POUR LES SOCIOLOGUES, le développement de rumeurs est considéré comme le signe que «quelque chose ne va pas». L'histoire de la santé publique française a été traversée ces dernières années par une rumeur qui laisse des traces encore aujourd'hui.
Après avoir été, en 1994*, chaleureusement encouragée par le ministère de la Santé pour les nourrissons et les adolescents, la généralisation de la vaccination contre l'hépatite B a été stoppée, victime de la rumeur. De façon inattendue, les adultes s'étaient eux aussi précipités sur ce vaccin. Puis des neurologues de la Pitié-Salpêtrière, à Paris, ont enregistré des cas de sclérose en plaques chez des personnes qui avaient été vaccinées. La sclérose en plaques (SEP) est une affection relativement fréquente dans la population générale, mais, au nom du principe de précaution, le protocole de vaccination n'aurait-il pas dû être interrompu dès les premiers signes d'alarme ? Malgré l'absence de preuve formelle en faveur d'un lien entre SEP et vaccin, deux ans plus tard, le ministère de la Santé a fait machine arrière en abandonnant la recommandation en milieu scolaire. «Il a ouvert les parapluies », commente le Dr Anne-Marie Moulin, directrice de recherche au Cnrs (Cedej du Caire, centre d'études et de documentation économiques, juridiques et sociales) et directrice de « l'Aventure de la vaccination » (Fayard, 1996). « Or la population a interprété cette dérobade comme un aveu indirect que le vaccin présentait des dangers.»
Résultat : coup d'arrêt. «La vaccination des nourrissons n'a jamais dépassé les 30 à 40%. Donc, l'objectif n'a pas du tout été atteint», constate le Dr Moulin.
Culture Pasteur.
Le phénomène était d'autant plus remarquable que la France reste traditionnellement moins touchée par les mouvements antivaccination que la Grande-Bretagne, les Etats-Unis ou le Canada. «Culture Pasteur, explique le Dr Moulin. L'idée dela vaccination comme une avancée décisive en matière de santé publique est bien implantée en France», écrit-elle dans la « Revue d'épidémiologie et de santé publique » **. «C'est l'ère pastorienne qui a popularisé durablement la vaccination dans notre pays.» La rumeur sur le lien de causalité entre vaccin contre l'hépatite B et sclérose en plaques n'a cependant pas franchi les frontières franco-françaises.
Les pays du tiers-monde, eux, sont régulièrement en proie à des rumeurs dénonçant les vaccins. Le Dr Moulin en donne un exemple. Dans les années 1990, selon l'OMS, près de 200 000 nourrissons succombent chaque année au tétanos néonatal, «une maladie totalement évitable par la vaccination des futures mères». Quatre-vingt-dix pour cent des décès concernent 27 pays en développement. En conséquence, une campagne de vaccination est lancée dans le nord-est du Cameroun. Or la rumeur se répand dans le pays que le vaccin antitétanique rend stériles les jeunes femmes en âge de procréer, auxquelles il est destiné. «Des émeutes ont éclaté, des écoles ont fermé, les jeunes filles étaient affolées.» Au point que certaines d'entre elles, craignant d'être devenues stériles, ont entamé une grossesse pour vérifier... puis ont avorté.
«Si les rumeurs au Sud traduisent défiance et ressentiment envers les pays nantis, en Occident, la rumeur correspond surtout à des défauts de la communication de l'information au public. En particulier quand il s'agit de nouveaux vaccins, il est difficile pour les praticiens de communiquer sur la science en train de se faire et de reconnaître que le passage d'un vaccin en campagne de masse garde un caractère expérimental. Tout nouveau vaccin nécessite une vigilance particulière et... la collaboration des citoyens, poursuit Anne-Marie Moulin.
Les rumeurs révèlent également une crise de confiance dans la profession médicale. Paradoxe: les patients sont sûrement mieux armés, ils en savent plus, en particulier grâce à Internet, et pourtant la défiance grandit. Le désir d'autonomie grandit aussi vis-à-vis de l'autorité médicale, influencé par les “affaires” , sang contaminé, vache folle, traitement par l'hormone de croissance, et encouragé par les pouvoirs publics qui favorisent une prise de responsabilité des individus.»
* En 1994, le VHB entre dans le calendrier vaccinal du nourrisson.
** « Revue d'épidémiologie et de santé publique », 2006, S4 : 1881-1887.
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