessible au public leur teneur.
Avec le postsuprématisme, Malévitch disait vouloir inventer une « face du nouvel homme », ce nouvel homme auquel il avait cru, mais en vain, que la révolution russe de 1917 donnerait naissance. Il mourut en 1935, à Léningrad.
Musée d'Art moderne de la ville de Paris. 11, avenue du Président-Wilson, Paris 16e. Du mardi au dimanche de 10 h à 19 h. Jusqu'au 27 avril. Catalogue, 126 p., 24 euros.
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