PRATIQUE
Urgence ressentie
Les malaises du nourrisson constituent un motif de consultation fréquent dans les services d'urgences : trois à quatre nourrissons par mois dans une unité d'importance moyenne. Issu du langage populaire, le malaise sous-entend au sens large un « syndrome caractérisé par une sensation pénible de mal-être » (Littré), de « troubles des fonctions physiologiques ». Définitions vagues, imprécises, mais pour la famille, l'entourage, le malaise est toujours ressenti comme une urgence vitale. Le praticien, lui, devra répondre à plusieurs questions : s'agit-il d'une urgence réelle ? Existe-t-il une gravité immédiate, secondaire à l'hypoxie du malaise, ou différée (récidives, étiologies) ? Quelle prise en charge réaliser ? Quels examens demander ?
Chez le nourrisson, le terme de malaise est récent, il date d'une quinzaine d'années et a remplacé les anglicismes « near miss », « apparent life threatening event ». Il désigne la perception par les parents ou l'entourage d'un événement présentant un caractère inhabituel porteur de ce qui est considéré comme « une sensation de danger imminent ». Le pronostic dépendra de l'étiologie, mais surtout de la durée du malaise et ses conséquences hypoxiques.
1) Reconnaître le malaise
Les malaises du nourrisson associent, de diverses manières, un changement de coloration (pâleur, cyanose localisée aux lèvres ou généralisée, plus rarement érythrose faciale), des difficultés ou un arrêt respiratoire, une modification du tonus en règle à type d'hypotonie. Il peut comporter une perte de connaissance pouvant aller jusqu'au coma. Des gasps et un état de choc sont parfois décrits.
Il convient d'emblée d'éliminer ce qui, pour les familles, peut constituer un événement impressionnant mais qui ne justifie aucune hospitalisation. C'est en premier lieu le cas théâtral et fréquent du spasme du sanglot. Nous pouvons en rapprocher le spasme du bain. Les frissons hyperthermiques, fréquents, sont souvent confondus avec de véritables convulsions et bien entendu aggravés par le déshabillage de l'enfant. Les convulsions hyperthermiques simples peuvent poser quelques difficultés. Enfin, le torticolis paroxystique bénin, les accès dystoniques liés à un reflux gastro-oesophagien (syndrome de Sandifer) méritent d'être éliminés.
2) Apprécier la gravité immédiate du malaise au cours de la consultation
Dès l'évocation du malaise, il faut rechercher la profondeur de celui-ci et la mise en jeu ou non du risque vital.
En pratique, quatre situations peuvent être rencontrées.
1. Le malaise du nourrisson est récent, l'enfant est encore en grande détresse vitale.
Des gestes de réanimation sont pratiqués au plus vite, en s'aidant de matériel adapté à l'âge du nourrisson.
2. Le malaise du nourrisson est récent, l'enfant va beaucoup mieux mais le premier contact n'est pas rassurant. La gravité est appréciée sur la persistance des troubles de la conscience et/ou du tonus, et sur une éventuelle insuffisance circulatoire et/ou respiratoire objectivée par la mesure du temps de recoloration (> 3 secondes), du pouls brachial (> 200 ou < 75 par minute), de la tension artérielle systolique (< 60 mmHg), et de la saturation en oxygène par voie transcutanée (< 90 %).
La durée de la perte de connaissance et de l'hypotonie traduit l'importance de la souffrance cérébrale dont les conséquences éventuelles peuvent ne se révéler qu'après un délai de 24 à 72 heures, souvent par un état de mal convulsif. Quelques examens biologiques permettent a posteriori d'évaluer la sévérité du malaise si celui-ci est résolu à l'arrivée du médecin : acidose métabolique, hyperglycémie, élévation des transaminases.
Dans ces deux cas, la prise en charge est celle d'une asphyxie, d'une fausse-route, d'un collapsus, d'une incompétence myocardique plus ou moins menaçante, voire d'un véritable arrêt cardio-respiratoire (traitement symptomatique en fonction des désordres présentés : oxygène, ventilation au masque et intubation trachéale ; mise en place d'une voie veineuse périphérique ou voie intra-osseuse, remplissage, drogues tonicardiaques... Tout en réanimant l'enfant, il faut mettre en place les moyens de surveillance : constantes cardiaques, réalisation d'un ECG, prise de TA toutes les 3 à 5 minutes, des constantes respiratoires (FR et SaO2), niveau de conscience, température, diurèse horaire).
3. Le malaise est récent, l'enfant ne présente aucun stigmate : l'erreur serait de ne pas lui accorder toute son importance.
Dans ces trois cas, il convient d'aborder rapidement l'enquête étiologique qui aura d'autant plus de chance d'être productive qu'elle sera faite en temps réel.
4. Le malaise est ancien : les possibilités de diagnostic seront plus réduites. Un bilan doit toutefois être programmé et ordonné pour éviter la surenchère et une longue hospitalisation. Il peut dans ce dernier cas être conduit en ambulatoire.
3) Trouver l'étiologie du malaise
Interrogatoire : description du malaise
Il convient dans un premier temps de se faire décrire parfaitement le malaise. En effet, il est indispensable de noter scrupuleusement toutes les données de l'interrogatoire tant la description initiale risque de se modifier au fur et à mesure que les questions vont se multiplier ultérieurement. Les personnes présentes rapportent toujours la sensation que la vie de l'enfant était menacée, voire même qu'il était virtuellement mort et que son état nécessitait des stimulations rigoureuses ou des manoeuvres de réanimation. De plus, parfois très vite, avant même l'arrivée à l'hôpital, une comparaison avec la mort subite est faite par les parents, la nourrice, le personnel de la crèche, majorant l'angoisse née de la perte de connaissance, qu'elle soit réelle ou supposée. C'est pourquoi il convient souvent de reprendre cet interrogatoire dans un deuxième temps, au calme. De nombreux examens seront évités par la connaissance précise et accrue que l'équipe soignante aura de l'enfant et de sa famille.
Contexte de survenue
Le malaise peut avoir été constaté par hasard au cours du sommeil calme ou agité, mais il se produit souvent à l'éveil, parfois lors de l'alimentation ou en postprandial, lors d'une régurgitation, d'une toux soudaine, de manipulations lors du change ou du bain. L'environnement physique est aussi important à prendre en considération : température de l'enfant et de la pièce, type de chauffage, état de la literie, position de l'enfant dans le lit.
Les prodromes des dernières heures guident souvent vers une maladie particulière : antécédent récent de fièvre, pathologie des voies respiratoires supérieures, troubles alimentaires et digestifs, modification du comportement neuropsychique, prise de médicaments.
Antécédents personnels et familiaux
Le malaise doit ensuite être analysé en fonction du contexte personnel et familial du nourrisson : antécédents périnataux de souffrance foetale, de séquelles respiratoires et/ou neurologiques d'une pathologie périnatale, âge gestationnel et développement psychomoteur ; alimentation et développement staturo-pondéral (cassure de la courbe pondérale ou au contraire courbe trop belle chez un enfant suralimenté) ; signes directs de reflux gastro-oesophagien, signes d'obstruction par hypersécrétion nasopharyngée chronique, toux chronique, bronchiolites récidivantes, qualité du sommeil, petits signes de dysautonomie (sueurs, marbrures, extrémités refroidies). Il faudra préciser les antécédents familiaux, en particulier de malaise, voire de mort subite dans la fratrie, et l'environnement psychosocial.
Examen clinique
L'examen clinique rigoureux doit permettre d'orienter l'enquête paraclinique, il doit rechercher une éventuelle malformation congénitale passée inaperçue (cur), un syndrome dysmorphique, des traces de sévices, le manque de trophicité ou d'hygiène pouvant témoigner d'une psychosociopathie. Le médecin recherchera un foyer infectieux et des signes orientant vers une dysrégulation du tronc cérébral (micrognathie, palais ogival, difficulté de la succion/déglutition, reflux nasal alimentaire), ou la labilité du système neurovégétatif (changement facile de coloration, sudation importante).
Les examens complémentaires seront orientés par la clinique
Au terme de cette étape, l'étiologie est parfois évidente (voir encadré), mais parfois le malaise est isolé. Lire dans un prochain numéro la deuxième partie : les étiologies.
Orientations étiologiques sur
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Malaise associé à un contexte |
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Malaise et fièvre | ===========>> | Méningite, pyélonéphrite... |
Malaise + fièvre + toux | Bronchiolite (épidémie) Coqueluche |
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Malaise + hématomes + manque hygiène et trophicité |
===========>> | Sévices |
Malaise + jeûne | ===========>> | Hypoglycémie Maladies métaboliques |
Malaise + bains | ===========>> | Intoxication au CO |
Malaise + alimentation | ===========>> | Arc vasculaire, sophagite peptique |
Malaise + cyanose + hépatomégalie + dyspnée... |
===========>> | Cardiopathie |
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