REFERENCE
1. Des évidences trompeuses
La maladie veineuse chronique est un problème majeur de santé publique et d'inaptitude au travail responsable d'absentéisme ou d'hospitalisations, mais ayant également un retentissement indirect sur la qualité de la production.
Weiss (10) évalue le nombre de jours de travail perdus par an aux Etats-Unis à 6 millions contre 6,3 millions en France d'après Lafuma (10). On affirme toujours qu'il s'agit d'une maladie à prédominance féminine, mais Evans (étude d'Edingurg, 1999) (4) trouve 58 % d'atteinte masculine contre 48 % d'atteinte féminine.
La littérature est incomplète et imprécise, si ce n'est contradictoire : on avance que les métiers les plus exposés seraient cuisiniers, chirurgiens, dentistes, travailleurs postés, vendeurs de magasin, coiffeurs, garçons de café, employés des industries textiles, enseignants, tailleurs de pierre... On compare des métiers, voire des industries, mais on ne décrit jamais la nature réelle du travail : absence d'information sur les positions, les gestes et les postures, sur la polyvalence des postes et leur évolution dans le temps.
2. Des études significatives
Quelques études ont cherché à mettre en évidence des facteurs de risque significatifs liés au travail. Les enquêtes par questionnaires ne présentent aucun critère de validité et de très nombreux biais d'analyse les font rejeter. Les études les plus rigoureuses méthodologiquement ont défini la nature de la position au travail, de l'examen clinique et des examens complémentaires à pratiquer.
Tomei (8) a retenu pour son étude un temps de travail debout supérieur à 50 % sur une surface de travail de 1 m2. Il a également évalué les différences entre un travail assis de plus de 50 % ou un temps de marche inférieur à 50 %. Il conclut que la prévalence des troubles veineux est significativement corrélée à la position et au nombre d'heures passées debout, qu'elle augmente avec l'âge, et qu'elle est plus élevée dans l'industrie que chez les tailleurs de pierre ou les employés de bureaux.
Krijnen (6) a étudié une cohorte de 387 travailleurs recrutés dans des industries diverses. Il a défini la position debout comme supérieure à 80 % du temps de travail sur une surface de 1 m2. L'étude a comporté un questionnaire, un examen clinique, un écho-Doppler, une rhéographie par réflexion lumineuse et une mesure opto-électronique de la jambe. Il constate que 29 % des travailleurs présentent une maladie veineuse chronique, avec corrélation positive avec l'âge, le poids, la position debout, et un absentéisme de plus 7 %. Les résultats concernant les variations de volume de la jambe (7) en « fin de poste de travail » ne sont pas concordants et demandent à être confirmés. Mais en cas de varices jambières, il existe une corrélation entre dème et temps de travail. Krijnen a également étudié le travail debout avec chaussettes de contention ou tapis de sol en caoutchouc. Il conclut à une supériorité de la contention élastique comparée au tapis de sol, la contention étant plus aisée à mettre en uvre, diminuant davantage les signes fonctionnels et le gonflement des jambes.
3. Critères d'analyse des études
A l'initiative de nombreuses sociétés savantes et de l'ANAES, les critères d'évaluation des études et la force des recommandations peuvent être résumés dans le tableau en encadré.
4. Réflexion pour une enquête épidémiologique de qualité et pistes de prévention
Parler de travail sans tenir compte de la diversité des situations et des changements intervenus avec le temps doit faire douter du bien-fondé de certaines conclusions, reprises de publication en publication. Quels liens peut-on trouver entre travail de bureau et chauffeur de taxi, hôtesse d'accueil dans des centres d'exposition et personnel navigant dans l'aviation, personnel hospitalier, coiffeur et agriculteur, industrie agroalimentaire et hauts fourneaux ? Comment peut-on faire une étude sur le travail et ses conséquences sur la paroi veineuse sans préciser la durée du travail, posté ou non, les conditions de travail, la nature du sol, assis, debout, avec marche ou piétinement, le niveau thermique, chaleur ou froid, le degré d'humidité, travail masculin ou féminin ?
Autres biais : les médecins du travail ne sont que rarement associés à ces études et tout laisse à penser qu'ils sous-estiment très largement la pathologie veineuse chronique. Les études sont de faible puissance statistique, le plus souvent faites à partir de questionnaires rétrospectifs non validés. La nature des examens cliniques n'est pas décrite, sans corrélation avec des échographies Doppler. Il y a une grande diversité dans les définitions de l'insuffisance veineuse chronique. Certaines études font référence à la classification de Boer, de Widmer, ou au CEAP, d'autres publications ne donnent aucune définition !
Dans un premier temps : sélectionner des groupes homogènes d'exposition, définir les conditions réelles de travail (voir ci-dessus), et la durée de travail dans ces conditions et son évolution dans le temps. Respecter les critères de l'ANAES si on veut réaliser des études significatives. Tenir compte de la qualité des examens cliniques réalisés par des médecins formés, et des examens hémodynamiques. Rechercher des pistes de prévention en étudiant avec méthode les effets de la contention élastique ou de l'organisation du travail (étude des sols, horaires, pauses, polyvalence, chaleur, hygrométrie...) sur les groupes exposés et à risque. Enfin, développer un vrai partenariat avec les employeurs et les salariés pour promouvoir des plans d'action aux objectifs clairs et réalistes.
En conclusion, la contention élastique est probablement la piste la plus sérieuse de prévention de facteurs de risque au travail. Encore faut-il identifier ces facteurs de risque. A quand le port obligatoire de chaussettes de contention chez les travailleurs à risque au même titre que tout équipement de protection individuel ?
Bibliographie
1) Abraham P., Leftheriotis G., Desvaux B., Sautet M., Sautet J.-L. Venous return in lower limb during heat stress, « Am J Physiol », 267, H1337-H1340, 1994.
2) Bartolo M. Impact socio-économique des maladies veineuses en Italie, « Phlébologie », n° 4, 423-431, 1992.
3) Centre canadien d'hygiène et de sécurité au travail, « Guide sur le travail en position debout », mise à jour août 1998.
4) Evans C. J., Fowkes F. G. R., Ruckley C. V., Lee A. J. Prevalence of varicose veins and chronic venous insufficiency in men and women of the general population : Edinburg Vein Study. « J Epidemiol Community Health », 53, 149-53, 1999.
5) Hobson J., Venous insufficiency at work, « Angioly », 48(7), 577-582, 1997.
6) Krijnen R. M., Boer E. M., Ader H. J., Osinga D. S., Bruynzeel D. P., Compression stockings and rubber floor mats : do they benefit workers with chronic venous insufficiency and standing profession ? « JOEM », vol. 39, n° 9, 889-894, 1997.
7) Krijnen R. M., Boer E. M., Ader H. J., Bruynzeel D. P., Venous insufficiency in male workers with a standing profession, part 1 and 2, « Dermatoloy », 194, 111-126, 1997
8) Sobaszek A., Domont A., Frimat P., Dreyfus J.-P., Mirabaud C., Catilina P., L'insuffisance veineuse chronique des membres inférieurs en entreprise, « Arch Mal Prof »,57,3, 157-167, 1996.
9) Tomei F., Baccolo T. P., Tomao E., Palmi S., Rosati M. V., Chronic venous disorders and occupation, « Am J Ind Med »36 : 653-665, 1999.
10) Tüchsen F., Krause N., Hannerz H., Burr H., Kristensen T. S., Standing at work and varicose veins, « Scand J Work Environ Health », 2000, 26, 5, 414-420.
11) Van den Oever R., Hepp B., Debbaut B., Simon I., Socio-economic impact of chronic venous insufficiency, an uderestimated public health problem, « Int Angiol », 17, 161-167, 1998.
Les critères d'évaluation des études
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Force de recommandation | Signification | Evidence scientifique |
Grade A | Preuve scientifique établie | Essais comparatifs randomisés de forte puissance ou métaanalyses |
Grade B | Présomption scientifique | Essais randomisés de faible puissance ou études non randomisées bien menées |
Grade C | Arguments scientifiques faibles | Essais comparatifs non randomisés Etude de cohorte avec biais importants. Etudes rétrospectives. Séries de cas |
Il ressort que, pour une étude de grade A, il convient d'étudier après tirage au sort des grands groupes comparativement. |
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