Maîtrise des dépenses de santé : l'inspiration étrangère

Publié le 22/10/2003
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Les progrès technologiques, le vieillissement de la population, l'exigence accrue des patients... : depuis des années, tout concourt à accroître les dépenses de santé des pays développés, alors que stagne leur PIB. Confrontée au problème du financement de son système de santé, la France n'est pas un cas isolé.

« Intéressé par ce qui se passe ailleurs », le ministre de la Santé, Jean-François Mattei, a réuni certains de ses homologues étrangers (venant de pays membres de l'OCDE), pour échanger les idées sur les expériences menées, avec l'objectif de maîtriser les dépenses et d'améliorer l'efficience de leur système de santé.
Au terme de trois heures d'échanges, Jean-François Mattei a constaté que, « face à une problématique commune, chacun y va de sa propre solution. Certains s'orientent vers une concurrence, d'autres vers une organisation qui n'inclut pas la concurrence. Je ne suis pas certain que telle solution soit meilleure que telle autre ». Citant l'expérience de nos voisins d'outre-Rhin, le ministre français a déclaré que « l'Allemagne a imposé une réforme brutale totalement inenvisageable en France ». « Il faut que la France se fasse une opinion » parmi tous ces exemples, a-t-il dit.
A cette fin, Jean-François Mattei veut « aller voir ailleurs » : il se rendra en janvier dans plusieurs pays, « pour aller piocher plus au fond un certain nombre de modèles et de réformes en cours ». Des échanges qui influenceront peut-être la réforme de l'assurance-maladie en 2004. Mais hors de question « de quitter notre système à la française (...), le meilleur sur l'égalité de l'accès aux soins », a tenu à rassurer Jean-François Mattei. Sa gestion par les partenaires sociaux doit être préservée, a-t-il ajouté. « Pour autant, la France est confrontée à un problème de financement comme les autres », ce qui appelle des décisions politiques aussi importantes qu'impopulaires, a conclu le ministre de la Santé.

Un triple défi

« Comme les autres » en effet, car, ainsi que le note Dominique Polton, directrice du CREDES, aucun pays de l'OCDE n'a jusqu'à présent réussi à relever le triple défi de la maîtrise des coûts, de l'efficience du système de santé et de l'équité. Certains pays privilégient l'accès aux soins pour tous, au détriment de la qualité et de la situation budgétaire. C'était jusqu'à présent le cas de la Slovaquie, qui tente aujourd'hui par tous les moyens de se débarrasser de son système hérité du modèle soviétique (les soins, gratuits, sont de très mauvaise qualité, les hôpitaux excédentaires et mal équipés). D'autres pays, plus avancés dans leur réforme du système de santé, offrent des soins de qualité, mais, revers de la médaille, n'arrivent plus à contenir leurs dépenses.
Les priorités varient en fonction des valeurs ancrées dans chaque pays, constate Dominique Polton. Une tendance générale se dégage toutefois : n'ayant pas permis d'atteindre l'équilibre financier, les grandes réformes refondatrices des systèmes nationaux, lancées dans les années 1990, laissent aujourd'hui la place à toute une série de mesures plus prudentes. Par exemple, le passage au dossier électronique, la hausse des taxes sur le tabac (en Allemagne, en France), le développement de la prévention (en Australie), la désignation d'un médecin généraliste référent (en Norvège), l'apparition de franchises (en Allemagne), la restriction des prestations prises en charge par la Sécu et la hausse du ticket modérateur (aux Pays-Bas), la limitation de la consommation des médicaments (en Slovaquie).
Bien souvent, les pays espèrent économiser en changeant le financement de leur système hospitalier. C'est le cas de la Norvège, qui, en combinant un budget global et un système basé sur des groupes homogènes de malades (comme le sera la tarification à l'activité en France), a vu baisser ses temps d'attente à l'entrée de l'hôpital. Mais l'objectif n'est pas atteint : le gouvernement a dû augmenter l'allocation de ressources versées aux hôpitaux.
Le Portugal vient de convertir certains de ses hôpitaux en sociétés anonymes, en leur donnant une plus grande autonomie de gestion. « L'argent leur sera donné en contrepartie des services rendus à la population, et les chefs de service deviendront responsables de leurs personnels », a annoncé Luis Filipe Pereira, le ministre de la Santé portugais. Il est trop tôt pour apprécier l'impact de cette réforme.
Partageant l'avis de Dominique Polton, du CREDES, le ministre italien de la Santé, Girolamo Sirchia, affirme que « tout changement révolutionnaire est compromis ». « C'est par petites touches qu'il faut arriver à mieux dépenser, éliminer les dépenses inutiles, augmenter la productivité, réduire les capacités excédentaires, et instiller une dose de concurrence pour encourager la recherche de la qualité ».
L'introduction, à partir de 2006, d'une plus grande concurrence entre les assureurs privés en parallèle de la Sécu, c'est la voie choisie par les Pays-Bas. En interdisant aux assureurs de sélectionner les risques et de varier le montant de la prime en fonction du profil de l'assuré, le ministre néerlandais espère parvenir à un équilibre financier. « C'est une expérience unique, dont le succès n'est pas garanti », a-t-il toutefois reconnu. Jean-François Mattei, en pleine réflexion sur la possible mise en concurrence de notre assurance-maladie, n'a pas caché un certain scepticisme face à l'initiative néerlandaise : « Je ne vois pas comment les assureurs privés pourraient dégager des profits importants, sauf à choisir d'attirer des assurés par des contrats optionnels. Je suis interrogateur : comment la logique de marché peut-elle faire bon ménage avec la qualité ? ».
Quelles que soient les orientations prises pour maîtriser les coûts, les pays de l'OCDE ont un point commun : l'évolution des dépenses de santé constitue « une source de préoccupation majeure », ont indiqué les participants à la table ronde. Mais, paradoxe, les usagers ne se sentent pas assez concernés, sans doute parce que « rien ne les incite à limiter les dépenses à cause du financement par la Sécu », pense le ministre hollandais de la Santé, de la Protection sociale et du Sport. « Les patients doivent se rendre compte que les soins ont un coût et que certaines de leurs demandes sont inutiles », a dit Jean-François Mattei. Le ministre cherche « des mécanismes qui les incitent à faire attention mais ne pénalisent pas les malades ».
Toute la difficulté consiste à modifier les esprits, estime pour sa part le ministre hollandais. « Les Européens pensent que le système de santé est tellement important qu'il devrait être gratuit, dit Hans Hoogervorst. Il s'agit d'une erreur fondamentale. La population doit comprendre qu'elle doit contribuer à son financement. La transparence, l'introduction de la concurrence, la hausse du ticket modérateur : il faut tout cela pour réussir à maîtriser les coûts ».
Les ministres de la Santé des pays de l'OCDE se réuniront à nouveau en mai 2004, pour débattre d'une étude menée depuis deux ans par l'OCDE sur les moyens d'améliorer l'efficacité des systèmes de santé en réduisant les coûts et en maintenant un même niveau de qualité.

Delphine CHARDON

Source : lequotidiendumedecin.fr: 7410