PRATIQUE
LE MAL DE DOS : LA MEDECINE EN ECHEC ?
Des approches aujourd'hui inadaptées
Des générations de médecins se sont enfermées dans la conception séduisante mais réductrice d'une cause ostéo-articulaire, radiologiquement objectivable, principalement discale, des douleurs du dos. Ils ont établi des schémas thérapeutiques séquentiels, quasi ritualisés, allant du médicament et du repos à la chirurgie, en passant par les étapes de la kinésithérapie, de l'infiltration et du lombostat. On sait aujourd'hui que ces approches thérapeutiques sont inadaptées. Les meilleurs arguments, en ce sens, sont les échecs répétés et la montée, qui semble inexorable, du nombre de personnes se plaignant de leur dos.
Le développement de pratiques de toutes sortes
Cet échec face à ce mal contemporain a favorisé, par dépit, le développement de toutes sortes de pratiques de soins, souvent plus proches du charlatanisme que de la médecine. Elles ont pour caractéristiques communes de n'aborder que l'aspect symptomatique du problème, ne fournissant aucune solution de fond, ce qui contribue indirectement à la pérennisation des douleurs censées être combattues. Face à une telle situation, il convient de tirer la conclusion des échecs, de réfléchir, de relever le défi et de proposer une démarche médicale cohérente. C'est possible.
De l'école des lombalgies à l'école du dos
Devant le succès d'une première tentative d'« école des lombalgies » réalisée en Algérie dans les années 1970, nous avons poursuivi la démarche, avec la création de l'« école du dos », en 1979 à Créteil. Depuis, 4 500 personnes ont été traitées de cette façon, avec un taux d'adhésions et de réussites très élevé.
REEDUCATION FONCTIONNELLE ET RÉADAPTATION
1) Avant tout, dédramatiser
Ceux qui vivent avec un mal de dos sont fragilisés par les effets de ce qu'il faut bien appeler une « iatrogénie verbale et écrite ». A côté du discours désabusé ou fataliste et peu rassurant de bon nombre de cliniciens, la responsabilité des radiologues est très importante : hernies discales étagées, discarthrose, tassements, quand ce n'est pas effondrement, dégénérescence, arthrose diffuse, becs de perroquet. Ce sont des mots qui font mal et qui, à défaut d'effondrement anatomique, ont pour conséquence un effondrement psychologique et un effet déplorable sur la subjectivité de la personne concernée.
La stigmatisation vient du terme, à bannir, de « chronique », qui est compris comme « incurable » et semble condamner définitivement à une vie pénible. Pourtant, même après des années de douleurs persistantes du dos, une guérison totale et définitive est possible.
Il convient, après un très bon interrogatoire et un examen clinique précis, de rassurer et de ramener le mal de dos à ce qu'il est le plus souvent : un syndrome de contrainte ou « strain injury » sans gravité. Ces contraintes sont localisées sur les ligaments d'attache postérieurs, rachidiens et, surtout, pelviens, mais aussi sur les insertions musculaires et les capsules articulaires postérieures. Des contractures musculaires, souvent secondaires à ces agressions ligamentaires, potentialisent les manifestations douloureuses, surtout chez des sujets anxieux.
Le facteur psychosomatique est très prégnant. Le mal de dos révèle souvent une situation de conflit ou de stress au travail, en famille ou autre. Il peut être symptomatique d'authentiques états dépressifs, qui devront être dépistés et traités comme tels, au mieux avec l'aide d'un psychiatre.
2) Réduire les contraintes rachidiennes et pelviennes
- En respectant les courbures vertébrales (« position moyenne » de Troisier) dans toutes les activités humaines. Une éducation fonctionnelle (s'asseoir, être debout, être couché, déplacer son corps) et situationnelle (repasser, passer l'aspirateur, conduire une voiture, utiliser un ordinateur, jouer au tennis, se tenir en classe, soulever un sac de ciment, etc.) est nécessaire, à la fois globale (activités communes) et personnalisée.
- En étirant les muscles ischio-jambiers, pour corriger ou prévenir toute limite à l'adaptation de la position du plateau sacré, idéale pour le rachis.
- En entretenant la proprioception des muscles postérieurs du dos, pour les rendre aptes à réagir à toute situation entraînant une variation des contraintes au niveau du dos.
- En utilisant les techniques de « décharge » du dos (utilisation des membres inférieurs, des membres supérieurs, des appuis pelviens ou du tronc) qui contribuent à réduire les contraintes sur le dos.
- En apprenant à « protéger » son dos dans les situations à risque, par l'usage séquentiel ou permanent d'une ceinture lombaire souple (sans inconvénient pour la musculature) et par la contraction des muscles transverses de l'abdomen, formant une véritable ceinture musculaire, qui protège activement la région lombaire des contraintes lors des efforts les plus importants (soulèvements, poussées).
La rééducation des autres muscles abdominaux est à visée plus esthétique que fonctionnelle et sans intérêt pour la prévention du mal de dos.
3) Soulager les douleurs du dos
Ne pas hésiter à injecter des corticoïdes « loco dolenti » (en deux fois, au niveau des ligaments superficiels douloureux à 10-20 jours d'intervalle) associés à un anesthésique local, ce qui réduit la consommation médicamenteuse.
Prescrire précocement, en cas de douleurs intenses ou en l'absence d'évolution rapidement favorable, un lombostat, avec un volet antérieur amovible, en résine, plutôt que de retarder la guérison et la réinsertion, et faire souffrir inutilement.
Les manipulations, dont il est fait grand cas aujourd'hui, sont issues du reboutisme traditionnel international. Leur habillage, souvent pseudoscientifique actuel, ne doit pas faire oublier qu'elles ne sauraient être qu'un traitement symptomatique temporaire, jamais indispensable, dont la pratique abusive devrait être réservée à des médecins expérimentés. Elles ne sont pas sans risques. Il ne faut jamais manipuler le cou.
L'électrothérapie antalgique (TENS) n'a pas d'indication ici.
La chaleur et les massages ont des effets bénéfiques sur les contractures musculaires, ainsi que les exercices de « contracté-relâché » et les étirements actifs (sorte d'automanipulations). La balnéothérapie est un moyen aussi de lutter contre la douleur et de reconditionner la motricité dans de bonnes conditions.
4) Reconditionner à l'effort et supprimer la crainte de l'activité physique
Tous les sports sont permis, à la stricte condition d'être pratiqués dans le respect des courbures rachidiennes après échauffement. Aucun n'est à proscrire, même l'équitation, qui est un excellent exercice proprioceptif. Un programme de rééducation, le plus souvent sur cycle ergométrique, est particulièrement bénéfique comme cela a été démontré, bien qu'il n'y ait pas de désadaptation cardio-vasculaire à l'effort, lors du calcul du VO2 max.
Certains programmes physiques intensifs dans leur contenu et dans leur durée, inspirés de ceux des « back centers » américains, sont appliqués en France depuis quelques années.
Les arrêts de travail seront limités au plus strict nécessaire. La complication la plus grave du mal de dos reste l'exclusion du monde du travail, avec ses répercussions sur la subjectivité et la vie sociale.
Définitions du mal de dos ou « back-pain »
« Toutes les douleurs comprises entre les dernières côtes et le pli des fesses. Elles peuvent s'étendre jusqu'aux genoux sans que ce soient des sciatiques » (J. W.).
« Toutes les douleurs comprises entre le bord supérieur des trapèzes et le pli des fesses. Elles peuvent s'étendre jusqu'aux genoux et, même, au-dessous, sans que ce soient des sciatiques » (Cl. Hamonet).
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