UN TERRITOIRE grand comme 23 fois la France, qui couvre les deux tiers de la Russie :la Sibérie est une immensité qui s'étend des Monts Oural jusqu'au détroit de Behring, le plus souvent dans des régions arctiques et subarctiques. Une région économique essentielle pour la Fédération de Russie, avec ses gisements de gaz, de pétrole et de minerais divers. Mais, sur la toundra, la taïga et la steppe, les populations autochtones subissent dramatiquement la dégradation sanitaire du pays, avec, au cours des quinze dernières années, une chute de l'espérance de vie qui a atteint 10 ans pour la population russe et probablement bien plus pour les peuples autochtones. Quarante-neuf peuples, dont 45 minoritaires, en tout 1 500 000 personnes, sont victimes de la faillite du bloc soviétique et de la dérégulation du système de santé qu'elle a entraînée. La pauvreté et les conditions de vie météorologiquement extrêmes, alors qu'ont disparu les rares équipes médicales mobiles déployées par l'ancienne Union soviétique, affectent ces populations que ravagent l'alcoolisme, le suicide et les morts violentes ; les malades ne consultent que trop tardivement, les affections respiratoires et les épidémies de tuberculose prolifèrent, les grossesses, en l'absence de tout suivi, donnent lieu à un grand nombre de complications et la couverture vaccinale est en chute libre.
Deux programmes pilotes.
Dans ce contexte catastrophique, quelques initiatives permettent de ne pas totalement désespérer de l'avenir. C'est en particulier le cas des deux programmes lancés par Médecins du Monde. La mission MDM menée de 1993 à 2003 dans la péninsule du Lamal, à l'extrême nord-ouest de la Sibérie, auprès des populations autochtones de Tchoukotka, a « atteint ses objectifs et apporté la démonstration qu'il était possible de fournir une couverture sanitaire aux 35 000 Nenetses qui vivent dans la région », estime le Dr Armelle Desplanques. Depuis dix ans, cette volontaire fait le voyage chaque année ; entre 1996 et 2000, elle a formé 80 techniciens de santé dans cinq villages parmi les plus reculés. Dès 1998, la participation de médecins locaux a permis de réaliser un début de transfert de compétences, avec à partir de 1999 une session assurée par un médecin local. L'année suivante, le médecin-chef de Yar-Salé proposait aux élèves en fin de scolarité de bénéficier de la formation accélérée (un programme d'une douzaine de jours) pour devenir à leur tour des techniciens de santé, avant de retourner à la vie nomade. En 2201, MDM éditait à leur attention un livret de formation, modifié et enrichi des expériences de terrain. Pour le Dr Desplanques, cette mission est « clairement un succès, puisqu'ont été atteints les principaux objectifs prévus : la formation des techniciens nomades, la création d'un statut officiel, à leur attention, au sein du système local de santé, la mise en place d'un réseau radio sanitaire ainsi que le transfert du programme aux autorités sanitaires locales ».
Médecins du Monde a mené une autre expérience pilote auprès des peuples autochtones de la Tchoukotka (Tchouktches, Tchouvantses, Evènes, Yupigit), dans le Nord-Est sibérien, dans une province tellement défavorisée que les humanitaires n'hésitent pas à parler d'un phénomène d'ethno(sui)cide. Après une mission exploratoire (1993), pour pallier le déficit crucial en personnel médical, la création d'une école d'infirmières a été décidée à Anadyr, grâce à un partenariat avec le ministère de la Santé de l'arrondissement autonome. Des infirmières se sont relayées tous les mois et demi, en tout douze volontaires sur deux ans, avec quatre coordinateurs pour assurer le suivi.
En parallèle, MDM a pris en charge la formation de deux anciens alcooliques autochtones, une journaliste et un sculpteur sur ivoire, pour leur permettre de fonder une association de lutte contre l'alcoolisme avec d'autres abstinents. Ainsi a vu le jour le mouvement Dovérié (confiance), qui bénéficie depuis l'an dernier d'un local professionnel où auditeurs et instructeurs peuvent se rencontrer et œuvrer à la formation de nouveaux instructeurs et créer un réseau de prévention et de cure.
Certes, le chantier sanitaire est à la mesure de l'immensité géographique et du désastre économique. Et il serait abusif de présenter les deux missions pilotes comme parfaitement réussies, souligne le Dr Desplanques : « Par exemple, pour les réseaux radio reliant les dispensaires et les techniciens, il faut revoir la copie sur le plan technique car les relais russes que nous avons d'abord utilisés sont devenus obsolètes. Il faut maintenant travailler sur de nouveaux outils, avec le téléphone satellitaire et les moyens nouveaux de la télémédecine. Il n'en reste pas moins que nous allons présenter, lors du colloque, aux responsables de la société civile et des autorités locales, régionales et fédérales des perspectives prometteuses. Il faut les reproduire et les généraliser. »
Bref, d'une toute petite échelle, il faut progressivement passer à une plus grande : à ce jour, environ 4 000 Nenetses sur 35 000 bénéficient, grâce aux techniciens formés par MDM, d'une couverture de soins minimale. Le combat pour la santé des peuples autochtones sera encore long.
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