Le monde la vision est l’objet de nombreuses convoitises. Les ophtalmologistes détiennent la clef du temple de la vente. Ils sont, en France, une cause de l’absence de forte croissance du marché de la lentille de contact et du retard d’équipement lunetier dans certaines régions. Les vendeurs et fabricants plus que les patients piétinent et cherchent à contourner ce barrage. Toutes les assurances complémentaires cherchent à contrôler l’inflation de l’augmentation des dépenses optiques. On commence à observer des mises à disposition directes des lentilles de contact par les opticiens et les sites en ligne. Les patients renouvellent plus souvent la prescription de lunettes à laquelle ils ont « droit » ! N’évoquons pas les petites fraudes et gros abus. Les spécialistes ne verraient pas favorablement le gommage de l’incitation à la consommation médicale et ne parlons pas des opticiens debout sur les freins. Les ophtalmologistes ont une vision forte de la santé publique moteur de leur croissance et ils défendent la nécessité d’examiner avant de prescrire. La prévention des maladies oculaires en France ne s’en porte que mieux. Pour autant, l’existence de trop longs délais d’attente, l’impréparation de beaucoup de cabinets à gérer la demande, l’hétérogénéité des compétences individuelles médicales, la concentration en marche des actions sur la machinerie ou la thérapeutique créent un déficit d’image de la spécialité. Elle est plus connue pour la difficulté à obtenir un rendez-vous que pour le contenu de ce dernier. Les établissements publics ne peuvent faire face à la demande et ne le souhaitent pas vraiment. Les magasins adossés à des groupes fortement marketisés et les sites en ligne poussent à une consommation optique effrénée (trois lunettes pour le prix majoré d’une !, des lentilles bradées, des produits diversifiés… ). Il ne faut pas s’étonner que toute part pointent au limes les optométristes, les « fast check-up », les orthoptistes prescripteurs, les infirmières traitantes et la pittoresque proposition de secrétaires périmédicialisées. Désormais tous savent que la prescription est, dans 96 % des cas de l’adulte, un acte aisé. Nombre d’appareillages rendent d’autres mesures quasiment enfantines, même si l’interprétation exige des connaissances avérées. Beaucoup d’interventions s’effectuent sur des données prélevées par des orthoptistes exercés. Les métiers se mixent. Au demeurant, une partie de la profession se soucie peu de ce débat car elle est débordée par les soins ; toutefois, plus de 2 000 cabinets restent en secteur 1 mais avec des variations d’activité. Pour les responsables la crispation sur le prescriptif optique est compréhensible car c’est le carrefour de la vérification médicale et le portail clinique : c’est ce qui n’existe pas dans les pays avec optométristes.
Les pouvoirs publics font une confusion entre la santé ophtalmologique et le délai d’obtention de l’ordonnance de verres et tendent à favoriser cette dernière. Les centres en essor de prescriptif accéléré vont augmenter la dépense mutualiste et trouvent une place dans l’espace commercial. Les plateaux où les médecins sans cabinet abattent des flux de patients anonymes pour éventuellement distribuer aux médecins contractants les quelques anomalies authentifiées plaisent aux administrations et aux investisseurs. Faire du patient un client de système casse la relation médecin-malade et permet de lui proposer des formules commerciales dérivées. Le but est là. Au demeurant, ces centres ne se créent pas là où les files d’attente sont longues, mais bien là où les clients prospects résident ou jouissent d’un minimum de revenus. C’est une bonne idée. La sécurité médicale n’en sera pas beaucoup altérée. Ces systèmes apportent un justificatif aux bas tarifs des consultations, on ne peut blâmer personne pour ces initiatives. Les promoteurs envisagent de nombreux centres, ils supprimeront, de fait, le besoin de recourir aux optométristes et donneront un travail salarié à ceux des ophtalmologistes retraités en mal de réfraction.
Les dispositifs d’investigations se développent aussi, le plus souvent à petite échelle – regroupement local ou gros cabinets – et, plus spectaculaire, à grande échelle par de véritables plateformes polyéquipées. Cette dernière formule apporte l’efficacité et la fiabilité : l’interprétant n’est plus le demandeur. Les orthoptistes trouvent une place naturelle dans ce système et les médecins explorateurs développent une expertise disponible pour les administrateurs et laboratoires. Cette tendance à la spécialisation des plateaux n’est pas propre à l’ophtalmologie, on la retrouve partout avec une très forte adhésion des patients, des médecins et des assureurs.
Les ophtalmologistes sont eux-mêmes responsables de blocages locaux. Ce n’est pas le déficit d’installation qui est en cause mais la faillite libérale lorsqu’elle confiée uniquement à de praticiens trop souvent timorés. Attendre tout de l’état ou rien de la tutelle c’est ne rien comprendre. Les médecins peuvent construire, et monter à leur échelle des dispositifs de même philosophie. De nombreux champs sont ouverts. Les centres d’investigations, les cabinets multiples permis par la société d’exercice libéral (SEL), les réseaux positionnés sont de nouveaux systèmes qui emportent l’adhésion des patients et des ophtalmologistes. De très nombreuses opportunités sont ouvertes. Mais ne comptons plus faire du cabinet, hormis un très petit nombre, un capital. Le taux de renouvellement des ophtalmologistes est très bas et des vagues de départ vont intervenir dans les années à venir. La couverture des besoins ne peut pas passer rapidement par l’augmentation des formations, qui ne peut jouer que sur de petits nombres. La profession doit mettre en place son plan de captation et de rétention de son panier. Avec qui peut-elle le faire ? Essentiellement toute seule, en favorisant les formules gagnantes. Les pouvoirs publics et les leaders suivent habituellement ce qui fonctionne bien, mais il n’y a rien à attendre d’eux d’autant que les hôpitaux ont fort à faire avec leurs propres systèmes de gestion et sont de plus en plus dans un développement indépendant.
La chirurgie va encore changer. Après vingt ans de preuve, l’ambulatoire cataracte va devenir la règle avec une possibilité d’exercice élargie et une rémunération amaigrie. Les implants perfectionnés autorisent des restaurations visuelles rapides et efficaces. Les surcoûts pour les implants innovants et le laser femtoseconde devront surtout être payés par le patient. Nous verrons à terme les institutions pertinentes s’auto-externaliser pour ces opérations aisées en dehors du bloc conventionnel. Attendons des pouvoirs publics une réaction prévisible face aux coûts déraisonnables des traitements rétiniens. La qualité de la prise en charge précoce des glaucomes est un pilier des campagnes orchestrées par les fabricants de collyres qui savent rendre service à la population, aux ophtalmologistes et à eux-mêmes. Ce n’est pas un hasard si les principaux appels à vigilance ne sont pas dans le cadre du diabète ou du strabisme. Quant à la chirurgie réfractive, elle piétine alors même que son taux de succès est devenu très élevé. Pour cette dernière la raison principale est l’absence de remboursement et le frein psychologique à se faire opérer. Cela changera, un jour, brutalement, lorsque les nouvelles générations seront formatées différemment. Quant aux dépassements d’honoraires tout est mis en œuvre pour les amoindrir fortement. La spécialité comporte quelques zones hors nomenclature où il restera possible d’exercer.
Le développement professionnel continu (DPC) va renforcer l’excellente formation médicale continue (FMC) spontanément mise en œuvre par les associations d’ophtalmologistes et les sociétés savantes depuis des décennies. La transparence accrue concernant les conflits d’intérêt obligera, à partir de l’été 2012, les fabricants et autres à rendre public tous les revenus et liens (JO du 29 novembre 2011). Ce ne sera pas bouleversant mais servira aux associations de patients pour piquer là où cela fera mal et renforcera la prudence des dires des affiliés. Ce sera aussi un rude coup pour les voyagistes et les réunions de complaisance.
Somme toute l’avenir est à prendre et la seule question est celle du choix de vie professionnelle. La rareté des ophtalmologistes leur donne encore cette possibilité. L’ophtalmologie change vite et en mieux, c’est ainsi.
Pause exceptionnelle de votre newsletter
En cuisine avec le Dr Dominique Dupagne
[VIDÉO] Recette d'été : la chakchouka
Florie Sullerot, présidente de l’Isnar-IMG : « Il y a encore beaucoup de zones de flou dans cette maquette de médecine générale »
Covid : un autre virus et la génétique pourraient expliquer des différences immunitaires, selon une étude publiée dans Nature