L'épidémiologie et la physiopathologie de la maladie thromboembolique veineuse en cas de cancer, y compris lorsque ce dernier n'est pas encore connu, commencent à se préciser. Par ailleurs, la prise en charge des thromboses veineuses, des embolies et des thromboses sur cathéter chez les sujets cancéreux a fait l'objet de recommandations nationales récentes.
LA MALADIE thromboembolique veineuse (MTEV) peut être inaugurale et précéder la survenue du cancer. Dans ce cas, les données épidémiologiques sont concordantes. L'incidence des cancers après maladie thromboembolique est évaluée à 10 % dans des séries rétrospectives importantes, à 6 ou 7 % dans des études prospectives et à 5 % selon les données de registres nordiques. Ces éléments ont également permis d'identifier des facteurs de risque parmi les caractéristiques de la maladie thromboembolique, en particulier son caractère idiopathique et récidivant et sa topographie bilatérale, profonde ou son siège aux membres supérieurs. L'addition de ces facteurs augmente le risque de présence d'un cancer. La tumeur, souvent mise en évidence de 6 à 12 mois après la maladie thromboembolique, est volontiers un adénocarcinome du pancréas, de l'ovaire, de l'estomac ou du poumon. En cas de signe d'appel clinique, radiologique ou biologique, la probabilité de diagnostic positif d'affection tumorale est de 4 %, 19 % et 73 %, respectivement en présence de une, deux ou trois anomalies. En revanche, cette probabilité est presque nulle chez un patient asymptomatique. L'échographie abdominale et le dosage des marqueurs tumoraux dans ce contexte ont, en particulier, un rendement très faible, de l'ordre de 1 %. La recherche exhaustive d'un cancer occulte a été évaluée dans deux études randomisées. La première étude, SOMIT, concernait une population de MTEV idiopathique non sélectionnée. Elle a montré que, sans être plus nombreux, les diagnostics sont plus rapides, avec un délai de 1 mois au lieu de plus de 11, et que le stade de découverte des tumeurs tend à être plus précoce. Le bénéfice clinique de cette attitude n'a toutefois pas été démontré dans ce travail car la survie globale est identique, qu'il y ait une recherche de cancer ou une simple surveillance. Plus récemment, la recherche de cancer chez des patients ayant une MTEV idiopathique a été effectuée chez des sujets porteurs, après 3 mois de traitement, d'un thrombus résiduel. Il existe, dans cette étude et dans une population à risque accru, une augmentation de la survie globale pour les patients ayant bénéficié d'une recherche de cancer en cas de thrombose veineuse idiopathique. En attendant la confirmation de ces résultats et la caractérisation des malades pour lesquels cette stratégie devrait être appliquée, la recherche de cancer en cas de maladie thromboembolique doit se limiter, en pratique quotidienne, à un examen clinique complet, un hémogramme et une radiographie pulmonaire.
Chez les cancéreux connus.
Chez les cancéreux connus, la physiopathologie de la thrombose est multifactorielle : immobilisation, obstruction veineuse, altération de la paroi vasculaire par les cellules tumorales ou les produits cytotoxiques, troubles de l'hémostase, anomalies du facteur tissulaire ou des sélectines. Le risque est cumulatif en cas de coexistence de plusieurs anomalies. Ainsi, le risque de maladie thromboembolique est multiplié par 4 à 6 en cas de chimiothérapie et par 21 en cas de chirurgie. Les patients les plus exposés sont ceux qui ont une tumeur cérébrale ou métastatique, ceux traités par chimiothérapie ou porteurs d'une voie veineuse centrale. Comme pour les cancers révélés par une maladie thromboembolique, ce sont les adénocarcinomes (notamment du pancréas et de l'estomac) et les hémopathies malignes qui sont associés à la plus forte incidence de thrombose veineuse profonde ou d'embolie pulmonaire.
Un traitement codifié.
Au cours des cancers, la prise en charge des thromboses veineuse des membres inférieurs, des embolies et des thromboses sur cathéter a récemment fait l'objet de recommandations nationales pour la pratique clinique, téléchargeables gratuitement sur le site sor-cancer.fr.
Le traitement curatif initial est sans particularité et toutes les molécules ayant l'AMM dans cette indication peuvent être utilisées. À partir du dixième jour et pendant au moins 3 mois, le traitement doit reposer sur les héparines de bas poids moléculaire. En cas d'insuffisance rénale sévère, il faut utiliser des héparines non fractionnées avec relais précoce par les antivitamines K. Entre 3 et 6 mois, le traitement doit là aussi privilégier les HBPM. Au-delà du sixième mois, la décision thérapeutique doit prendre en compte la tolérance et l'acceptabilité des HBPM au long cours. Les anticoagulants sont à poursuivre tant que le patient a une maladie néoplasique résiduelle ou un traitement antitumoral. En cas d'embolie pulmonaire grave, la thrombolyse a les mêmes indications et modalités qu'en l'absence de cancer. La mise en place d'un filtre cave se discute chez les malades chez lesquels le traitement anticoagulant est contre-indiqué, ainsi qu'en cas de récidive thromboembolique veineuse sous traitement anticoagulant optimal. La thrombolyse, la pose de filtre cave et le traitement de la MTEV en cas de tumeur cérébrale sont sans spécificité par rapport aux patients sans cancer ou sans tumeur cérébrale.
Pour les thromboses sur cathéter, la fréquence des formes symptomatiques est de 5 % et s'élève à 15-20 % pour les formes asymptomatiques. Le dépistage par échographie Doppler devrait s'imposer en raison de l'impossibilité de la phlébographie chez environ un patient sur sept, cet examen étant agressif et non dénué d'effets secondaires. Le diagnostic des formes symptomatiques s'appuie sur l'échographie Doppler pour l'axe axillo-sous-clavier et la veine jugulaire associée à l'angioscanner qui permet d'explorer les vaisseaux intrathoraciques. Le traitement curatif de ces thromboses sur cathéter, enfin, fait appel en première intention aux HBPM pendant au moins 3 mois. Le cathéter est maintenu en place s'il est fonctionnel et non infecté. Le traitement prophylactique n'est actuellement pas recommandé. Cependant, les résultats de quatre métaanalyses, quoique discordants, et la publication des essais en cours devraient permettre de mieux cerner les indications. Dans l'avenir, le bénéfice du traitement pourrait être montré chez des patients à risque, sous réserve d'une adaptation des posologies et de la chronologie de la prescription.
De nouveaux anticoagulants en cours de développement devraient également amener à modifier la prophylaxie primaire des thromboses veineuses chez les patients cancéreux, en particulier en cas de cathéter central.
D'après un entretien avec le Dr Philippe Debourdeau (service de médecine interne, hôpital d'instruction des armées Desgenette, Lyon) et Mme le Pr Dominique Farge (service de médecine interne, hôpital Saint-Louis, Paris).
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