D EPUIS des années, on traque le prion dans le sang, et c'est dans les urines qu'il apparaît.
Le résultat est publié par le « Journal of Biological Chemistry », directement sur son site en ligne* tant il est jugé important. Des chercheurs de l'université Hadassah ont en effet mis en évidence une protéine prion résistante aux protéases dans les urines de différents organismes : le hamster infecté par la souche de référence 263K, la vache contaminée par l'agent de l'ESB, enfin, l'homme atteint de forme génétique ou sporadique de maladie de Creutzfeldt-Jakob. La nature exacte de ce « nouveau » prion, dit UPrPsc, reste à préciser. Il n'en demeure pas moins que l'excrétion d'une PrP résistante dans les urines est un phénomène tout à fait inattendu, manifestement lié à la présence de prion pathogène dans l'organisme, et qu'il faut expliquer.
Les Israéliens ont commencé par étudier la cinétique d'excrétion par rapport à l'infection. L'UPrPsc a été recherchée dans les urines de hamster contaminé par voie intracérébrale ou intrapéritonéale. Typiquement, les durées d'incubation avant la maladie clinique sont de l'ordre de 75 jours et 120 jours, respectivement. Or, dans les deux cas, un premier signal UPrPsc a été détecté entre deux et trois semaines après l'infection, pour disparaître ensuite, réapparaître après deux à trois semaines supplémentaires et continuer d'augmenter jusqu'à l'apparition de la maladie clinique.
Un phénomène de clairance
On a donc affaire à une courbe bimodale, que l'on peut interpréter comme une clairance, d'abord de l' inoculum, puis, dans un second temps, de l'infection qui se propage silencieusement dans le cerveau ou d'autres organes périphériques. Une telle clairance ouvre naturellement des perspectives considérables au diagnostic, y compris, peut-être, très précocement, peu après une exposition.
Le problème se pose toutefois du mécanisme de cette clairance. Compte tenu de sa cinétique, l'excrétion du prion n'est pas un phénomène secondaire, lié à la dégradation de la barrière hémato-encéphalique après une certaine évolution de la maladie dans le SNC. L'UPrPsc excrétée provient du sang. On sait que l'on a beaucoup recherché le prion dans le sang, où il semble indétectable. Il faut donc envisager que l'impossibilité de détecter le prion circulant n'est qu'une question de taux, et que le rein concentre l'agent dans les urines. Effectivement, le poids moléculaire du prion non agrégé est inférieur au seuil de filtration par le rein. Il peut donc, en principe, passer dans les urines. La difficulté est que la forme UPrPsc détectée est une forme agrégée du prion.
Les auteurs soulignent une étape apparemment indispensable à la mise en évidence (par anticorps) de l'UPrPsc : la dialyse des urines, c'est-à-dire l'élimination des agents dénaturants, en particulier l'urée, auxquels, quoique résistante, l'UPrPsc n'est pas forcément insensible. Selon l'interprétation que donnent les auteurs, la dialyse permettrait une renaturation complète, et l'agrégation de protéines prions excrétées sous forme partiellement dénaturée et non agrégée. Renaturé sous forme UPrPsc, le prion deviendrait détectable.
Une conséquence inquiétante est qu'il semble se confirmer que le prion circule bien dans le sang.
Mais ce n'est pas tout : qu'en est-il en effet de l'infectivité, éventuellement très précoce, des urines ?
Les auteurs ont effectué des tests d'infection par de l'urine enrichie en UPrPsc ou des extraits cérébraux de hamsters atteints de scrapie. Alors que les animaux infectés par extrait cérébral ont tous développé une maladie fatale en 80 jours, aucun animal infecté par l'UPrPsc n'a développé de maladie clinique, avec un recul de 270 jours. Toutefois, la présence d'un faible taux de PrPsc (la protéine pathogène) a pu être mise en évidence dans le cerveau de l'un des trois animaux sacrifiés à 120 jours. Si l'infection par l'UPrPsc ne se solde pas par une maladie rapide, comme l'infection par un extrait cérébral, elle pourrait dans certains cas conduire à une infection infraclinique, dont l'évolution reste à déterminer.
Cette notion d'infection à faible évolutivité, déjà suggérée par différentes observations, est probablement à mettre en rapport avec les processus de dénaturation/renaturation de la protéine. Mais on est loin de comprendre la relation structure-fonction qui pourrait être en cause.
La question de fond est en fait de savoir si des infections répétées par des prions potentiellement responsables de formes infracliniques peuvent conduire à la forme clinique de la maladie. Autrement dit, l'UPrPsc peut-elle être à l'origine de la transmission de la maladie d'un animal à l'autre au sein d'un troupeau ? L'urine d'animaux contaminés présente-t-elle un risque ? Sur ce point crucial, les auteurs restent quelque peu évasifs, on les comprend. Ils rappellent toutefois que le mécanisme de la transmission au sein d'un troupeau n'a jamais été élucidé.
Ils notent également que les sols absorbent l'urée, mimant ainsi la dialyse nécessaire à la reconformation de l'UPrPsc. L'hypothèse d'une contamination par des herbages souillés est donc plausible - et le fait que l'alimentation naturelle ait été contaminée par l'intermédiaire des farines animales ne serait pas le moindre paradoxe de l'affaire. Il faut toutefois rester d'une grande prudence face à cette hypothèse, dont les conséquences seraient immenses. Dans un premier temps, une confirmation des résultats israéliens est nécessaire et urgente.
G. M. Shaked et coll.
* http://www.jbc.org
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