L'article, plutôt court, aurait pu passer inaperçu parmi les 140 pages du PLFSS 2004. Il fait au contraire beaucoup de bruit dans le Landerneau médical.
Jean-François Mattei avait levé un coin du voile dès la présentation des grandes lignes du projet de loi, le 23 septembre. En évoquant les nouveaux « outils de maîtrise médicalisée » enfilés dans les tuyaux pour infléchir la progression des dépenses en 2004 , le ministre de la Santé avait cité en premier la possibilité pour les URCAM (unions régionales des caisses d'assurance-maladie) de « passer des conventions » directes avec des groupes organisés de professionnels de santé (libéraux). Autrement dit, permettre à l'assurance-maladie de déléguer par convention à des professionnels intéressés certaines compétences de gestion du risque.
Chose promise, chose due, avec l'article 36. « Les engagements de ces groupements et les objectifs quantifiés associés peuvent porter sur l'évaluation et l'amélioration des pratiques des professionnels concernés, la mise en uvre des références médicales, la gestion du dossier patient ou la mise en uvre d'actions de prévention ou de dépistage. »
Selon le même texte, la convention passée dans une aire géographique définie prévoit « le montant des financements alloués » en contrepartie des engagements. Cette enveloppe pourrait couvrir la prise en charge de certains frais (réunions, informations, entretiens), voire un « éventuel intéressement » des praticiens impliqués. La Caisse nationale d'assurance-maladie (CNAM) est désignée comme pilote du dispositif en approuvant les conventions.
Au ministère de la Santé, on mise beaucoup sur ces expérimentations locales, directement inspirées du succès des filières Groupama. Il s'agit cette fois d'aller plus loin en permettant à chaque URCAM d'inciter des groupes de professionnels à des formes « d'autoévaluation et d'autoencadrement collectifs », à l'heure où la Cour des comptes vient de dénoncer la faillite des mécanismes de régulation des dépenses mis en place ces dernières années. « Différentes expériences ont montré que les échanges entre médecins sur leurs pratiques permettent d'obtenir des inflexions de ces pratiques sensibles en termes de maîtrise des dépenses », lit-on dans l'exposé des motifs de l'article 36. « Lorsqu'on délègue plus de pouvoir aux médecins, les prescriptions diminuent de façon très rapide », explique-t-on plus clairement dans l'entourage de Jean-François Mattei, où l'on veut dépasser « la dose homéopathique en 2004 ». La finalité économique est donc assumée (par un suivi plus cohérent des patients), même si ce n'est pas le seul objectif.
Passé l'effet de surprise initial, les principaux syndicats de médecins libéraux fourbissent leurs armes contre l'article 36, dont ils redoutent les effets pervers. La CSMF et le SML réclament sa suppression pure et simple, et mobilisent les parlementaires à cet effet. « Ces conventions entre URCAM et professionnels, soumises à la seule approbation de la caisse, c'est la voie directe vers la négociation extraconventionnelle et individuelle », tranche le Dr Michel Chassang, président de la Confédération .
Des dangers cachés
« C'est dangereux, renchérit le Dr Dinorino Cabrera, président du SML. Des groupes de médecins pourront en toute bonne foi se faire piéger en passant ces conventions locales et aller contre l'intérêt d'autres praticiens. » D'une manière générale, les syndicats redoutent les effets pervers de cette contractualisation directe entre l'assurance-maladie et des groupes de libéraux « qui ne représentent qu'eux-mêmes », surtout lorsqu'il s'agit d'instaurer des modes de régulation des dépenses. « Ce genre de contrats, c'est la porte ouverte au conventionnement sélectif individuel », analyse froidement le Dr Cabrera. « Ou alors, il faut nous expliquer que les syndicats ne représentent rien. »
Plus ennuyeux pour le gouvernement, les responsables de l'assurance-maladie partagent les réticences des syndicats quant à l'opportunité de l'article 36. « Cette mesure nous semble ambiguë quant au mode de représentation des professionnels de santé », explique-t-on du côté de la CNAM. Et « prématurée » dans la mesure où il existe déjà des possibilités de lancer des expérimentations d'amélioration des pratiques médicales par le biais du Fonds d'aide à la qualité des soins de ville (FAQSV).
Dangereux, pervers, ambigu, prématuré... : les principaux intéressés ont donné le ton. Voilà un petit article dont la durée de vie pourrait être définitivement écourtée dans le débat parlementaire.
Deux autres articles du PLFSS dans le collimateur
Outre l'article 36, les articles 35 et 37 du PLFSS 2004 sont vivement contestés par la profession. Le premier porte sur les contrats de pratique professionnelle (CPP) à adhésion individuelle dont il simplifie la mise en place et étend le champ d'application « au plan régional » (ce qui était impossible avant). L'accord favorable de l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) est requis pour valider scientifiquement et médicalement ces accords. Sur le même modèle, l'article 37 autorise l'élaboration au niveau régional de contrats de santé publique (CSP) à adhésion individuelle. La CSMF voit dans ces textes un contournement des voies de négociation traditionnelle, une mainmise de l'ANAES, et une dérive inacceptable vers des modes de régulation individuels. Même analyse de MG-France. « On pourrait comprendre qu'on passe à un pilotage direct de l'ANAES qui est une agence de l'Etat. Et que la voie de l'accord négocié avec les organisations syndicales représentatives serait abandonnée, au profit de contractualisations individuelles au niveau régional. »
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature