Est-ce l'approche des échéances électorales ? La prise de conscience résignée qu'il faudra consacrer toujours plus d'argent pour la santé ? La volonté d'éteindre les incendies sociaux qui couvent dans le secteur ? Le souci de préserver pour quelques mois encore l'unité d'une majorité plurielle singulièrement dissipée et dont certaines composantes - communistes et MDC, notamment - semblent promptes à céder à la tentation des surenchères ?
L'alchimie est sans doute complexe mais tous ces éléments se conjuguent pour expliquer qu'en cette rentrée parlementaire la nécessité de maîtriser les dépenses de santé semble être un peu moins impérieuse que naguère.
Une référence inopportune
Il y a d'abord les déclarations et les programmes qui ne valent, bien sûr, que ce qu'ils valent mais qui contribuent à créer un nouveau climat. C'est le Parti socialiste qui, dans son projet pour les élections de 2002, reconnaît qu'il faut savoir « assumer la charge » de la santé et donc son coût. Et qui enfonce le clou en indiquant que « la référence à l'évolution du produit intérieur brut (pour limiter la croissance des dépenses de santé) ne s'impose pas ». On croirait entendre, mot pour mot, Jacques Chirac lorsque, durant la campagne de 1995, déclinant sur tous les modes le thème de la fracture sociale, il refusait « de plafonner les dépenses sociales, notamment de santé » par rapport à la richesse nationale.
C'est, ensuite, Bernard Kouchner qui tient le même discours lorsqu'il déclare qu'il faut « savoir financer » la plus-value sociale que représente à ses yeux le système de santé (« le Quotidien » du 9 octobre) et lorsqu'il envisage qu'on « adapte le montant de la CSG aux décisions stratégiques de santé publique ». Ce qui revient à faire litière du dogme qui s'est imposé depuis plusieurs lustres : celui de la stabilisation des prélèvements sociaux. Dogme, il est vrai, passablement écorné.
Vingt milliards pour l'hôpital
Dans un secteur au moins, celui des hôpitaux publics, le gouvernement Jospin a prouvé, depuis dix-huit mois, qu'il savait prendre des libertés avec une vision étriquée de l'orthodoxie budgétaire et desserrer les cordons de la bourse. Les différents protocoles, signés en 2000 et 2001 par Martine Aubry, Elisabeth Guigou et Bernard Kouchner avec les syndicats de personnels et les syndicats de médecins hospitaliers, représentent déjà une vingtaine de milliards supplémentaires (avec, il est vrai, une montée en charge progressive sur trois ans dans la plupart des cas), financés presque exclusivement par l'assurance-maladie.
A cela vient s'ajouter le dernier épisode en date : celui des trois milliards supplémentaires (en fait, deux si l'on tient compte des redéploiements de crédits) que le gouvernement a décidé d'accorder aux hôpitaux dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
En se montrant relativement généreux avec les hôpitaux publics, le gouvernement a d'abord tenu compte de la situation des établissements dont certains étaient dans un état critique. Il a ensuite tiré les conséquences de la loi sur les 35 heures qu'il avait lui même fait voter, sans en mesurer peut-être le coût dans la fonction publique. Personne ne songerait à contester le bien-fondé de cet effort-là. Bien au contraire, certains en déplorent l'insuffisance. Et d'autres font remarquer qu'après s'être penché sur le sort des personnels et des médecins, il faudra investir pour la rénovation ou la reconstruction du patrimoine hospitalier. Une opération qui, étalée sur plusieurs année, pourrait représenter jusqu'à 200 milliards...
Faut-il préciser, enfin, que dans sa politique hospitalière, le gouvernement a poursuivi deux autres objectifs ? D'abord, éviter à tout prix un conflit majeur dans un secteur toujours au bord de la crise sociale. Il y a réussi jusqu'à présent. Ensuite, préserver autant que faire se peut la solidarité de la majorité en cédant partiellement aux objurgations des communistes toujours prompts, lors de votes sur les PLFSS, à faire monter les enchères. Cette année, à la veille de son congrès et d'échéances électorales qui s'annoncent particulièrement périlleuses pour lui, le Parti communiste s'est montré particulièrement insistant dans la partie de bras de fer qu'il a engagée pour obtenir des crédits supplémentaires pour les hôpitaux. Au point que Lionel Jospin a dû monter au créneau pour participer à la recherche d'un compromis avec les amis de Robert Hue.
Un geste pour la médecine de ville
En matière de politique hospitalière, les libéralités du gouvernement se sont cependant arrêtées aux portes des cliniques. Et rien n'indique pour l'instant que l'hospitalisation privée, qui réclame six milliards, soit sur le point d'obtenir satisfaction. Est-ce l'effet d'un ostracisme idéologique à l'égard des cliniques privées, l'agacement provoqué par une grève de quarante-huit heures décrétée par l'organisation patronale de ce secteur et non par les syndicats de salariés ou la conviction que les 600 millions de rallonge accordés aux cliniques en avril 2001 n'ont pas toujours été utilisés comme ils auraient dû l'être ? Toujours est-il que le gouvernement reste intraitable. « Après tout, dit-on sans rire dans l'entourage d'Elisabeth Guigou, les cliniques, si elles veulent augmenter leurs infirmières, n'ont qu'à moins bien payer leurs médecins... »
Du côté des praticiens libéraux, l'on n'est pas encore à la distribution de faveurs. Mais l'heure des concessions a sonné. L'amendement gouvernemental au projet de loi de financement de la Sécurité sociale - amendement qui porte sur un nouveau système de maîtrise des dépenses de médecine de ville - n'est certes pas de nature à satisfaire la CSMF, majoritaire chez les praticiens, ni le SML ou la FMF - dans le mesure notamment où il maintient le principe d'un ONDAM opposable, c'est-à-dire d'un objectif des dépenses de médecine de ville qui, théoriquement, ne doit pas être dépassé. Mais le fait que les médecins qui respecteraient, dans le cadre des conventions médicales signées entre les syndicats et les caisses maladie, certains engagements en matière de pratique médicale (respect des références médicales opposables, de guides de bonne pratique, etc.) échapperaient au système des lettres clés flottantes indique que le gouvernement fait un pas dans la voie de la maîtrise médicalisée des dépenses.
Sur l'autre dossier qui mobilise les praticiens libéraux - celui de la revalorisation des honoraires - le gouvernement semble reconnaître qu'il convient de faire un geste. Bernard Kouchner s'est prononcé, en septembre, devant la CSMF, pour une hausse des honoraires tout en ajoutant prudemment que la décision ne lui appartient pas. Certains estiment qu'Elisabeth Guigou pourrait prendre prochainement une initiative dans ce domaine.
Crédits supplémentaires aux hôpitaux, gestes encore timides en faveur de la médecine de ville, nouvelle tonalité du discours politique qui semble rompre avec la pensée unique sur l'ardente obligation de la maîtrise des dépenses : le frémissement qui s'esquisse dans la politique de santé intervient, en tout cas, à un moment logique et paradoxal. Logique, parce que l'on est à huit mois d'élections décisives. Paradoxal, parce que c'est lorsque la croissance s'essouffle, que les incertitudes s'amoncellent sur l'avenir de l'économie et alors que l'assurance-maladie devrait accuser un déficit de 2 milliards d'euros en 2002 que l'on songe à desserrer les cordons de la bourse.
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