La fréquence de la maladie coeliaque est sous-estimée, en particulier du fait de l'absence de prise en compte des formes silencieuses, pauci-symptomatiques ou atypiques qui sont majoritaires. Le caractère pauci-symptomatique de la maladie entraîne souvent un retard au diagnostic. Selon des études séro-épidémiologiques récentes, la prévalence de la maladie serait de 1/300 à 1/500 en Europe et aux Etats-Unis. Plus de 150 000 sujets en France seraient donc concernés par cette intolérance au gluten. La maladie cliaque est une maladie très polymorphe qui peut se révéler par des avortements à répétition, une hypotrophie ftale, des augmentations inexpliquées des transaminases, des troubles fonctionnels intestinaux avec diarrhées, par des douleurs osseuses et/ou une ostéopénie inexpliquées, des troubles neurologiques, notamment une ataxie cérébelleuse.
« Ces données cliniques et épidémiologiques expliquent le regain d'intérêt que suscite la maladie cliaque au sein la Communauté européenne qui a inclus cette thématique dans les axes du prochain programme de recherche communautaire. La communauté médicale sur le plan national se mobilise également. La session qui est consacrée à la maladie cliaque aux Journées francophones en est un exemple », remarque le Pr Christophe Cellier.
Une étude dirigée par le Dr Boutron-Ruault figure parmi les travaux présentés ; elle a permis de rechercher une maladie cliaque chez des sujets adultes de la cohorte SU.VI.MAX : 4 500 sérums ont été étudiés et testés par des anticorps antigliadine IgG et IgA. Pour tout sérum positif, une recherche d'anticorps anti-endomysium était secondairement effectuée. Un diagnostic de maladie cliaque a été posé chez 7 sujets sur 4 500, soit 1/643. « Cette prévalence est un peu plus faible que celle observée dans les autres pays européens et celle observée dans le nord de la France, commente le spécialiste . Cela s'explique par l'âge un peu élevé des sujets testés (âgés en moyenne de 55 ans). Toutefois, si on s'en tient à ces chiffres, la fréquence de la maladie cliaque concernerait près de 100 000 Français. »
Des anticorps antitransglutaminase peu spécifiques
Une seconde étude menée par la même équipe a porté sur la rentabilité et les performances des tests de dépistage. « On attendait beaucoup du test dosant les anticorps antitransglutaminases qui ont été identifiés comme étant la cible antigénique des anticorps anti-endomysium, anticorps de référence pour le diagnostic et le dépistage de la maladie cliaque. Un kit ELISA dosant les anticorps antitransglutaminases aurait dû supplanter le test par immunofluorescence indirect dosant les anticorps Ig A anti-endomysium. En effet, des essais préliminaires avaient fait état d'une sensibilité et d'une spécificité du test ELISA de 95 %, significativement supérieures au test anti-endomysium, » affirme le Pr Cellier.
Malheureusement, la recherche d'anticorps antitransglutaminases donne des taux de faux positifs extrêmement importants, soit 8,5 % des hommes et 6,6 % des femmes (les sujets testés n'avaient pas d'autres anticorps positifs par ailleurs). « La spécificité des anticorps antitransglutaminases est finalement médiocre dans une population de sujets adultes, ils ne peuvent donc pas être utilisés pour des tests de dépistage. Les anticorps anti-endomysium restent pour l'instant les anticorps de référence dans le diagnostic et le dépistage de la maladie cliaque », insiste le Pr Cellier.
Des problèmes d'infertilité
La maladie cliaque peut être associée à des problèmes d'infertilité. Le Pr Cosnes et collaborateurs ont montré qu'il y avait davantage d'infertilité chez les patients qui présentaient des symptômes dans l'enfance mais qui ont échappé au diagnostic ; ces patients avaient une plus petite taille qu'un groupe contrôle et un plus grand nombre d'infertilité. « Autrement-dit, quand il existe des symptômes digestifs dans l'enfance, il faut penser à la maladie cliaque si l'on veut prévenir la petite taille et l'infertilité », souligne le Pr Cellier.
Le Dr Cosnes a par ailleurs objectivé une forte prévalence de maladie auto-immune chez 24 % des patients présentant une maladie cliaque. « Ici, remarque le spécialiste, le retard au diagnostic ne semblait pas influencer la survenue d'une maladie auto-immune. »
« Une étude réalisée par notre équipe a concerné le devenir à l'âge adulte des enfants cliaques non symptomatiques après arrêt du régime sans gluten, indique le Pr Cellier. Au moment de l'adolescence, 90 % des adolescents essaient d'arrêter le régime sans gluten trop contraignant à suivre socialement. La moitié ne redéveloppe pas de symptômes et se considèrent blanchis cliniquement de la maladie. On a voulu savoir ce que devenait ces adolescents blanchis cliniquement, 20 ans plus tard. » Nous nous sommes intéressés à la cohorte de patients initialement suivis par les gastro-entérologues pédiatres. Près de 60 % des patients étaient toujours asymptomatiques à l'âge adulte malgré un régime normal, les autres patients avaient des symptômes digestifs plutôt minimes. « En revanche, affirme le Pr Cellier, chez deux tiers des patients, il existait des signes biologiques de malabsorption (anémie ferriprive, carence en folates et vitamine B12) et une déminéralisation osseuse chez 55 % d'entre eux avec présence d'une atrophie villositaire chez 80 % d'entre eux. » Toutefois, dans 20 % des cas, il existait une tolérance histologique, « c'est-à-dire, explique le spécialiste, malgré la réabsorption de gluten, ces sujets n'avaient pas développé à nouveau une atrophie villositaire bien que la majorité d'entre eux aient des signes immunologiques d'activation intestinale avec une augmentation des lymphocytes dans l'épithélium ».
Ainsi, même cliniquement blanchis, la majorité des enfants atteints de maladie cliaque ont à l'âge adulte une maladie toujours active avec des signes de malabsorption biologiques et osseux mais dans un petit nombre de cas, on peut observer l'apparition d'une tolérance histologique.
(*) D'après un entretien avec le Pr Christophe Cellier, hôpital européen Georges-Pompidou, Paris.
Le syndrome de sprue réfractaire
La sprue réfractaire est une atrophie villositaire qui ressemble à une maladie cliaque, mais résistante à un régime sans gluten. Il a été suggéré qu'une proportion importante de ces malades avaient un lymphome intra-épithélial de bas grade avec une population lymphocytaire intra-épithéliale monoclonale présentant un phénotype anormal. « Nous avons collecté un grand nombre de patients adultes atteints de sprue réfractaire (n = 56) », souligne le spécialiste. Environ 85 % d'entre eux avaient une forme de sprue réfractaire liée à la maladie cliaque, avec présence d'une population anormale monoclonale, non seulement présente au niveau de l'intestin grêle, mais aussi de l'estomac, du côlon, du sang et dans d'autres sites, comme la peau ou le poumon. « C'est néanmoins un type de lymphome de bas grade qui peut métastaser », explique le spécialiste. Ces malades peuvent progresser vers un lymphome de haut grade dans 30 % des cas. « La sprue réfractaire, encore méconnue il y a quatre ans, est probablement une complication lymphomateuse de la maladie cliaque, plus fréquente que le lymphome invasif », conclut le Pr Cellier.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature