D'après une communication du Pr Michel Komajda, hôpital la Pitié¨, Paris, lors des 12e journées de la Société française de cardiologie

Maladies cardio-vasculaires : le programme du génome humain accélère l'approche du gène candidat

Publié le 11/03/2002
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La première séquence du génome humain a été publiée au début de l'année 2001*. C'est le résultat d'un programme collaboratif qui a regroupé sept pays : le Canada, la Chine, la France, l'Allemagne, le Japon, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis. En juillet dernier, 47,1 % des séquences étaient déterminées. A l'heure actuelle, de grandes incertitudes persistent encore dans d'importantes zones du génome humain. Ce serait une erreur de penser que le programme est définitivement terminé.

Perspectives offertes au cardiologue grâce à ce nouvel outil

La majorité des maladies familiales cardio-vasculaires est extrêmement complexe et hétérogène sur le plan génétique, qu'il s'agisse des cardiomyopathies hypertrophiques, des cardiomyopathies dilatées, des syndromes du QT long congénital, de la dysplasie ventriculaire droite arythmogène ou du prolapsus valvulaire mitral familial. Le programme va accélérer l'approche dite du gène candidat qui consiste à tester l'hypothèse selon laquelle un gène peut être impliqué dans une famille porteuse d'une maladie cardio-vasculaire. On a ainsi répertorié un certain nombre de gènes de susceptibilité et de polymorphismes associés à un surrisque de développement d'une cardiomyopathie dilatée. Cela va-t-il s'appliquer également aux maladies multifactorielles telles que l'hypertension artérielle, l'athérosclérose ou l'insuffisance cardiaque ? Si l'on arrive à identifier les variants de polymorphisme dans tout le génome humain, on sera à même de pouvoir étudier les gènes de susceptibilité d'une maladie - ce ne sont plus des familles que l'on étudiera, mais des cas et des contrôles - , et de voir l'influence du terrain génétique sur le développement et la gravité de ces affections multifactorielles. A côté des outils traditionnels tels que les facteurs neuro-hormonaux, on pourra disposer d'une aide à l'évaluation pronostique des maladies cardio-vasculaires en se fondant sur le terrain génétique.
Une autre perspective est «la médecine inverse » : connaissant l'anomalie génétique, on pourra réévaluer la pertinence des critères cliniques utilisés pour faire le diagnostic de ces maladies. Sur un groupe de 155 adultes atteints de CMOH familiale, on a réévalué la pertinence - sensibilité, spécificité, valeurs prédictives positives et négatives - de l'ECG, de l'échographie ou de leur combinaison en critères majeurs ou mineurs. Un des problèmes actuels de nos outils traditionnels est le manque de sensibilité, alors que la spécificité est bonne. En outre, elle permettra l'évaluation de nouveaux outils permettant la recherche de critères plus subtils de diagnostic dans ces maladies, en particulier la détection précoce des sujets atteints. Une étude récente** a utilisé le doppler tissulaire chez des sujets normaux ayant une hypertrophie ventriculaire gauche (HVG) due à une cardiomyopathie hypertrophique familiale et des porteurs sains de ces familles, sans HVG. Avant que la maladie ne s'exprime selon les critères cliniques habituels, il se produit une altération des vitesses latérales systolique et protodiastolique, visibles au doppler tissulaire. Enfin, chez les sujets à risque, on pourra envisager une prévention ou des mesures thérapeutiques précoces. Par exemple, dans des familles de cardiomyopathie hypertrophique, nous avons pris la décision d'implanter des défibrillateurs dans des formes malignes. Par ailleurs, à des sujets porteurs de CMOD familiale et apparentés, nous avons prescrit des inhibiteurs de l'enzyme de conversion (IEC) et des bêtabloquants afin d'éviter la progression de la maladie. Une dernière perspective est la pharmacogénomique. D'une part, elle sert à identifier des groupes de sujets répondeurs à des thérapeutiques traditionnelles ou des groupes de sujets à risque de toxicité liée aux médicaments cardio-vasculaires. D'autre part, elle permet la fabrication de nouveaux outils pharmacologiques en se fondant sur les protéines nouvellement identifiées.

Le syndrome du QT long

Ainsi, chez les sujets présentant un syndrome du QT long congénital, on a montré que seuls ceux qui ont des mutations des gènes codant pour le canal sodique répondaient aux bloqueurs de ces canaux. En effet, le syndrome du QT long peut être également lié à des anomalies des gènes codant pour les canaux potassiques. Chez ces patients, l'utilisation de bloqueurs du canal sodique sera sans effet. « Chez des femmes porteuses du facteur V de Leiden, nous avons montré, souligne le Pr Komajda, qu'existait un très haut risque de thrombose veineuse cérébrale sous contraceptifs oraux. La pharmacogénomique va permettre de mieux appréhender les métaboliseurs rapides ou lents des drogues cardio-vasculaires utilisées ; la plupart de celles-ci étant métabolisées par N-acétylation au niveau du cytochrome P450. Enfin, on a montré que la toux??? des IEC était influencée par un polymorphisme situé dans les récepteurs B2 de la bradykinine ».

Limites du programme génomique

Le programme va générer l'identification de milliers de nouveaux gènes, et donc de protéines codées par ces gènes. Nous avons une méconnaissance totale de leur rôle physiologique, et à plus forte raison physiopathologique, au niveau des cellules cardiaques et des cellules en général. « Force est de constater, affirme le Pr Komajda, que dans tous les pays, le cursus des sciences a privilégié la biologie moléculaire au détriment de la physiologie. Un effort considérable de recherche en physiologie intégrée, en s'aidant d'études in vitro et de modèles animaux in vivo , va devoir être mené afin d'utiliser ces nouvelles connaissances. »
Des mutations qui apparaissent identiques dans un gène entraînent des maladies cliniquement totalement différentes les unes des autres. C'est le cas du gène codant pour la lamine, qui peut donner des dystrophies musculaires, des CMOD ou des lipodystrophies.
En ce qui concerne les maladies familiales cardio-vasculaires, nous avons identifié 11 gènes différents qui peuvent être associés à la CMO. Mais si une mutation différente est observée dans chaque famille, la fonction de la protéine altérée est sans doute également différente. Il faudra donc réaliser de nombreuses études fonctionnelles avant de comprendre ce qui se passe.
Une autre difficulté concerne les relations phénotype-génotype, que ce soit pour le pronostic ou l'identification du terrain génétique avec l'anomalie génétique. Ces corrélations sont extrêmement complexes du fait de l'hétérogénéité génétique des maladies familiales cardio-vasculaires, de l'existence de gènes modificateurs qui peuvent accentuer ou diminuer la présentation clinique d'une maladie donnée et de l'environnement qui apporte son empreinte. Le conseil génétique est donc très délicat à appliquer dans ces maladies.
En ce qui concerne les maladies multifactorielles, l'identification du polymorphisme va conduire à trouver des facteurs génétiques qui n'influencent que faiblement la maladie (de 1 à 5 %). Si nous voulons obtenir des résultats valables et robustes, il faut que nous disposions de très grandes populations parfaitement définies au plan clinique. Toutes ces études et approches nécessitent des puissances de calcul extrêmement importantes, d'où la nécessité de développer les biostatistiques.
Enfin, la thérapie génique demeure en suspens. D'abord, parce qu'il existe une grande hétérogénéité génétique des maladies familiales cardio-vasculaires : quel gène choisir pour régénérer le myocarde par exemple ? « Ensuite, le mécanisme moléculaire est en général dominant négatif : les anomalies des protéines sont plutôt qualitatives que quantitatives. Enfin, cela reste un espoir pour les maladies multifactorielles, mais beaucoup de travail reste à faire », conclut le spécialiste.
Le programme du génome humain va introduire une révolution des concepts, d'où la nécessité de créer des programmes éducatifs destinés aux médecins et au grand public.

D'après la conférence du Pr Michel Komajda, hôpital la Pitié, Paris, lors des 12es Journées européennes de la Société française de cardiologie
* « Nature », 2001, 09, 860.
** Circulation, 2001, 104 :128.

Le programme génomique aux Etats-Unis

Nos collègues américains sont très en avance sur nous.
Le NHLBI a lancé un programme très ambitieux, à la fois scientifique, avec des projets concernant le vieillissement, l'insuffisance cardiaque, les cardiomyopathies, l'identification des polymorphismes dans les maladies cardio-vasculaires et éducatif.


Site de cardiogenomics : http://www.cardiogenomics.org:1550/home
Dr Mathilde FERRY

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7084