De notre correspondant
V ENUS du Congo, du Tchad, de la République centrafricaine, de la Guinée équatoriale, du Cap-Vert, des Comores, ils sont médecins, pharmaciens, biologistes, ingénieurs biologistes et responsables dans leur pays, au plus haut niveau, régional ou national, du système de santé. Le plus souvent, ils sont rattachés directement au ministre de la Santé et travaillent au sein de diverses institutions universitaires ou scientifiques, dont certaines pourraient ressembler à notre Institut de veille sanitaire. C'est d'ailleurs après concertation avec les services ministériels, et sur des critères précis, qu'ils ont été choisis par les experts de l'OMS pour suivre leur formation à Lyon (« le Quotidien » du 9 février). Après plusieurs semaines d'enseignement intensif, ils repartiront à la fin du mois pour leur pays. Pour former à leur tour d'autres spécialistes, dans les laboratoires universitaires ou les hôpitaux, tout en commençant à entretenir à distance, grâce à Internet, des liens permanents avec le bureau lyonnais de l'OMS. « L'objectif de l'OMS, explique le Dr Diego Buriot, pédiatre de formation et directeur du bureau, qui a derrière lui une vingtaine d'années d'expérience en Afrique, est de former, avec les mêmes savoirs et les mêmes techniques diagnostiques, des groupes de spécialistes au sein même des pays où sévissent les principales maladies épidémiques. » Sachant que ce sont les laboratoires sur place qui ont un rôle primordial à jouer, il s'agit, pour les experts qui épaulent le Dr Buriot, de transmettre le maximum de connaissances à ces futurs correspondants, qui doivent être capables de fournir rapidement des informations fiables sur l'agent infectieux responsable de l'épidémie. Et donc de déterminer le plus vite possible le traitement efficace. Puis, dans la foulée, de mettre en uvre eux-mêmes, après sollicitation de leurs autorités nationales, les moyens techniques appropriés pour éviter la propagation de la maladie.
Etudes de cas
« Avec ce premier groupe de scientifiques africains, précise le Dr Buriot, nous avons passé au crible les pathologies qui affectent cette région du monde, essentiellement le choléra, les méningites, la fièvre jaune, les hépatites et les fièvres hémorragiques. » Cours magistraux, travaux dirigés en laboratoire, exercices sur la paillasse, passage en revue des différentes techniques de prélèvement et d'analyse, séminaire sur les diverses techniques du « contrôle des urgences complexes » (lorsque l'épidémie surgit, par exemple, en situation de guerre civile ou ethnique avec afflux de réfugiés), cours de communication (comment informer les médias locaux, comment « gérer » l'information sur une crise sanitaire ) ont constitué le pain quotidien des stagiaires.
Délibérément centrée sur des études de cas, la formation, financée par l'OMS, fait appel aux meilleurs spécialistes, que l'organisation n'hésite pas à recruter dans le monde entier. « Nous offrons aux stagiaires les meilleurs experts dans chacune des pathologies étudiées, qu'ils exercent ou enseignent dans un laboratoire ou une université en Suède, en Allemagne ou encore aux Etats-Unis », témoigne le Dr Buriot. Mais ces experts enseignants ne viennent pas toujours de loin. Pour le choléra, ce sont deux médecins épidémiologistes français, les Drs Jacques Hutin et Denis Coulombier, chargés par l'OMS des études épidémiologiques au Nigéria en 1996, qui assurent la formation des scientifiques africains. Le premier travaille à Genève, au siège de l'organisation. Le second vient d'être détaché de l'Institut français de veille sanitaire au bureau lyonnais par Bernard Kouchner, dans le cadre de la convention qui unit désormais l'OMS au gouvernement français.
Former des collègues
A l'issue de leur stage à Lyon, les scientifiques africains savent tous qu'une fois retournés chez eux une autre mission complexe et de longue haleine les attend : convaincre les autorités que la lutte contre les épidémies se gagne par la transmission du savoir, obtenir le financement des équipements, mettre en place les outils d'alerte sanitaire, de surveillance et de prévention. « Ma priorité va être de former mes collègues des provinces de la République centrafricaine », explique au « Quotidien » le Pr Abdoulaye Kozemaka, responsable du Centre de transfusion sanguine de Bangui et professeur d'hématologie au sein d'une faculté de médecine qui forme des promotions d'une vingtaine d'étudiants.
Dans les prochains mois, la question des moyens techniques, notamment des matériels de laboratoire, va forcément se poser dans ce pays. « Ils seront fournis en partie par l'OMS, précise le Pr Kosemaka, et nous espérons également une aide du gouvernement japonais.Il faudra rencontrer très vite le ministre de la Santé, qui vient de changer, plaider l'intérêt de cette collaboration nouvelle avec l'OMS. Cela ne devrait pas être trop difficile : il est médecin. »
Le Pr Kozemaka confie que, dans le stage, ce sont les études concrètes de cas survenus dans le passé récent, et, sur le plan technique, toute la partie sur l'élimination des déchets de laboratoire, qui l'ont le plus intéressé. « L'asepsie du laboratoire, l'impérieuse nécessité de la javellisation par exemple, voilà deux notions qui étaient pour moi radicalement nouvelles », précise-t-il.
De son côté, Joël Kondé, ingénieur biologiste, directeur d'un laboratoire provincial de biologie de la République du Congo, explique qu'il a désormais compris combien son rôle dans la « transmission rapide des données et du diagnostic vers le laboratoire national de Kinshasa », la capitale, « sera déterminant ».
« Le but du bureau de Lyon est de renforcer les capacités des pays du Sud pour leur permettre de faire face aux flambées épidémiques, y compris grâce au dépistage de la pharmacorésistance », avait notamment résumé en février dernier, lors de l'inauguration officielle du bureau lyonnais, le Dr Gro Harlem Brundtland, directrice de l'OMS. Cette première promotion de stagiaires africains va regagner son continent. Une deuxième, constituée de scientifiques venus d'Irak, d'Iran, de Turquie, du Liban, de Syrie, du Yémen, du Soudan, est attendue à Lyon cet automne : le Dr Coulombier, qui rentre de Amman, achève actuellement ses « recrutements », en liaison avec les autorités sanitaires nationales. Déjà, toute l'équipe du Dr Buriot réfléchit à la troisième, prévue au début de l'été 2002. Elle sera composée d'une vingtaine de médecins et de biologistes responsables de laboratoires issus de l'ensemble des petites Républiques de l'Est, ex-satellites de l'ex-URSS.
Un réseau de surveillance dans 45 pays
Grâce aux liens noués à Lyon, l'OMS espère créer d'ici à cinq ans un « réseau mondial » de surveillance, fondé sur des relations scientifiques suivies entre, d'une part, le bureau de Lyon et le siège de l'organisation à Genève, et de l'autre, les 45 pays où sévissent les épidémies les plus fréquentes. L'informatique appliquée à la médecine et à l'épidémiologie, une des disciplines dans lesquelles les futures « sentinelles » se perfectionnent lors de leur séjour lyonnais, facilite la communication. Et dispenser à Lyon un enseignement théorique de base identique et des pratiques communes de surveillance (techniques de prélèvement, d'analyse biologique et de suivi épidémiologique notamment), constitue l'espoir de l'OMS, qui mise beaucoup sur « l'investissement en matière grise » que représente son nouveau bureau de Lyon.
Ce n'est pas un hasard si les 45 pays recoupent à peu de choses près les frontières du Sud : ce sont en effet les pays en développement qui sont les plus touchés par les principales pathologies transmissibles, réémergentes ou émergentes, et qui en subissent les pires conséquences. L'an dernier, rappelle le Pr David L. Heymann, directeur du Groupe maladies transmissibles de l'OMS, les maladies transmissibles - au premier rang desquelles il faut classer le SIDA, la tuberculose, la rougeole, les méningites, la fièvre jaune -, ont entraîné le décès de plus de 13 millions de personnes dans le monde. Elles représentent près de la moitié des décès prématurés chez les moins de 45 ans. A ces pathologies mortelles, il faut ajouter les maladies qui entraînent des handicaps, comme la lèpre ou l'onchocercose, les maladies réémergentes, comme le choléra, et celles dont on ne connaît pas encore la nature et l'étiologie exactes, et que l'on appelle émergentes.
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