Les arguments sont de plus en plus nombreux pour affirmer que les dépôts de peptide ß-amyloïde et leur agrégation constituent le ou l'un des éléments primitifs conduisant à la maladie d'Alzheimer. Ce peptide provient d'une longue protéine, l'APP, qui est « découpée » par plusieurs enzymes. Normalement, l'alpha-sécrétase agit au milieu de la protéine et partage en deux le peptide bêta-amyloïde, qui ne peut donc s'accumuler. Au cours de la maladie d'Alzheimer, on observe une augmentation de deux enzymes, la bêta- et la gamma-sécrétas, qui prennent le pas sur l'alpha-sécrétase et isolent le peptide bêta-amyloïde, qui a ensuite tendance à s'accumuler.
Bloquer la bêta- ou la gamma-secrétase
Si l'on parvenait à bloquer ces deux enzymes, on pourrait s'opposer à la production du peptide et agir sur la cause même de la maladie. Cette piste thérapeutique, qui ne serait donc pas symptomatique, comme les traitements actuellement à notre disposition, mais bien physiologique, constitue un grand espoir, mais se heurte encore à plusieurs obstacles, notamment parce que la bêta-sécrétase agit à d'autres niveaux et a certains effets physiologiques importants.
Le rôle fondamental de l'excès de production du peptide bêta amyloïde est par ailleurs étayé par des travaux réalisés dans les rares familles atteintes de formes autosomiques dominantes de maladie d'Alzheimer. Les différentes mutations observées sont responsables de troubles du métabolisme de ce peptide, soit elles augmentent sa production, soit elles favorisent son agrégation.
Des essais d'immunisation contre le peptide bêta-amyloïde, même s'ils ont dû être abandonnés, fournissent des arguments supplémentaires sur l'intérêt d'agir à ce niveau. Des travaux chez des souris modifiées génétiquement et produisant du peptide bêta-amyloïde avaient montré que l'injection du peptide induisait la formation d'anticorps capables de franchir la barrière hémato-encéphalique et de détruire les dépôts. Cette action était à l'origine d'une amélioration significative du comportement des animaux. Un essai a donc été mis en route chez l'homme. Trois cent quatre-vingt patients atteints de maladie d'Alzheimer ont été « vaccinés » dans le monde. Mais les effets ont dépassé l'objectif, note le Pr Pasquier. Vingt malades ont développé une encéphalite dysimmunitaire par production excessive d'anticorps. Ils ont récupéré sous corticothérapie, mais l'essai a bien entendu été interrompu. Une autopsie réalisée chez l'un d'entre eux, décédé d'une autre cause, a néanmoins confirmé que le traitement avait une efficacité certaine car les dépôts de substance bêta-amyloïde avaient nettement régressé. La piste reste donc intéressante, mais il faudra mettre au point de nouvelles stratégies, peut-être en ciblant une petite fraction du peptide afin de limiter la production d'anticorps ou en injectant directement des anticorps sans que l'organisme n'ait à les produire. La prudence reste néanmoins de mise car il s'agit de substances biologiques dont les effets peuvent être délétères.
L'autre grande avancée récente est la possibilité de poser le diagnostic à un stade plus précoce de la maladie, avant l'apparition de la démence. Auparavant, le diagnostic reposait sur plusieurs critères : des troubles de la mémoire, d'autres signes de démence et un retentissement sensible sur la vie quotidienne. Aujourd'hui, on peut identifier un syndrome dit de « Mild Cognitive Impairment ». Ce sont des signes qui n'ont pas de retentissement majeur sur la vie du patient, mais qui peuvent être reconnus par des tests simples. Les troubles portent essentiellement sur les fonctions exécutives. Le patient préfère abandonner certaines activités de gestion, qu'il a du mal à mener à bien, qui lui demande plus de temps, il est moins sûr de lui. Il montre une certaine lenteur pour retenir une liste de mots et surtout il présente des oublis en rappel différé : un sujet « normal », même s'il ne se souvient pas de la liste complète des mots après un certain délai, il les retrouve si on le met sur la piste. Par exemple, lorsqu'il a oublié un nom de fleur ou de fruit, il retrouve le mot à l'évocation de la catégorie. Le patient à risque d'évolution vers une maladie d'Alzheimer n'est pas orienté par l'indice. De 12 à 15% des sujets qui présentent ce type de troubles de la mémoire développent, dans l'année, une démence ; après cinq ou six ans, la moitié d'entre eux ont une maladie d'Alzheimer. Ces profils d'altération de la mémoire doivent donc être considérés comme très suspects. Des études ont d'ailleurs montré que ces patients présentaient déjà une atteinte du circuit hippocampique.
Des essais thérapeutiques en cours chez des sujets au stade prédémentiel montrent d'ailleurs que la mise en route d'un traitement symptomatique retarde la survenue de la maladie. Ces résultats sont préliminaires, mais incitent à mieux détecter les patients à risque, car, même si les traitements sont très chers, les analyses pharmaco-économiques montrent que leur coût peut être aisément récupéré par la diminution de la perte d'autonomie et le retard à l'institutionnalisation.
Eliminer une atteinte cérébro-vasculaire
L'imagerie est toujours indiquée chez les sujets dépistés comme étant à risque. S'il est difficile en pratique courante de détecter à un stade précoce une atrophie de la région hippocampique, le scanner ou l'IRM permettent d'éliminer les autres causes de troubles de la mémoire, même si leur profil est quelque peu différent, notamment les atteintes cérébro-vasculaires. Leur dépistage permet alors de mettre en route des traitements de prévention secondaire, une thérapeutique antihypertensive ou contre une fibrillation auriculaire par exemple. On sait en outre que les lésions vasculaires et dégénératives se potentialisent. D'où l'intérêt de poser un diagnostic aussi précis que possible d'éventuelles lésions cérébrales.
Sur le plan thérapeutique, il ne faut pas oublier l'efficacité des médicaments d'ores et déjà à notre disposition. Les inhibiteurs de l'acétylcholinestérase ont non seulement une efficacité démontrée sur les fonctions cognitives et les activités de la vie courante, mais il semble qu'ils aient également un impact favorable sur le comportement des patients (1) : ils s'opposent à l'apathie et au manque de motivation, réduisent les hallucinations visuelles, diminuent le syndrome dépressif, l'agitation et l'anxiété. Leur indication est actuellement limitée aux formes légères à modérées de la maladie, mais des essais chez des patients à des stades plus évolués sont encourageants (2, 3). Il semble que ces médicaments soient capables de stabiliser, voire d'améliorer l'évolution de la maladie même chez des sujets dont le MMS est inférieur à 10 et qu'un traitement prolongé puisse assurer un certain bénéfice symptomatique (4, 5).
Deux axes se dégagent donc : une efficacité dans les formes précoces de la maladie, mais aussi chez les malades présentant une atteinte sévère. Rappelons que, à l'heure actuelle, seulement un quart environ des patients est traité. L'arsenal thérapeutique disponible et les thérapeutiques en développement devraient permettre de ralentir l'évolution de la maladie chez de nombreux malades et de limiter leur dépendance.
* CHRU de Lille.
(1) Efficacité sur les troubles du comportement
Rosler M. The efficacy of cholinesterase inhibitors in treating the behavioural
symptoms of dementia. « Int J Clin Pract Suppl » 2002 (127) : 20-36.
(2) Dans les formes sévères
Feldman H et coll. A 24-week, randomized, double-blind study of donepezil in moderate to
severe Alzheimer's disease. « Neurology » 2001 ; 57 (4) : 613-620.
(3) Wilkinson DG et coll. Galantamine provides broad benefits in patients with 'advanced moderate Alzheimer's disease (MMSE ≤ 12) for up to six months. « Int J Clin Pract » 2002 ; 56 (7) : 509-514.
(4) Mohs RC et coll. A 1-year, placebo-controlled preservation of function survival study of
donepezil in AD patients. « Neurology » 2001 ; 57 (3) : 481-488.
(5) Rogers SL et coll. Long-term efficacy and safety of donepezil in the treatment of Alzheimer's disease : final analysis of a US multicentre open-label study.
« Eur Neuropsychopharmacol » 2000 ; (3) : 195-203.
(6) Winblad B, Poritis N.
Memantine in severe dementia : results of the 9M-Best Study (Benefit and
efficacy in severely demented patients during treatment with memantine).
« Int J Geriatr Psychiatry » 1999 ; 14 (2) : 135-146.
AMM européenne pour la mémantine
La mémantine est un antagoniste des récepteurs NMDA. Elle n'a pas une action spécifique sur la maladie d'Alzheimer, mais agit plutôt comme un neuroprotecteur. En effet, elle s'oppose aux effets pathologiques du glutamate dont l'augmentation a une action excitotoxique délétère. Le blocage de ces récepteurs diminue la dysfonction neuronale. Cette molécule a été essayée dans des formes modérément sévères à sévères de la maladie (6). Elle permet une certaine stabilisation, voire une amélioration des symptômes. Les patients conservent plus longtemps certaines capacités cognitives. Des essais réalisés en ambulatoire comme en institution ont montré qu'ils diminuaient le « temps soignant », autrement dit les patients qui en bénéficient ont moins besoin d'aide et de soutien par les équipes médicales. La mémantine a reçu une AMM européenne.
Les démences frontotemporales
Des progrès ont également été réalisés dans la prise en charge des démences frontotemporales qui touchent des sujets beaucoup plus jeunes (moyenne d'âge : 50 ans). Ces patients présentent des troubles du contrôle de soi avec une désinhibition verbale et comportementale : ils ont des gestes et des actes déplacés, négligent leurs affaires. Leurs troubles cognitifs sont au deuxième plan et nombreux sont ceux qui se trouvent placés dans des institutions psychiatriques, faute de diagnostic.
Des essais thérapeutiques ont montré que la trazodone, médicament initialement considéré comme un antidépresseur, et retiré du marche en France, a des effets favorables sur le comportement de ces malades.
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